Vaut-il mieux imiter ou innover? Web3 et dilemme d’exploitation/exploration

Le dilemme d’exploitation/exploration dans le digital – extrait d’une interview de Wladimir Tarannof.

Technologie inachevée, faible compréhension par le grand public, manque de cas d’usage… le web3 questionne et les entreprises ne savent pas vraiment comment se positionner face à ce nouveau web décentralisé.

Vaut-il mieux se lancer ou patienter qu’un acteur ouvre une brèche afin d’investir plus sereinement ?

C’est la question que nous pose le dilemme d’exploitation/exploration et que j’ai eu le plaisir d’aborder avec Mr Wladimir Taranoff, responsable pédagogique du MBA Digital Marketing & Business au sein de l’EFAP

Livre de Donald Miller "Building a Story Brand"

Le dilemme exploitation/exploration dans l’Ouest Californien

En 1849, John Marshall découvre un gisement d’or dans l’Ouest Californien.

Lors d’un contrôle de routine, l’ouvrier aperçoit une pépite de la taille d’un petit pois au creux d’une fente, il hésite à la ramasser (« ce minerai ne peut pas être de l’or, on n’en trouve pas à tous les coins de rue »), la saisit, et fait part de sa découverte à son entourage.

John et d’autres apprentis explorateurs se lancent dans l’exploitation du précieux métal.

Néanmoins, il ne fallut pas attendre longtemps pour que des aventuriers du monde entier participe à la ruée vers l’or en Californie.

John Marshall, le premier explorateur du gisement, se retrouve sans le sou bien des années plus tard, ivrogne, il écume le territoire dans l’espoir de retrouver un filon.

Les aventuriers des 4 coins du monde envahirent le gisement découvert par l’ouvrier californien. Celui-ci ne parvint pas à établir des barrières à l’entrée pour rester leader de l’exploitation du minerai.

Nous avons ici un cas typique d’exploitation/exploration. Les explorateurs, responsables de la découverte des premiers filons d’or, ont été dépassé par les premiers arrivant.

Cela nous renvois à la question posée par le dilemme d’exploitation/exploration : vaut-il mieux innover ou imiter ?

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 Le tournoi de Rendell et le jeu du bandit mancho

Luke Rendell, un chercheur en biologie évolutive, a crée en 2010 un tournoi autour d’un problème mathématique : le jeu du bandit mancho.

Ce problème est représentatif du dilemme d’exploitation/exploration. Rendell organise un tournoi dont les règles sont les suivantes :

  • 100 participants ont pour objectifs de gagner le plus de point en un temps limité à l’aide de machine à sous (les fameuses bandit mancho)
  • Des centaines de machines à sous sont disponibles
  • certaines machines ont des taux de réussite plus élevés
  • ils jouent à tour de rôle
  • les participants suivent en temps réel les décisions des autres
  • le joueur qui gagne le plus de point à la fin du temps imparti remporte 10 000 €
  • quelques jours sont laissés aux participants pour établir une stratégie avant le tournoi.

Imaginez que vous participiez à l’expérience.

Vous pouvez voir qu’un grand nombre de concurrents utilisent les mêmes machines car celles-ci permettent d’obtenir un faible nombre de points à chaque utilisation.

D’un autre côté, certaines machines à sous n’ont pas encore été utilisées et pourraient vous permettre de remporter le jackpot !

Que faites-vous ?

Suivre le plus grand nombre ou choisir une autre voie ? Vous êtes au cœur du dilemme d’exploitation/exploration.

Parmi les statisticiens, mathématiciens, économistes et autres grands amoureux des chiffres qui ont participé au tournoi (et ils furent triés sur le volet), le vainqueur fut Timothy Lillicrap, un étudiant en… neuroscience.

Sa stratégie fut sommaire : imiter tout du long, aucune exploration.

Les auteurs de l’étude n’avaient pas anticipé ce résultat et qualifient le comportement de Timothy de « parasitisme social ».

Ce terme péjoratif s’avère quelque peu inadapté lorsque l’on constate que toutes les études de psychologies sociales du dernier siècle s’accordent pour dire que l’imitation est un comportement fréquent en situation d’incertitude.

L’imitation semble apporter plus de bienfaits que l’innovation.

Pour en savoir plus sur le dilemme exploitation/exploration

Je vous recommande cette excellente vidéo (dont je  me suis largement inspiré) du chercheur Medhi Moussaid, chercheur en fouloscopie (l’étude du comportement des foules).

Web3 et dilemme exploitation/exploration : quel est le lien ?

La technologie du web 3 n’est pas encore mature. La décentralisation, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est en phase d’expérimentation et les innovations dévoilées au grand public souffrent de plusieurs lacunes :

  • la blockchain est incompréhensible pour une grande partie du public
  • les crypto-monnaies sont sujets à une spéculation excessive
  • le métavers manque de cas d’usage
  • les DAO sont accusés de prôner l’élitisme et la radicalité de leurs membres est pointée du doigt.

Le web3 est un terreau d’incertitude. Les entreprises sont constamment soumises à ce dilemme d’exploitation/exploration.

Faut-il se lancer à la conquête de ces nouvelles technologies, ou profiter du chemin tracé par un concurrent et investir dans là où les résultats semblent être au rendez-vous ?

Ce dilemme s’applique-t-il aux enjeux du web3 ?

On peut aisément penser que les exemples cités précédemment n’illustrent en rien ce qu’il peut se produire dans l’univers du web3, que :

  • les technologies actuelles sont plus complexes et induisent, de facto, une barrière à l’entrée bien plus importante
  • le digital n’est pas une ressource naturelle : la découverte d’un minerai est incomparable à la découverte d’une nouvelle technologie web
  • il n’existait pas assez de connaissance des règles d’un marché concurrentiel : on ne peut pas blâmer cet ouvrier du XIXe, un entrepreneur contemporain serait plus malin.
  • une expérience est difficilement représentative d’une situation réelle : le tournoi de Rendell reste un jeu fictif.

À cela, je vous répondrai que le dilemme d’exploitation/exploration est observable à chaque étape majeure de l’évolution du web :

  • Web 1.0 : IBM de Bill Gates est une copie du CP/M de Gary Kildall
  • Web 2.0 : les jumeaux Cameron, Tyler Winklevoss et Divya Narendra accusent Mark Zuckerberg d’avoir volé l’idée et leur prototype du réseau social Facebook

Le dilemme d’exploitation/d’exploration est plus que jamais d’actualité. Les principaux acteurs Du web 1.0 et du web 2.0 sont les premiers imitateurs.

Rappelons également que parmi les MAMAA (ex-GAFAM) :

  • Google est le 23e moteur de recherche
  • Ebay était la première marketplace, avant Amazon (qui a introduit le BtoC)
  • Apple n’est pas le premier créateur d’ordinateur ou de Smartphone.

Ces entreprises n’ont pas été les premières arrivées dans leurs secteurs d’activité.

Des acteurs disruptifs

Livre de Donald Miller "Building a Story Brand"

Prenons le temps d’ouvrir une parenthèse et de rendre à César ce qui appartient à César.

On ne peut pas réduire la domination des MAMAA par « ils ont copié leurs concurrents ».

Ces acteurs ont bouleversé leur marché respectif en apportant une innovation majeure, une nouvelle manière de consommer le produit initial ou de parfaire le service rendu.

Certes, ils ont changé les règles du jeu, mais ils n’étaient pas les premiers acteurs majeurs du marché.

Leur montée en puissance s’est toujours faite au détriment de firmes qui n’ont pas su se réinventer à temps pour concurrencer ces nouveaux arrivants.

Innover ou imiter ? L’avis de Wladimir Taranoff

 Cette partie est un extrait d’une interview que j’ai mené auprès de Wladimir Taranoff, expert de la transformation digitale et responsable pédagogique du MBA Digital Marketing & Business de l’EFAP Paris.

Wladimir m’a fait part de son regard quant aux défis qui entourent le web3.

J’ai pu recueillir son avis sur le dilemme d’exploitation/exploration appliqué à l’univers du web3.

Livre de Donald Miller "Building a Story Brand"

Wladimir Taranoff : un bref portrait

Après plusieurs expériences internationales au Québec, au Japon ou encore à Singapour (pour ne citer que celles-là), Wladimir occupe la fonction de responsable pédagogique du MBA Digital Marketing & Business au sein de l’EFAP Paris.

Il accompagne des Start-up, PME et auto entrepreneurs dans la création de valeur et la transformation digitale de leurs activités.

J’ai eu le plaisir de recueillir son point de vue sur le dilemme exploitation/exploration.

Ceci est un extrait d’une interview portant sur les enjeux du web3.

 

L’imitation est-elle une stratégie adaptée au marketing digital et au Web3 ?

Wladimir :

« Tu peux être un bon imitateur à partir du moment où tu as le temps d’imiter.

On voit que dans l’adoption des nouvelles technologies, pour celles qui sont vraiment utiles, qui présentent plusieurs cas d’usage, le temps est de plus en plus court.

Or, on a pu voir ça récemment avec ChatGPT, il a fallu moins de 2 mois pour que l’outil soit utilisé par 100 millions d’utilisateurs.

Une des règles du digital est « the winner takes it all », et les autres prennent les miettes. Il faut être le premier mais avec les meilleures solutions.

Bien sûr, Google n’était pas le premier moteur de recherche, mais ils ont inventé un nouveau modèle économique avec l’introduction d’algorithmes SEO. Personne n’a réussi à les supplanter aujourd’hui.

L’une des caractéristiques du digital, là où auparavant on parlait d’une concurrence pure et parfaite, où les acteurs se partageaient équitablement le gâteau, ce n’est pas le cas dans le digital.

Tout va vers le meilleur.

Le dilemme d’exploration/exploitation adapté au marché des voitures électriques

Wladimir :

« On peut observer ce phénomène dans le marché de la voiture électrique. Tous les acteurs traditionnels et européen ont 15 ans de retard sur Tesla et les constructeurs chinois.

Les grands constructeurs allemand et français sont en train de faire face à l’un des plus grands défis de leur histoire. Leur survie est en jeu.

Ils ont fait le choix de dire qu’on n’y croit pas, on va attendre que le marché se développe. Et à la suite des succès de Tesla, quand ils ont décidé de se lancer, ils doivent rattraper du retard.

Et rattraper du retard est extrêmement coûteux, car Tesla à toujours 3 coups d’avance.

Tesla, en ayant adopté de nouveaux process de fabrication, peut réduire ses coûts et améliorer la rapidité de construction de ses véhicules.

Les constructeurs traditionnels ont remarqué qu’il faillait des batteries pour construire leurs voitures électriques.

Mais aujourd’hui, Tesla fabrique ses propres batteries, Tesla fabrique en interne tout son système informatique pour la conduite autonome et de pilotage de la voiture.

Eux ne l’ont pas, ils vont devoir l’acheter à l’extérieur, et donc forcément réduire leur marge et perdre de la valeur. »

Islam :

« Il y aussi ce fait que Tesla a des années lumières d’avance quant à la récolte de la Data »

Wladimir :

« Les autres constructeurs ne récupèrent pas de data. Ils ne connaissent pas le client.

Pour eux, le client c’est le concessionnaire auto à qui ils vendent les voitures, quant à l’utilisateur, ils n’ont aucune information sur lui.

Mais ils ont compris que c’est un énorme point faible, ils sont en train de se transformer pour combler ces lacunes, mais ils ont du retard.

On a pu le voir avec la baisse du prix des voitures Tesla qui ajoute une nouvelle barrière à l’entrée pour les constructeurs traditionnels.

Tesla a des marges bien meilleures qu’eux, ils ont décidé du jour au lendemain de baisser de 10 000 € le prix de leurs produits. »

The winner takes it all

 Islam :

« Tu m’a dit que Google n’était pas le premier moteur de recherche, que Facebook n’était pas le premier réseau social. Mais pourtant ce sont des acteurs qui ont réussi à se positionner en numéro 1 »

Wladimir :

« Oui, mais en innovant, ils n’ont pas copié les autres. C’est tous les moteurs de recherche précédent Google qui faisaient la même chose, qui se copiaient.

Google est arrivé en mettant en avant la qualité des pages internet pour sélectionner le contenu présenté à l’utilisateur.

Personne n’a rattrapé Google.

Ils ont une telle avance technologique que si un concurrent voulait faire la même chose, ça lui coûterait beaucoup plus cher. »

Le dilemme d’exploitation/exploration adaptée au web3 : en conclusion

L’expertise de Wladimir Taranoff m’a éclairé quant aux stratégies à mettre en place face à une technologie en cours de développement.

Se contenter de patienter que de nouveaux cas d’usage fassent leurs apparitions, c’est prendre le risque d’accumuler un retard de développement conséquent, qui se répercute :

  • dans le meilleur des cas, sur les marges de l’entreprises
  • dans le pire, au dépôt de bilan de la société.

 Le marketing digital à comme particularité d’évoluer rapidement, très rapidement.

Il s’avère donc périlleux de sous-estimer le potentiel d’une technologie naissante.

Le dilemme d’exploitation/exploration ne semble pas s’appliquer aux enjeux du web3.