2017 sera l’année de la vidéo ! Voilà ce que l’on entend régulièrement de la part des professionnels du net et plus spécifiquement en marketing digital.
Si la tendance est devenue vérité au cours des derniers mois, comme le fait que dorénavant ‘69% de la bande passante du web est consacré à la video’ (Romain Persuy) ; la chose ne se fait pas sans heurt, la faute notamment à un écart entre diffuseurs plus habitués aux codes télévisuels classiques et le microcosme des différents hébergeurs de vidéos ayant développés leur propre business plan et process.
Cet article a pour objectif de revenir sur un épisode houleux qui a eu lieu en début d’année et qui marque à mon sens un tournant majeur pour Youtube et ses répercussions pour la vidéo sur le net : le bien nommé Adpocalypse.
Youtube le tout puissant
Pour poser le cadre de toute cette affaire revenons quelques instants sur ce colosse de la vidéo qu’est Youtube.
Fondée en 2005, rachetée en 2006 par Google pour la modique somme de 1,65 milliard USD (ce qui au passage en fait la 4e acquisition la plus chère du groupe) Youtube est passé de la petite plateforme conviviale où tout le monde postait sa vidéo pour s’amuser (dont on se demandait comment Google aller faire pour la rentabiliser) à un empire incontournable du net, machine de guerre du contenu, en moins d’une dizaine d’années.
Les chiffres d’ailleurs donnent le tournis :
1,5 milliard d’utilisateurs logged par mois soit 1 humain sur cinq (juin 2017 source)
1 milliard d’heures de vidéos vues par JOUR (cela fait 114 000 ans)
70 versions localisées et 76 langages utilisés,
25 % de leur trafic se fait par mobile,
chaque minute qui passe c’est 72 heures de vidéos qui sont uploadées,
troisième site le plus consulté après Google et Facebook
c’est aussi 4 milliards de chiffre d’affaire en 2016.
Des chiffres effarants, que l’on a du mal à remettre en perspective, tant ils sont énormes, mais qui prouve la puissance de l’hébergeur de vidéos.
Youtube ce boss qui ne vous dit rien.
Cette suprématie, le géant américain ne la doit pas qu’à lui seul mais à un microcosme de youtubers.
Ces créateurs de contenus vivants de leur créations vidéos deviennent de plus en plus professionnels et traitent tous les sujets : musique, sujets d’actualités, lifestyle, e-sport, comédie, tutos etc… Plus de choix de thématiques et plus de qualité c’est donc aussi plus de viewers et plus de revenus pour YouTube.
La relation entre youtubers et YouTube est complexe, en effet le géant ne communique que très peu sur les modifications de sa plateforme, ses futurs évolutions, et encore moins sur les changements de son algorithme qui gère les vidéos mises en avant sur les divers flux de viewers, la monétisation ou démonétisation des vidéos des youtubers, les statistiques des chaînes etc.
YouTube fait donc ses implémentations sans rien dire à personne, charge à ceux qui en vivent de détecter les changements et de trouver des solutions qui vont avec.
Et quand on travaille avec un boss qui change les règle du jeu sans prévenir, c’est à devenir fou.
‘Dura Lex Sed Lex’
Déjà en septembre 2016, certains créateurs s’alarmaient de désabonnements massifs lorsqu’ils publiaient une nouvelle vidéo. (200 abonnements perdus en moyenne)
Perte des abonnés lors la publication d’une nouvelle vidéo
De plus, certaines vidéos récemment sorties n’apparaissent plus dans le fil des abonnés, ce qui fait perdre nombre de vues aux vidéos impactées et donc de revenus à leurs créateurs. (une perte de près de 50 % de revenus en moyenne)
L’onglet tendance est aussi pointé du doigt, auparavant destiné aux vidéos les plus vues et/ou les plus populaires, il est devenu uniquement réservé à des contenus produits par les chaînes de télévision. Ce n’est donc plus un onglet tendance mais ‘sponsorisé’ !!
Et enfin le plus important : quelques vidéastes constatent sporadiquement une démonétisation de leurs vidéos jugées sensibles par l’algorithme et c’est ce dernier point qui sera un tournant pour la suite…
Les démonétisations sont cependant clairement indiquées (par un dollar jaune dans l’interface des créateurs) et les créateurs peuvent la contester.
Modification des conditions de monétisation 2016
Comme à son habitude, l’hébergeur reste muet malgré une inquiétude grandissante de la part des créateurs du monde entier qui craignent de ne plus pouvoir traiter librement leurs sujets (Pewdiepie en tête, le plus gros youtuber mondial).
« Et il lui fut donné une bouche proférant des paroles arrogantes et blasphématoires »
(Apocalypse selon saint Jean 13.5)
Nous avons donc un écosystème mouvant depuis septembre 2016, des règles de démonétisations certes laxistes mais existantes qui créent une certaine tension entre YouTuber et YouTube.
Déjà en février 2016 une vidéo polémiste de Pewdiepie, lorsque ce dernier pour montrer l’absence de limite du site Fiverr (site d’annonce pour demander des services aux internautes généralement des Freelances)
Il demanda aux utilisateurs Fiverr de faire une vidéo avec une pancarte « mort au juifs ». Hélàs ce qui devait arriver arriva : deux personnes réalisèrent la vidéo avec la pancarte en question …
L’affaire PewDiePie
Blague au goût très douteux, qui mécontenta fortement le premier sponsor du Youtuber : Disney.
Le New York Times en fit ses choux gras l’affaire fut montée en épingle, et alors que Pewdiepie voulait montrer le manque de modération de Fiverr, ce fut l’arroseur arrosé, les médias ne pointèrent qu’une sortie de plus du youtuber, malgrès des excuses dans tous les sens de la part du Youtuber, Disney mit fin de facto à son partenariat.
Bref le torchon brûle entre créateur de contenu et annonceur… mais le pire reste à venir
C’est un article du Times de Mars 2017 qui va mettre le feu aux poudres, en effet l’auteur explique que les diffuseurs financent sans le savoir des groupements terroristes ou des mouvements d’extrême droite, car leur annonces monétisent des vidéos émanant directement de ces mouvances sur YT.
Rendez vous compte le gouvernement anglais lui même lors d’annonces sur YT s’est rendu compte qu’il finançait le terrorisme !
L’affaire prend de l’ampleur rapidement quand l’agence HAVAS (uniquement la branche anglaise) suivit de très près par Verizon et AT&T, lance un bras de fer en se retirant du jour au lendemain de YT… tremblement de terre chez Google ces annonceurs et près de 250 marques (McDonald, l’Oreal, Kia, Hyundai, Cocacola…) représentaient près de 20 % de leur revenus publicitaires, on estime la perte à 755 millions USD pour la firme.
Entre parenthèse il est très intéressant de remarquer que la presse écrite est très partisane concernant Youtube, le moindre écart est relaté dans les moindres détails, portant un jugement très sévère sur le secteur. De là à supposer que la presse mortifère depuis l’arrivée du web, essaie de décrédibiliser les youtubers pour redorer leur blason et regagner du terrain, il n’y a qu’un pas.
« Et je vis descendre du ciel un ange qui tenait dans sa main la clef de l’abîme et une grande chaîne » (Livre de l’apocalypse selon Saint Jean 20.1)
Afin de rassurer les annonceurs, YouTube, sous pression, va sévèrement changer de braquet ! YT (toujours sans avertir les youtubers) va démonétiser grâce à un nouvel algorithme, tout ce qui touche de près ou de loin à des sujets sensibles, mais absolument tout !
C’est d’ailleurs le fameux PewDiePie qui lança la formule « adpocalpyse » reprise en chœur dans les médias.
Un youtuber de jeux vidéo où l’on voit une arme ? Démonétisé
Une vidéo parlant avec humour de sexe ? Démonétisé
Un historien expliquant la vie dans les tranchées en 14 ? Démonétisé
Une visite d’un Bunker de la 2e guerre mondiale ? Démonétisé
Un avis neutre sur les attentats de paris ? Démonétisé
Un débat sur la religion ? Démonétisé
Et la liste est très très longue, le simple fait de dire une insulte, un blague salace, ou un avis tranché vous met sous le coup de cet algorithme qui a fait d’énormes ravages dans la communauté.
« Un demi-million de vues, c’est pile assez pour un grec ». La punchline du youtuber Prime, résume à elle seule la colère la peur et l’impuissance des Youtubers multipliant dans le courant du mois d’avril 2017 les vidéos de protestations.
Car pour ces dernier l’addition est salée : la majorité des Youtubers ont accusé une baisse de 20 à 40% de leurs revenus au mois d’avril, mais ces chiffres sont parfois montés jusqu’à 90 voire 95%, pour certains. (or pour rappel leurs revenus avaient déjà fondu de 50 % en septembre)
Le pire dans tout cela est que personne ne comprend comment ce nouvel algorithme travaille, certaines vidéos à caractère franchement polémistes sont épargnées, d’autres très soft se font démonétiser en masse.
En 2015, 1000 vues équivalaient à 1$, cet adpocalypse fait tomber alors la rémunération en moyenne à 4 centimes pour 1000 vues !
Les pertes sont donc lourdes et injustifiées mais l’important pour YT n’est pas de s’occuper de sa communauté de vidéastes (qui tout de même le fait vivre) mais ses annonceurs.
Aucune communication n’a été faite en direction des créateurs pour les aider à mieux calibrer leur vidéos – ce qu’ils demandaient à minima – rien, pas un seul message, laissant penser aux youtubers qu’en plus d’être la dernière roue du carrosse ce sont eux qui payent financièrement les errements de ciblages publicitaires de Youtube.
Le YouTube de demain ? BisounoursLand saupoudré de gentilles licornes
Cet événement a laissé des marques profondes dans le milieu, soyons clair c’est un tournant dans l’histoire du net : que va devenir l’avenir de la vidéo sur le web ?
Alors que pour beaucoup nous trouvions sur YT ce que nous ne trouvions pas (ou plus?) à la télévision : des vidéos qui donnent à penser, qui font réfléchir, des échanges de points de vues, de l’humour frondeur, et surtout à la demande et n’importe où ; l’argent s’en mêle et nous risquons de retrouver les travers de la télévision sur nos chaînes favorites, un contenu aseptisé, remplies de chatons et d’hello kitty.
Mais alors comment survivent les youtubers depuis quelques mois ?
Nous avons dorénavant des Youtubers qui s’autocensurent (par peur de démonétisation), ce qui pose le problème de la diversité, aurons nous demain un YouTube policé, à pensée unique ?
Les gamers (surtout ceux de jeux de guerre) ont migré sur Twitch (détenu par Amazon) qui s’est donc frotté les mains, la communauté twitch est d’ailleurs bien particulière : elle a l’habitude de « tipper » les streamers, c’est à dire de faire des dons de quelques euros, leur permettant de faire vivre la chaîne.
YT a bien essayé de contre-attaquer en avril 2016 en lançant sa plateforme dédiée aux jeux (et donc non démonétisée) mais pour l’instant bien qu’il y ai plus de viewers sur YT, comme ces derniers n’ont pas la culture du tips, twitch reste privilégié par les streamers de jeux vidéos.
A noter aussi que ce transfert de YT vers Twitch a drainé d’autres formes de stream : jeux de rôle, unboxing, let’s play, et même des choses qui n’ont aucun rapport avec les jeux… bref Youtube avec sa politique restrictive a favorisé une progression de son principal concurrent sur le secteur du stream gaming.
D’autres Youtuber (notamment ceux traitant de l’histoire, de la politique, ou bien des actualités) ont lancé des campagnes de dons sur Teepee ou d’abonnements payants.
En effet, si ils veulent garder leur indépendance et une certaine liberté éditoriale, malgré des vidéos démonétisées, il faut que les viewers soutiennent financièrement la chose.
C’est donc une nouvelle forme de consommer de la vidéo : soutenir des créateurs qui nous divertissent.
Après tout n’est ce pas le minimum pour avoir un contenu de qualité, consultable au moment que l’on veut ?
Nous payons tous une redevance télé pour visionner des programmes dont on ne peut choisir le moment de visionnage (et l’offre replay reste pauvre et truffée de publicité) et que l’on subit plus qu’on ne choisit, redevance additionnée de publicités, mal ciblées ; pourquoi ne pas payer uniquement pour ce que l’on souhaite et à la hauteur de nos moyens financiers ?
Enfin la majorité des Youtubers connus ont certes impacté pendant le mois d’avril-mai mais il semblerait que depuis juin les choses seraient revenues à la normale, un peu moins de gains publicitaire certes, dû à une démonétisation des anciennes vidéos, Wait & See…
2017 a effectivement été une année où la vidéo a explosé mais la pression des annonceurs a significativement changé le paysage du streaming/youtube. En provoquant ce séisme, les avantages immédiats -un contenu policé pour pousser une communication de marque- seront peut être contrebalancés par un désintérêt des spectateurs que nous sommes.
Une chose est sûre, les cartes sont rebattues et il est clair que de nouvelles façons de consommer des vidéos ne vont cesser d’apparaître dans les prochains mois…
SOURCES :
Excellente vidéo d’Absol sur le sujet ICI
Témoignage de youtubers de juillet dernier réalisé par la Millenium : Aypierre, Mamytwink, Domingo, Lutti
Interview du youtuber ‘totalbiscuit’la plus récente qui revient sur l’affaire et l’état d’esprit des youtubers 6 mois après
https://www.forbes.com/sites/erikkain/2017/09/18/adpocalypse-2017-heres-what-you-need-to-know-about-youtubes-demonetization-troubles/#38d9562b6c26
Article de septembre 2016 illustrant les premiers changements de monétisation de YT :
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/les-nouvelles-regles-de-youtube-ressemblent-beaucoup-de-la-censure/
la perte de revenue en peu plus en détail :
http://www.tubefilter.com/2017/05/04/how-youtube-adpocalypse-affected-top-creators/