Interview de Barbara Semel, le devenir des musées

Professeur titulaire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en charge du cours d’histoire de l’art à l’ère du numérique, Barbara Semel s’intéresse de près aux évolutions constantes impulsées par le numérique au sein de l’écosystème artistique et culturel. Dans le cadre du cours qu’elle dispense, elle est au fait de toutes les avancées. Barbara Semel partage ici son point de vue sur une question qui peut paraître simple « Quel est le devenir du musée ? ». Cette question va permettre d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexions sur le monde de l’art aujourd’hui et dans les prochaines années.

Quel est le devenir des musées ?

« C’est une vaste question auquel je ne peux apporter de réponse précise mais des pistes de réflexions. A mon sens quand je me pose cette question, je me dis qu’il y a énormément d’expérimentations, de tâtonnements sur le devenir du musée mais qui est lié au numérique. Ces expérimentations demandent d’être davantage analysées même s’il y a des recherches sur le sujet. Il me semble qu’il y a une utilisation des outils numériques « pour les utiliser » au sein des musées sans suffisamment de réflexion en amont. Après, on peut penser que c’est « en utilisant les outils » qu’on impulse une réflexion. Il y a cependant un moment où cette réflexion doit avoir lieu de manière rigoureuse et argumentée pour concrètement avancer.

 

J’ai l’impression que nous sommes à cette étape de prise de recul sur tous ces nouveaux outils et cette prise de recul demande un certain délai. Par ailleurs, la réflexion sur le devenir du musée met en perspective des questions qui sont un peu « tabous ». Des questions portant sur les œuvres d’art, le patrimoine mais aussi les reproductions d’œuvres. Les interrogations portent principalement sur le rapport que nous entretenons à tout ce que je viens de citer. Le fait qu’aujourd’hui le public aime autant voir une reproduction d’œuvre que l’original car c’est plus « confortable » suscite questionnement : Les musées doivent se saisir de ces questions autour de l’œuvre matérielle et du rapport à sa valeur.

 

Je sais que cette réflexion a été mené dans le cadre du dispositif des « micro-folies » qui me semble avoir fait un effet bulle de savon. Ce dispositif a été lancé dans différentes banlieues dites « difficiles » ; des endroits où l’on pouvait voir des reproductions d’œuvres accompagnées par des médiateurs. Le but était de donner accès aux populations à la reproduction des œuvres ce qui allait leur donner envie d’aller voir les œuvres originales dans les institutions. Ce dispositif a soulevé plusieurs questions, dont la première : pourquoi mettre que des reproductions dans les banlieues et pas les œuvres ?

Même si la reproduction a toujours été un outil de diffusion et de médiation. Ce qui est intéressant c’est que je n’ai pas l’impression que ce dispositif a été un grand succès, on en entend plus vraiment parler. Mais ce type de dispositif ne semble pas forcement prendre auprès du public..

Aussi, tout ce qui est « visites virtuelles » ne me paraît pas supplanter l’attirance que les gens ont pour les musées. En effet, aller au musée c’est plus que voir une œuvre, « on veut y aller », c’est une action volontaire. On a besoin du musée comme lieu physique de sociabilité et expérience partagée. Le musée est un lieu « fait pour ça », on vient pour voir des œuvres authentiques. Il ne me semble pas que le musée du futur aura une réelle influence sur un réel changement de paradigme ou de fond dans la manière dont le musée fonctionne. Cette impression m’est personnelle : Il y a selon moi juste des dispositifs qui s’ajoutent mais pas réellement de transformation de fond. Ou alors, il faut des re-créations type « Atelier des Lumières », dans ce cas on n’est pas que face à des reproductions mais face à une création d’une nouvelle œuvre à partir d’œuvres existantes.

Les questions qui vont aussi en découler sont de l’ordre de la muséologie et de la scénographie « qu’est-ce qu’on expose dans les musées ? », « comment exposer les œuvres numériques ? ».

 

Il est sûr et certain que le fait d’exposer de l’art numérique va changer des éléments au sein des musées.  La nature des collections va influencer les différences entre les musées. Des questions portant sur l’organisation des espaces muséaux vont forcément surgir. Il semble intéressant de confronter des œuvres numériques avec d’autres dites classiques mais « comment le faire ? ».

Pour conclure, il me semble évident que c’est à travers les questionnements qu’on vient d’évoquer et les enjeux qui en découlent que reposent le musée du futur. En somme, ces questionnements doivent se faire sur un temps long entre 5 et 10 ans afin d’avoir un recul nécessaire… »

 

Propos recueillis par Isaure Ravix-Letourneur

Pour avoir quelques chiffres sur le sujet n’hésitez pas à consulter cette infographie