Interview d’expert sur la réalité virtuelle avec Nouredine Saadi

Aujourd’hui, nous recevons Nouredine Saadi, fondateur de l’agence Puissance VR, spécialisée en création d’expérience en réalité virtuelle. Dans cet entretien, nous nous intéressons aux raisons qui poussent aujourd’hui les différentes industries à s’intéresser à cette technologie, sa maturité, ses cas d’usages actuels et bien sûr, le futur de ce média.

Réalité virtuelle

La génèse, ce qui pousse à créer des expériences en réalité virtuelle aujourd’hui

Harold :

« Qu’est-ce qui vous a poussé à ouvrir une agence spécialisée dans les projets AR/VR ? Quelles opportunités y avez-vous vu ? »

Nouredine :

« Pour moi, le but en ouvrant cette agence de conseil pour les projets VR c’était surtout de lier une de mes passions à mon métier.
L’opportunité que j’ai vu et qui m’a poussé à ouvrir cette agence, c’est que la technologie est encore toute nouvelle. Il y a donc beaucoup de cas d’usages qui ne sont pas encore exploités. Ces cas d’usage, il faut les créer. Les entreprises qui créent des jeux ou des applications en VR ont les ressources en interne, mais pas toujours la vision. Le but de mon agence, c’est de proposer des adaptations de process existants dans les services des entreprises, en VR pour proposer des cas d’usage novateurs. »

La réalité virtuelle : c’est pour qui exactement ?

Harold :

Quels secteurs d’entreprise ou segment de marché vont à l’avenir, le plus bénéficier du développement des technologies AR/VR ? 


Nouredine :

Je pense qu’il y a un gros potentiel à exploiter côté événementiel et rencontre dans les entreprises. Quand tu combines les technos VR/AR avec des métavers privatifs, tu peux très vite aménager des espaces de coworking, ou organiser des séminaires d’entreprise, des rencontres entre collègues dans des espaces virtuels, que tu peux beaucoup plus facilement rendre attrayants et modifier à ta guise que si tu faisais les mêmes choses en physique. 

Après, bien sûr, le segment de marché qui va le plus bénéficier du développement de la VR c’est le jeu vidéo. C’est déjà le plus rentable aujourd’hui, c’est celui auquel on associe la technologie par défaut. Le problème c’est qu’aujourd’hui les options dans les catalogues de jeu VR sont trop pauvres par rapport à l’offre globale sur les autres plateformes. 

Ensuite, le deuxième segment de marché qui va clairement bénéficier de l’adoption et la maturation de la VR c’est le domaine de la formation. C’est certain. On le sait maintenant, quand on regarde les études qui reprennent le pourcentage d’informations retenues au bout de 24h. Plus l’apprenant est stimulé et actif dans son processus d’apprentissage, mieux il retient. 

Quand on prend en compte tous les types de stimuli et mécanismes que mobilise la VR on se rend compte que c’est presque 70% des informations qui sont retenues par les apprenants après 24h contre 30% en moyenne pour un cours en présentiel, 20-25% pour les vidéos etc. 

Dans le domaine de la formation, on a des cas d’usage assez intéressant en VR parce que comme certaines boîtes ont fait des investissement massifs dans la techno, elles cherchent à rentabiliser ces investissements et ça se traduit par des formations assez pointues pour des milieux de niches, comme les interventions en terrain accidentés ou dangereux par exemple. 

Ensuite pour l’AR plus que la VR, ça représente une opportunité de divertissement accessible depuis les smartphones dès aujourd’hui. Tu peux le voir avec le gros boom des filtres sur snapchat ou instagram par exemple. 

La réalité virtuelle : une technologie assez mature ?

Harold :

« Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez en tant qu’agence proposant des expériences VR pour particuliers et entreprises ? Est-ce que vous estimez que la technologie est déjà suffisamment mature pour être utilisée à son plein potentiel ? « 

Nouredine :

« Eh bah on en parlait avant, mais c’est surtout une question de cas d’usage.
Typiquement la réalité augmentée que j’évoquais à l’instant, les filtres sur smartphone c’est ludique et sympa mais certaines applications qu’on nous vend comme le futur, franchement ça vend pas toujours du rêve…

Tu vois le Apple vision qui a été présenté, c’est beau, mais c’est “juste” du spatial computing. Franchement, mettre ce prix-là pour juste avoir des écrans dans l’air c’est naze.
Alors oui, c’est super, c’est cool et c’est innovant, mais la réalité c’est que ça n’est pas pratique et qu’en plus de ça, ils ont fait le choix de ne pouvoir utiliser que ses mains comme outils. Pourquoi ne pas faire comme tous les autres casques de VR pour pouvoir être compatible avec tous les jeux ? Parce que dès que tu retires les manettes, tu te coupes tout espoir de compatibilité avec les jeux, tu te sépare du gaming qui est quand même LE secteur principal de la VR/AR. C’est d’autant plus dommage qu’ils n’ont pas prévu de retour haptique malgré le fait que ça soit les mains l’outil de navigation principal.

Et ce problème que je viens de t’exposer en fait c’est un super exemple pour parler du plus gros point d’attention à porter pendant le développement des techno et application VR/AR, c’est l’accessibilité.
Dans le monde du jeu vidéo, de toute façon, les casques de réalité virtuelle, ils sont accompagnés de manettes donc les joueurs ne sont pas largués parce qu’ils savent déjà se servir du hardware.
Par contre, dans toutes les autres applications, rien ne garantit que ton utilisateur est déjà un gamer et la prise en main peut être très compliquée.

Le challenge c’est de rendre intuitif la navigation dans les interfaces Homme-Machine. Soit il faut passer par une phase de tutoriel avec quelqu’un qui t’explique et te guide dans ton apprentissage des contrôles avec ton corps ou le hardware, mais ça peut être long et fastidieux, d’autant plus que ça implique que la personne qui t’explique, ait un retour visuel sur ce que le casque de réalité virtuelle transmet ; soit il faut trouver des nouvelles méthodes d’UI plus faciles d’accès et intuitives. C’est exactement ce qu’ont fait les gars du stand néo-zélandais : pour naviguer dans les différents espaces, le seul mouvement que tu avais à faire, c’était tendre les mains dans une certaine position, et ça permettait au joueur d’ouvrir un portail dans lequel il pouvait passer pour changer d’espace. Hyper simple, hyper efficace, et accessible à tous.

Après, évidemment, c’est une problématique dont les tenants et aboutissants varient avec chaque typologie de projet aussi. Là, mettre en place une UI simple c’est efficace parce que le but de l’expérience c’est de te montrer un univers visuel, mais dès qu’on va dans le domaine de la formation un peu plus poussé, là on ne peut pas se permettre de simplifier autant les interactions.
Par exemple dans une simulation d’opération chirurgicale, qui est un super exemple d’intérêt de la réalité virtuelle pour la formation d’ailleurs, le but va être de recréer une représentation fidèle de la réalité pour s’entraîner dans des conditions quasi réelles.
Tu ne peux pas te permettre de remplacer un mouvement de scalpel ultra précis de la réalité par un mouvement de ciseaux avec deux doigts. » 

Est-ce que c’est réservé au jeu vidéo ou aux joueurs la VR ?

Harold :

« On attribue surtout les technologies AR/VR à l’industrie du jeu vidéo ? Avez-vous observé des différences fondamentales entre les publics ciblés par vos actions et les communautés de joueurs ? plus généralement, vos clients sont-ils des joueurs eux-mêmes ou au contraire absolument pas ? » 

Nouredine :

« Les clients que j’ai ne sont pas du tout des gamers. En fait, ils appréhendent la technologie VR/AR comme un outil BtoB et plus généralement ils voient l’intérêt de cet outil pour tout ce qui concerne les limites spatiales.

Par exemple, un des clients avec qui j’ai pu échanger récemment c’est SOS Méditerranée, je ne sais pas si tu les connais. C’est une association qui s’est donné pour mission d’aider les migrants pendant leur passage de la méditerranée et surtout les rescapés de naufrage.

Leur idée était que, plutôt que de faire des appels aux dons via toute une batterie de canaux digitaux comme les mails, les sms, les appels aux dons sur les réseaux sociaux, ils pourraient proposer une mise en situation où le joueur serait plongé au cœur d’une opération de sauvetage.

Un autre exemple, c’est une association qui nous a contacté pour réaliser un tournage qui montrait la réaction des enfants dans leur nouvelle école construite grâce à l’asso.

Ces deux opérations, elles ont été présentées à des stands pendant des évènements pendant la suite de l’année et rien que sur leur présence à ces stands, avec les dons des participants pendant l’événement, ils ont fait X3, X4 sur leur investissement pour la création du contenu en réalité virtuelle qu’on leur a fait. 

    Et c’est là que tu te rends compte que c’est un outil hyper intéressant pour susciter l’émotion aussi, et donc qui a des implications pour le marketing qui sont vraiment intéressantes à explorer. » 

    Harold :

    « Pourriez-vous me citer des exemples d’applications ou de mécanismes du jeu vidéo qui mériteraient d’avoir plus d’attention de la part des entreprises et institutions ? » 

    Nouredine :

    « En fait, moi je participe régulièrement à des tournois de golf caritatifs dans le métavers. Une fois par an on a ce tournoi de golf gratuit avec des gens du monde entier ou il y a une cause et on fait tous un don.
    Alors bien sûr pendant les périodes de jeu, n’importe qui qui a déjà joué au golf ou aux jeux vidéo avec des amis sait que tu ne fais pas que jouer pendant que tu joues. Tu discutes, tu te fais des blagues, tu racontes ton quotidien, tout ce genre de choses.
    Et bref, après la phase de jeu du tournoi, le lendemain il y a la cérémonie de remise des prix, où tous les joueurs se retrouvent dans un salon commun, avec des flutes de champagnes, on a même accès à des émotes pour se faires des high-five ou ce genre de chose. C’est pas grand chose dit comme ça, mais c’est quand même un moyen fort de créer du lien, de se créer une appartenance à une communauté et puis tout simplement de socialiser.
    Un exemple marrant c’est que dans ce tournoi, cette année il y avait l’acteur qui joue Gimli dans la trilogie du seigneur des anneaux. J’ai oublié son nom mais c’était rigolo de se rendre compte que ce type et moi on avait des choses en commun.
    Donc l’aspect social des jeux vidéo est vraiment un aspect encore extrêmement sous-estimé par le business alors qu’en fait, de par le partage d’expérience, ce sont des communautés qui sont hyper soudées.
    C’est d’autant plus important avec les métavers et la réalité virtuelle qu’il y a très peu de limites techniques en termes d’expériences que tu peux proposer et imaginer. Chaque année pendant mes modules de cours que je donne sur la réalité virtuelle justement, je propose un atelier à mes élèves où ils doivent imaginer un usage innovant de la réalité virtuelle et il en ressort toujours des idées géniales !

    Si les marques en étaient conscientes, je suis certain qu’elles saisiraient ces opportunités mais aujourd’hui elles n’ont pas conscience du fait que la technologie est déjà présente et qu’on peut la mobiliser pour des coût parfaitement raisonnables si tu les compares ne serait-ce qu’au campagne de marketing print avec des budgets délirants.

    Donc il y a aussi un gros travail de sensibilisation et d’éducation à faire auprès du business qui va être d’autant plus important prochainement parce que le fait qu’il y ait un décalage entre le niveau de maturité des utilisateurs et celui des entreprises face à l’appréhension des technologies Réalité Virtuelle et Réalité Augmentée.


    En dernier point je pense qu’il y a aussi de grosses opportunités pour les opérations de sponsors dans le jeu vidéo, surtout dans les jeux de sport. C’est tout simple mais aujourd’hui t’as des marques qui dépensent des millions pour placer leurs pub de 1à secondes pendant les interludes du superbowl, ou dans les affichages sur les bords de terrain dans les stades de foot, parce que ce sont des évènements qui sont regardés par énormément de monde.
    Mais en fait, on peut totalement appliquer la même logique aux jeux vidéo. Prends l’exemple de fifa : c’est presque 1 million de jeux FIFA qui sont achetés juste en France chaque année et par les mêmes joueurs en plus. Si tu places un opération sponsorisée dans les stades du jeu en tant que marque, c’est un public potentiel monstrueux que tu peux atteindre. Et là, je ne parle que des joueurs mais il faut aussi prendre en compte le marché du streaming live qui est en pleine explosion, justement grâce aux jeux vidéo qui ont démocratisé la pratique, et les compétitions d’e-sport aussi. »