Interview de Jacques Dinguirard, expert du BIM (Building Information Modeling)

Dans le cadre de mon parcours professionnel, je me suis intéressé à la transformation digitale du secteur de l’immobilier et du bâtiment. Ainsi, j’ai eu la chance de rencontrer Monsieur Dinguirard Jacques, anciennement Directeur d’exploitation chez EXO-BIM Groupe, responsable de la cellule BIM Design chez Dumetier Design et co-fondateur de la startup CHEZ MOI DEMAIN qui utilise la méthode BIM pour ses projets de construction.

Il a accepté de partager, à travers cette interview, son expertise sur la méthode BIM (Building Information Modeling) en France et à l’étranger. Également sa vision, ses attentes et ses freins. 

« Mes différentes expériences m’ont amené vers une technologie de plus en plus prisée en France mais encore méconnue de beaucoup dans son potentiel, le BIM »

Jacques Dinguirard

Comment votre aventure BIM a-t-elle commencé ?

Mon arrivée dans le BIM est due à 2 facteurs : mes études dans le génie civil et ma carrière dans le digital accompagnant plusieurs entreprises dans leur transformation digitale.

Pour apprendre le BIM et me perfectionner je me suis rendu à sa source, en Europe de l’Est, où le BIM et le digital sont adoptés depuis des années. J’ai également passé beaucoup de temps en Hongrie, pays qui a vu naître sous l’ère communiste le 1er Logiciel paramétrique (aujourd’hui « Archicad »). J’y ai construit une entreprise de service et nous avons mené une vingtaine de projets pour développer mes expériences.

« Cela fait maintenant plusieurs années que je développe cette technologie avec mes équipes et je sais aujourd’hui que cet outil est une réponse en matière de construction, mais également de modes de vie de demain ».

Qu’est que le BIM d’après vos termes ?

Le BIM est un processus paramétrique et collaboratif permettant de concevoir synthétiser et exploiter des modèles constructifs, avant pendant et après sa réalisation. Il est aussi l’outil de collecte de données qui permettra à terme et à travers des outils de mathématique statistique (PLSS) de prédire les projets d’avenir.

Pour définir le BIM, c’est très simple, il faut imaginer des pièces de legos sur une table ; on va leur apprendre à se comporter entre elles et leur attribuer un ensemble d’informations. C’est ici la base du processus paramétrique et collaboratif.

En quoi cela a-t-il révolutionné le secteur du bâtiment ? 

En France, le BIM n’a pas encore eu le temps de révolutionner grand-chose. Cette technologie a du mal à être acceptée. La faute aux impératifs actuels qui sont de produire, dans des délais courts avec des budgets serrés, etc. Ce qui fait que les entreprises et les institutions ne mettent pas les moyens nécessaires et ne trouvent pas le temps pour cette transition digitale. Il faut noter aussi que l’âge moyen est élevé dans monde du bâtiment en France, c’est une deuxième transition digitale importante pour toute une génération ; ils sont confrontés entre la complexité du marché, les habitudes du terrain et les investissements à mener, il est difficile d’avoir le courage de s’y lancer.

Dans les pays anglo-saxons et en Europe de l’Est, c’est déjà un usage courant depuis plus de 20 ans.

Cette technologie « redistribue les cartes », elle crée des métiers, il y a plus de précisions dans la construction, cela diminue les aléas et surtout cela remet le client au centre de son projet.

Tous les acteurs du secteur se retrouvent réunis sur une même « plateforme » et sont obligés de collaborer, d’être transparents, ce qui n’est pas naturellement Français !!

La transition est-elle bien accueillie auprès des professionnels ?

L’accueil du BIM est considéré comme une vraie solution, mais c’est difficile de le mettre en œuvre actuellement. C’est une grosse transition digitale, ce qui implique une vraie remise en cause des processus, peut-être trop pour toute une génération. Cette technologie casse les codes : au lieu de fonctionner en silo, le BIM implique de fonctionner dans un model collaboratif.

Quels sont les secteurs touchés ?

L’ensemble des secteurs du bâtiments sont touchés. Principalement, la maitrise d’œuvre, car la donnée de base vient d’eux et que tout dépend de leurs compétences pour la bonne continuité du processus.

L’être humain et la technologie cohabitent-ils bien dans ce secteur ?

C’est une réponse qui dépend des générations. Les anciennes générations ont du mal avec tant de changements, alors que les nouvelles générations ont grandi avec la 3D et ont donc des facilités.

Une autre complexité est la multiplication des ethnies sur les chantiers ce qui rend la communication difficile, les plans 2D restent aujourd’hui le moyen de communication le plus sûr.

Si on prend l’exemple de l’Europe de l’Est, le model paramétrique est enseigné depuis plus de 20 ans dans les universités. C’est complètement intégré dans l’esprit des gens. La Hongrie est notamment le berceau du model paramétrique. 

Est-ce que les particuliers sont conscients de cette technologie ?

Aujourd’hui, comme demain ce sera complètement transparent. C’est comme pour la DATA, le monde vit avec sans s’en rendre compte.

La DATA accumule des données énormes qui vont permettent demain d’être plus fin, plus précis dans les processus de construction des bâtiments. Ça créera des bénéfices utilisés mais invisibles.

Quels sont les avantages du BIM ?

Aujourd’hui nous sommes seulement en phase d’apprentissage. Les bénéfices en construction pure se feront ressentir dans les 5 ans. Dans les 10 prochaines années la DATA va permettre de grandes améliorations mais pour l’instant il faut la définir, la collecter et l’analyser ce qui prend du temps.

Prenons pour exemple les promoteurs ; demain grâce à cette DATA, ils pourront mieux cibler les attentes des acheteurs et non celles des investisseurs ; leurs risques seront diminués et ils pourront inverser le % investisseurs et habitants dans un immeuble de logement (aujourd’hui : 70% investisseurs / 30% habitants). Les projets se recentreront sur les clients utilisateurs.

Le BIM, est là pour remettre la pensée et la conception au cœur du projet. Il n’est qu’un support d’expression et de collaboration autour de cette conception. Il dégage du temps pour la réflexion à l’élaboration des projets.

À ce jour, l’avantage majeur est l’apprentissage. Le fait de faire collaborer l’ensemble des acteurs de la maitrise d’œuvre (Architecture, Fluide, Structure, Économie) autour d’un projet central fait que chaque action d’un membre de l’équipe crée une réaction dans le modèle central et ainsi tous prennent conscience de l’impact de leur métier ou du métier des autres dans la conception globale. Cet apprentissage est essentiel dans un processus itératif.

Quel est la partie la plus difficile à gérer lors d’un projet BIM ?

L’humain ! La collaborativité, l’échange. Le plus compliqué c’est de faire comprendre à une équipe que se tromper est un droit, que les outils servent à faire évoluer les projets et n’est pas fait pour sanctionner. La collaborativité accrue dès le départ des projets permet une accélération des processus, et donc de gagner en efficacité.

Vous concernant, comment se sont passés vos premiers chantiers en France ?

J’ai commencé par aller apprendre le BIM dans des pays où il était déjà implanté, c’est-à-dire dans les pays de l’Europe de l’Est. J’ai donc vu et travaillé avec des équipes sachant utiliser les méthodes et les usages du BIM.

Mon arrivée en France a été très compliquée puisque les méthodes de travail n’étaient pas du tout les mêmes, elles n’étaient pas adaptées au BIM. C’est notamment la communication qui fait défaut !

Par exemple, les bureaux d’études et la maitrise d’œuvre ne communiquent qu’en réunion de synthèse ce qui est trop tard. Pour caricaturer la situation ; chacun fourni un travail de son côté et seulement à la fin il y avait une mise en commun…

Mais il y avait également un problème au niveau de la technologie qui n’était pas du tout acquise, voir inconnue.

La France est un pays dit résistant aux changements, qu’en est-il de nos voisins Anglo-Saxons ? 

La méthode de travail des anglo-saxons est faite pour s’adapter au BIM. Ils ont l’habitude de collaborer, partager, et surtout d’être challenger pour le bien du projet.

En France, les ingénieries ont plutôt tendance à être sûres d’elles, centrées sur elles-mêmes, et défendent leurs baronnies, leurs visions.

De plus, il n’y a pas d’éducation au model collaboratif en France.

Qu’est-ce qui peut aider à l’adoption du BIM en France ?

La législation dans un premier temps ! Mais aussi les donneurs d’ordres en découvrant les bénéfices. Notamment sur la gestion, l’exploitation et la diminution des aléas, pour l’imposer à l’ensemble de la chaine de construction Française.

Quelle est la position de la France dans le monde par rapport à cette technologie ?

20 ans de retard.

« En science c’est l’exception qui fait avancer la connaissance. L’anomalie fait la découverte, elle attire l’œil du scientifique vers la vérité »

Cette phrase pourrait s’appliquer au BIM

L’avenir du BIM ? Les opportunités à venir ?

Cette transformation apporte beaucoup d’opportunités : notamment de nouveaux emplois, de nouveaux métiers (Assistant Maitrise Ouvrage BIM, Dessinateur, Intégrateur, Analyste, BIM Manager, Pilote BIM, etc.).

Mais c’est également l’occasion de remettre le client, l’utilisateur, au centre de son projet pendant toute la phase de conception. De créer un model abouti qui sera synthétisé en permanence, viable, et permettra de diminuer les risques, notamment financiers.

Au-delà du BIM, quels tendances voyez-vous arriver dans le secteur de la construction ?

Grâce au BIM, grâce à la digitalisation des bâtiments, de nouvelles compétences vont également apparaitre dans la distribution, dans l’approche client. Mais je pense que c’est encore trop tôt pour en parler. Aujourd’hui nous sommes encore dans une phase d’apprentissage. D’ici quelques années nous verrons déjà plus clair.

Mais par exemple, dire que la visite virtuel d’un bâtiment est nouveau est faux, ça existe depuis longtemps notamment dans les secteurs d’ingénieries (ex : aéronautique).

Mot de la fin : Je pense que refuser d’adopter le BIM c’est refuser d’aller dans un monde de transparence et de collaborativité. La responsabilité de chacun dans le monde du bâtiment c’est d’intégrer au plus vite ces nouvelles méthodes de travail pour offrir une véritable transparence aux clients.

Je tiens à remercier Monsieur Jacques Dinguirard pour sa disponibilité, son implication et sa gentillesse.