Féminisme et réseaux sociaux, Elvire Duvelle-Charles

Depuis le Tumblr « Paye ta shneck » créé par Anaïs Bourdet en passant par la création du hashtag #BalanceTonPorc de Sandra Muller sur Twitter, les expressions du féminismes sont reprises dans le pays entier pour dénoncer les violence et les abus de pouvoirs. « Paye ta robe d’avocat » sur Tumblr ou les innombrables comptes « Balance ton/ta … » sur Instagram sont issus de la lutte pour l’égalité mené dans l’espace virtuel.

Le point de vue d’une spécialiste du féminisme et du numérique…

Dans Féminisme et réseaux sociaux : une histoire d’amour et de haine, Elvire Duvelle-Charles rappelle les formes de militantisme que les cyber-féministes utilisaient sans vraiment savoir qu’une grande histoire du cyber-activisme allait suivre pour les groupes féministes.

Elle partage ses expériences et celles des femmes qui décident, elles aussi, de prendre de l’espace sur Internet et sur les réseaux sociaux. Le féminisme s’est en quelque sorte « démocratisé » par la grande accessibilité aux plateformes sociales. Jusqu’à prendre une place importante dans les thématiques abordés sur les réseaux. Elvire revient sur la fragilité du mouvement s’il se créé et se repose seulement sur l’espace virtuel. Que les dangers viennent des cyber-violences issues de l’exposition de soi sur les réseaux sociaux, ou qu’ils viennent des plateformes elles-mêmes par des pratiques de modération ou de censure abusive.

1. C’était comment avant Instagram ?

Le féminisme sur Internet n’a pas certainement pas commencé avec Instagram, il y a eu les blogs, Twitter, Tumblr et souvent, l’influence des médias ou la viralité des contenus qui ont contribué à mettre en avant certaines thématiques du féminisme.Elvire raconte que Tumblr a fait sensation dans la sphère féministe, des États-Unis à la France, ce sont les témoignages qui semblent révolutionner la manière de partager dans les communautés et groupes féministes créés en ligne. L’intérêt est de réunir les personnes qui subissent des violences et porter un message de soutien et de solidarité entre elles. Et c’est gagné, les blogueuses croulent sous les messages privés. La parole se prend de plus en plus, dans la sphère privée et sur la scène médiatique !

Le harcélement de rue, une réalité pour toutes les femmes.

En France c’est la page Tumblr d’Anaïs Bourdet, « Paye ta shneck », qui publie les témoignages de victimes de harcèlement de rue. Anaïs reçoit des dizaines de messages privés par jour, le site devient populaire et il est partagé dans les groupes privés et même par les médias de masse. Anaïs se rend compte que son site a un impact dans les différentes sphères sociales et il permet de mettre en lumière les témoignage des victime de violence. La notion « harcèlement de rue » fait l’objet du plus de questionnements dans l’espace public et privé « le lien du Tumblr se refile dans les groupes d’amis, on en lit les pires phrases pendant la pause-café ou en soirée avant de se raconter nos expériences personnelles ». À ce moment-là, le terme « harcèlement de rue » sera aussi plus populaire sur Google.

L’utilisation de l’expression « Paye ta… » devient une archive du féminisme à l’ère du numérique. Tout comme l’est devenu le slogan des années 1970, « mon corps, mon choix », toujours utilisé aujourd’hui. L’expression permet de réunir les communautés. 

2. Les dures lois d’Instagram.

Elvire aborde plusieurs thèmes liés aux réseaux sociaux, des bénéfices aux limites, durant cette mise en place de la révolution féministe en ligne. Dans Féminismes et réseaux sociaux, il y a selon moi la volonté de rendre compte des dérives des politiques d’utilisation d’Instagram. Celles-ci n’étant pas forcément encourageantes, voire très angoissantes, pour les créateurs de contenus/activistes de la plateforme. Un chapitre est dédié à l’influence, ce n’est plus un secret le capitalisme aspire tout ce qu’il peut sous couvert de croissance économique et les groupes militants sur les réseaux sociaux n’y échappent pas. Un autre chapitre portent sur quelque chose de beaucoup moins rationnel et évident pour les créatrices et pour les utilisateurs, d’ailleurs tout est dans le titre : « censure et algorithmes : bienvenue dans l’enfer d’Instagram ».

Activisme et influence : la vigilance nécessaire.

L’utilisation d’un argument ou d’une voix pour se donner une bonne image est monnaie courante chez les marque. En marketing, lorsque cela concerne l’appropriation d’une cause pour l’égalités, on appelle ça le feminism washing, ou le purple washing. Dans le cas d’une d’une grande notoriété, comme sur le compte de Clit Révolution, de @mercibeaucul_ ou de @mashasexplique comptant plus de 100k de followers chacune, les créatrices deviennent les cibles des marques. Elles sont en permanence sollicitées par des marques qui pratiquent le femwashing, et qui profitent de la place que prend la question d’égalité sur les réseaux sociaux ainsi que de la crédibilité de ces personnes souvent très proche de leur communauté.

Elvire raconte que, pour contrer la malveillance des marques peu honnêtes et peu scrupuleuses, les créatrices se soutiennent entre elles. Et créent des groupes de discussion privés pour se passer les infos et ne pas se faire piéger par les marques. Cela ne concerne pas toutes les marques et bien sûr, les créatrices de contenus ont le choix de faire de l’influence sur des produits intéressants, utiles et qui correspondent à leur communauté si elle le souhaite. Seulement, Elvire constate que le sponsoring fait plus d’engagement qu’un post organique

Entre algorithme et censure…

Les comptes féministes, ou traitant de l’éducation sexuelle, ou liés à la communauté LGBTQIA+ auront certainement moins de visibilité que les autres comptes. Pourquoi ? Seul Instagram à la réponse et il se réserve la mission de garder le secret. Les stratégies de la plateforme pour invisibilité ces comptes vont vers des pratiques de plus en plus perverses, comme le shadow ban, explique notamment l’autrice. Les politiques de modération et de censure exercées de manière abusive de la part de Meta, mènent plus d’une dizaine de créatrices de compte féministe à assigner en justice l’entreprise Facebook. Elvire raconte les raisons de cette « grande première en France » et l’importance du cyber-activisme qui a mené cette action en justice.

Pour en savoir plus sur l’ère du féminisme en ligne, l’article d’Agnès Mascla juste ici, propose de découvrir quelques comptes Instagram qui valent le détour !

Pour ma part, j’ajoute à la liste ces comptes :

@pepitesexiste, qui partage les différences de prix issues de la taxe rose et identifie la marque concernée ou le magasin (Pépite sexiste est aussi à suivre sur Twitter !).

Et le compte Instagram de @mariebongars, elle décrit son profil comme « une chaîne d’info des meufs et des minorités. »

3. « Et maintenant, quoi ? »

Elvire rappelle que, même si l’influence des réseaux sociaux peut avoir un impact fort sur la manière dont l’utilisateur s’informera et se forgera une opinion sur un mouvement politisé et controversé. Et même si les publications sur le féminisme mettent en lumière certaines violences faites aux femmes, sur Twitter, sur les recherches Google, dans les médias… Les plateformes sociales ont permis de créer des communautés parfois de plusieurs dizaines, voire des centaines de milliers de followers. 

Les réseaux sociaux, oui mais…

C’est justement ce que remet en question Elvire dans Féminisme et réseaux sociaux, la pérennité d’une communauté qui n’existe que sur les réseaux sociaux, aussi grande soit-elle. Ces groupes peuvent disparaître du jour au lendemain, sans explication et sans retour possible. L’utilisation des réseaux sociaux est d’autant plus questionnable que la loi française n’est actuellement pas à jour sur les risques et les dérives, il convient d’une part de se demander comment, au niveau juridique et légal, les réseaux sociaux vont évoluer dans le temps. Indissociable du fait que ce sont des plateformes américaine pour la majorité. Si l’on parle des questions d’égalité des sexes et de genre, les faits récents (la révision de l’Act Roe V. Wade aux Etats-Unis) indiquent plus que jamais la nécessité de ne pas s’en remettre aux plateformes américaines pour créer une communauté pérenne en dehors des codes de la société.

Retour à la réalité !

« Ici la résistance s’organise », voici ce que l’on trouve sur le Patreon d’Elvire nommé « Clit Révolution ». Patreon, c’est est une plateforme pour financer les créateurs, elle propose différents types d’abonnements mensuels contre l’accès à des contenus, des événements, des goodies,… Bref, tout ce que l’on veut, c’est le créateur qui décide du programme. C’est une manière pour Elvire de « construire ensemble la suite de Clit Révolution ». Son compte Patreon lui permet de rencontrer les followers du compte Instagram @ClitRevolution et de se réunir ailleurs que sous un post ou une story. Comme inscrit sur son profil, l’idée c’est de se rencontrer dans le monde physique, Elvire propose des sorties culturelles, le « Clit Book Club » pour permettre « de dédramatiser une lecture, de se déconstruire ensemble, de se rencontrer et de penser la révolution ».

Elvire n’a pas de solution miracle qui remplacera aussi efficacement les manières de réunir et de rendre une information virale que permettent les réseaux. Pour continuer à mener les luttes qui lui tiennent à coeur, elle décide d’explorer d’autres technologies mais rappelle surtout l’importance de se réunir en physique.

La dernière initiative d’Elvire est aussi dans cette vision du réel, elle dévoile en septembre 2022 l’inauguration de Tonnerre ! Le premier ciné-club féministe se déroulera chaque mois au Majestic Bastille de Paris, pour visionner ensemble une projection et en discuter avec la réalisatrice.

Pour les infos pratiques, rendez-vous sur Instagram, la prochaine projection c’est le 20 octobre !  Alors, ça vous tente ?

Qui est Elvire Duvelle-Charles ?

Journaliste, réalisatrice, co-créatrice du compte Instagram @Clitrevolution et co-réalisatrice de la série documentaire éponyme. Activiste et militante dans le monde physique et sur les réseaux sociaux, elle commence son livre par son entrée en 2012 dans un groupe féministe connu à l’international, elle créera les premiers profils du mouvement en France. Cette expérience lui permettra de se rapprocher le militantisme féministe et les réseaux sociaux et de réaliser un “bilan” de la décennie passée.

Portrait d'Elvire Duvelle-Charles