Entretien professionnel – Drew Trias, Coordinateur retail EMEA chez Kenzo

Dans le cadre de la rédaction de mon mémoire de fin d’études portant sur l’impact du Web 3.0 dans le secteur du luxe et ayant comme problématique la suivante : Dans quelle mesure, le passage au web 3.0 est-il en train de transformer le secteur du luxe et quelles en sont les principales opportunités et les principaux défis pour les marques notamment en termes d’expérience et de relation client ?J’ai eu l’opportunité d’interviewer Drew Trias, coordinateur retail EMEA chez Kenzo afin de comprendre et de confronter son avis quant au développement et aux enjeux et opportunités que présente aujourd’hui le Web 3.0 dans le secteur du luxe ainsi que les divers changements opérés par les maisons depuis ces dernières années afin de répondre à une nouvelle demande naissante de la part d’une clientèle digitalisée. 

 

– Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours professionnel ?

Bonjour, je m’appelle Andreu, je travaille sein du groupe LVMH pour la maison Kenzo en tant que coordinateur retail Europe mais nous en sommes en train d’évoluer au niveau EMEA donc je travaille constamment en lien avec les boutiques du réseau EMEA. Auparavant, je ne suis pas issu professionnellement du secteur du luxe mais je suis un profil auto-entrepreneurial avec diverses sociétés que j’ai développées. J’ai fait des études dans la finance et la comptabilité. D’un point de vue Web 3.0, j’ai un passé d’investisseur et je me suis énormément intéressé aux innovations du secteur.

 

– Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le management et le retail ?

Cela a été un peu le fruit du hasard au début, le management était déjà quelque chose qui me plaisait et j’avais auparavant déjà managé des projets avec des équipes. J’ai démarré en tant qu’Assistant Retail Manager puis je suis devenu Coordinateur Retail Manager et nombreuses opportunités se sont progressivement ouvertes à moi donc ces expériences m’ont permis finalement d’évoluer dans ces branches là et j’en suis très content.

– Quelle est aujourd’hui votre définition du luxe et pourquoi avoir choisi de vous spécialiser particulièrement dans ce secteur professionnel ?

Le luxe est un secteur qui m’intéresse depuis très longtemps avec une Histoire très riche, très marquée et souvent on oublie malheureusement cela lorsque l’on achète un produit de luxe. Le luxe possède de nombreuses définitions avec une racine latine : « luxuria » qui fait référence à la folie, la démesure. À partir de cette définition, on comprend déjà que le luxe c’est la démesure, un travail artisanal avec des efforts considérables et de nombreux talents. On observe également une excellence qui en devient parfois obsessionnelle comme par exemple dans l’hôtellerie avec des palaces ou des hôtels cinq étoiles où l’excellence est le maître mot et c’est d’ailleurs pour cela que la clientèle est capable de payer extrêmement cher. Enfin, pour d’autres personnes, le luxe est tout simplement la possibilité de vivre des expériences que l’on ne vit pas quotidiennement et qui font plaisir. Il n’existe pas de définition universelle, la définition du luxe dépend donc de la personne dont il est question, de la société, de l’époque. Si on se place enfin du coté produit, l’artisanat prédomine.

 

– Vous intéressez-vous d’un point de vue personnel à la digitalisation des maisons de luxe en général, à leurs avancées et pourquoi ?

Oui je m’y intéresse énormément d’un point de vue global donc à la fois les maisons de luxe mais tous les acteurs du Web 3.0 en général. J’ai toujours été très intéressé par la technologie et aujourd’hui selon moi, il est nécessaire de s’y intéresser parce que cela fait partie de notre temps et c’est aussi intéressant de voir les initiatives, les réussites mais aussi les échecs d’une entreprise dans ce domaine-là

 

– Selon vous, toutes les maisons composant le secteur du luxe, doivent-elles aujourd’hui se sentir concernées par une transformation digitale en faveur du Web 3.0 ?

Toutes les maisons doivent se sentir concernées par cette transformation digitale, en revanche, certaines maisons notamment les petites, n’ont pas forcément besoin d’investir dans le Web 3.0 pour l’instant. La tendance que l’on observe depuis la naissance du digital a fait qu’aujourd’hui toutes les industries se sont digitalisées et celles qui, au contraire, ne l’ont pas fait ont fini par mourir. Concernant le Web 3.0, à ce stade, il ne s’agit que du commencement ; on pourrait même dire qu’il s’agit « du bébé d’un bébé », ce n’est qu’un début avec un potentiel énorme mais on ne peut pas déterminer s’il sera pleinement une réussite. Les maisons de luxe, elles, doivent s’y intéresser impérativement surtout pour tout ce qui concerne la traçabilité des produits, la transparence… mais certaines d’entre elles n’en ont pas besoin, cela dépend de la maison, du coeur de métier dans le secteur et surtout de la plus-value.

 

– Selon vous, le web 3.0 offre-t-il de nouvelles opportunités aux maisons. Si oui, lesquelles ?

Pour rebondir à la question précédente, oui, il y a de nombreuses opportunités pour les maisons. Certaines d’entre elles sont très claires comme le ownership du produit avec les montres par exemple en utilisant la blockchain mais aujourd’hui le Web 3.0 est très difficile à comprendre tant pour les entreprises que pour les dirigeants et surtout c’est d’énormes investissements financiers. Pour en revenir aux  montres par exemple, il y a certaines réalisations qui peuvent être faites plus facilement que d’autres ; Ce fameux ownership dont je parle, le certificat d’authenticité et de propriété peut être réalisé facilement grâce au principe de la blockchain. L’intérêt ici, est qu’aujourd’hui il y a un marché gris considérable dans l’horlogerie où les maisons ne touchent rien. Ainsi, potentiellement, la blockchain peut permettre de tracer la propriété d’une montre afin que les maisons touchent une commission lors du transfert des certificats d’authenticité lors de la revente d’une montre. Ce marché représente des milliards d’euros car il y a énormément de transactions effectuées à ce niveau. Aujourd’hui, Aura Blockchain est un exemple d’une blockchain développée afin de protéger aussi les maisons et générer de l’argent. Loro Piana a par exemple commencé à développer des certificats d’authenticité et de propriété en devenant partenaire de Aura Consortium. Derrière il y a donc une traçabilité et Loro Piana permet de transférer ces certificats de propriété gratuitement lors de la revente de pièces. On peut très bien imaginer, qu’un jour, Loro Piana décide de commissionner ces transferts.

 

– Si l’on se focalise du côté du consommateur, quel va être la valeur ajoutée pour ce client de consommer des produits de luxe sur le Web 3.0 ?

Il y a deux manières de voir les choses. On peut considérer qu’un NFT ou autre produit digital soit
un produit de luxe 2.0, pour moi il s’agit encore à l’heure actuelle de marketing pur. Cela permet
donc de générer beaucoup d’argent mais ce n’est pas avec cela qu’une maison construit sa marque
au départ, ce n’est pas l’essence même d’une maison. Pour les consommateurs cela devient très
intéressant il y a un enjeu énorme lorsqu’il est question de traçabilité, de RSE, de services… car il
aura de réels bénéfices derrières ses achats. Cela peut aussi être de l’ordre de l’expérientiel, chez
Kenzo, par exemple, nous avions développé une collection de NFTs dont certains (un très petit
nombre) donnaient l’opportunité à leurs propriétaires d’assister au défilé de la maison.
L’expérience client est donc assez importante.

 

– Que pensez-vous des maisons et des groupes dans le secteur du luxe qui investissent dans le Web 3.0 ?

Aujourd’hui, certaines maisons ont bien compris les enjeux du Web 3.0 tandis que d’autres sont toujours en réflexion. Louis Vuitton par exemple a très vite compris en développant notamment son jeu vidéo Louis The Game qui était très intéressant. Des collaborations artistiques sont aussi nées sous l’impulsion du Web 3.0 donc il y a beaucoup d’opportunités pour les maisons et les groupes mais celles-ci doivent faire attention à la manière dont elles envisagent leur impact dans cette nouvelle version web car celle-ci est encore très difficile à bien comprendre.

 

– Selon vous, en quoi la décentralisation et la transparence qui sont caractéristiques en partie du Web 3.0, peuvent-elles être bénéfiques pour les maisons de luxe ? A la fois d’un point de vue produit et clientèle.

La transparence est très importante notamment parce qu’il y a encore beaucoup de clichés, de fausses informations sur le luxe et les produits de luxe. On entend souvent par exemple que les produits Louis Vuitton sont tous fabriqués en Chine alors que c’est faux et généralement lorsqu’une maison fait fabriquer ou assembler dans un pays étranger ce que ce pays est reconnu dans ces savoir-faire comme la soie en Chine par exemple. Donc il y a une problématique liée à la transparence vis-à-vis des produits donc si les maisons sont capables de développer des initiatives dans le Web 3.0 en faveur de la RSE, de la transparence et de la traçabilité, il y a un intérêt immense et pour elles, et pour les clients. La blockchain et la décentralisation, elles, interviennent pour des problématiques liées à la sécurité des produits et l’avantage de ces systèmes c’est qu’ils sont infalsifiables.

 

– Nous étions axés sur les aspects techniques du Web 3.0 durant les questions précédentes. Si l’on se penche vers la création avec notamment la création de NFTs, que pensez-vous aujourd’hui des maisons qui lacent des collections de NFTs ? Est-ce selon vous légitimes ou est-ce un effet de mode ?

Premièrement, c’est un effet de mode que les maisons explorent. La légitimité, elles, est potentielle mais il est encore compliqué de déterminer si une maison de luxe est aujourd’hui légitime dans la création de NFTs. Evidemment, certaines collections de NFTs deviennent légitimes comme par exemple la collection de NFTs développée par la maison Kenzo qui offrait des privilèges à leurs détenteurs ; lorsqu’il y a un service et/ou une expérience pour le client qui en découle, cela est très intéressant. Je crois qu’il est encore tôt pour réellement parler de légitimité mais ce qui est sûr, c’est que les NFTs représentent une grande opportunité pour les maisons en termes d’image, de buzz, de storytelling et de business bien évidemment. Le sujet par la suite de la pertinence relève du cas par cas mais doit faire partie de la réflexion des maisons dans cette course aux NFTs.

 

– Y-a-t-il une réalisation dans le Web 3.0 de la part d’une maison qui vous a interpellé dernièrement ?

Dernièrement, Loro Piana, dont j’ai déjà parlé m’a beaucoup plu et interpellée parce qu’il y avait une vraie valeur et un réel sens derrière ce projet. Louis Vuitton avec Louis The Game était également très pertinent. Loro Piana a développé un partenariat avec Aura Blockchain
Consortium que j’ai pu découvrir lors du Salon Viva Technology à Paris en juin dernier. La maison a développé en boutique un accès aux certificats d’authenticité, de propriété et de traçabilité via l’application sur smartphone wallet. La maison ne communique d’ailleurs pas
ouvertement sur cela afin de garder une certaine exclusivité et surtout elle souhaite simplement offrir un service supplémentaire lorsque sa clientèle achète des produits Loro Piana sans que cela devienne une tendance développée pour attirer une nouvelle clientèle. On est dans un projet permettant d’aboutir à un produit final très pertinent.