Le digital révolutionne la beauté responsable : les clés d’une transition réussie – Interview avec Arnault Chatel

Livre de Donald Miller "Building a Story Brand"

Le 27 juin 2023, j’ai eu l’opportunité de mener un entretien avec Arnault Chatel, Responsable Pédagogique du MBADMB de l’EFAP en partenariat avec le Hub Institute, le premier Digital Think Tank Français. Spécialiste du Web 3.0 et membre du think tank Impact AI France sur les questions d’intelligence artificielle, Arnault s’est concentré ces dernières années sur l’étude des transformations numériques, des médias sociaux, de l’IA et du Web 3, et de leurs implications pour les entreprises. Au cours de cet entretien, il m’a fait part de ses réflexions éclairées sur les défis auxquels font face les marques traditionnelles de parfums et cosmétiques dans leur quête pour devenir plus responsables, et comment le digital peut les aider à surmonter ces obstacles.

De l’impact de l’intelligence artificielle sur la création de produits durables à l’influence des médias sociaux sur la perception des consommateurs envers la beauté responsable, Arnault offre un éclairage précieux sur les tendances émergentes qui façonneront l’avenir de cette industrie.

Livia : Quels sont selon toi les principaux défis auxquels les marques traditionnelles de parfums et cosmétiques sont confrontées dans leur transition vers la beauté responsable, et comment le digital peut-il les aider à les surmonter ?

Arnault : Je vois trois défis majeurs. Donc le premier défi, ça serait pour certaines marques d’accélérer et d’évangéliser en interne la transformation de leur chaîne de valeur. Le fait que la structure soit plus digitalisée va leur permettre de pouvoir beaucoup plus facilement mesurer et identifier tel ou tel process dans la chaîne de valeur, que ça soit sur la partie commerciale, la communication, le marketing, mais également sur tous les process de production et de logistique. 

Qu’est-ce qui « pollue », qu’est-ce qui n’est pas « green » ? Et bien, comme ils génèrent des produits, c’est inégal. Et puis dans leur production en tant que telle, ces produits sont faits dans des usines. Donc toute cette transformation de leur chaîne de valeur va leur permettre, enfin leur permettra, d’être beaucoup plus efficaces et qualitatifs sur la mesure, sur les résultats, et sur la manière d’agir en conséquence. Donc le premier point, c’est de poursuivre cette transformation. 

Le deuxième point, c’est de vraiment mobiliser l’intégralité des collaborateurs en interne, pour que ça soit un mindset. Donc bien alerter, et bien sensibiliser l’intégralité des collaborateurs sur les outils technologiques de transformation, mais également sur le but qu’il y a derrière. Être l’entreprise la plus responsable possible par rapport à ce qu’elle fait et par rapport à ce qu’elle produit. Et quand je te dis ce qu’elle fait, c’est ce qu’elle met en place et comment elle communique auprès de sa cible. 

Et le dernier point, c’est de mettre les pieds dans le plat. Une fois que tout ça est fait, quelle posture, quelle image je veux renvoyer auprès de mes clients, de mes prospects ? Par exemple, Guerlain, ça paraît plus évident que L’Oréal. Pourtant, ce sont deux grosses marques. Mais qu’est-ce qui fait la différence entre les deux ? C’est le storytelling originel de Guerlain, qui était beaucoup plus green. Quand je pense à Guerlain, je pense aux abeilles. Donc quelles stratégies ces marques vont devoir mettre en place, une fois qu’elles auront tout bien fait, si je puis dire ? 

« Et donc le gros avantage de l’utilisation de la blockchain, c’est cette notion d’infalsifiable, de traçabilité, de transparence totale vis-à-vis du consommateur. »

Livia : En tant que spécialiste du Web 3.0, comment vois-tu l’impact potentiel de cette nouvelle tendance sur la transition des marques traditionnelles vers la beauté responsable ?

Arnault : J’adore le Web 3. Mais on est un peu biaisés car aujourd’hui quand on pense au Web 3, on pense au métavers. Le métavers, ça peut être bien pour faire vivre des expériences au consommateur ou bien au prospect. Et ce sont des expériences qui n’ont pas forcément directement une optique mercantile. Il peut y avoir derrière un état d’esprit d’éducation des clients, parce que l’entreprise aura mis en place un programme, une expérience qui sera vraiment très green. Par contre, je crois beaucoup à la blockchain, à toute cette traçabilité, à toute cette transparence. Parce que finalement, une marque aujourd’hui, elle va dire des choses, c’est bien elle les dit, mais il faut la croire un peu comme si c’était le bon Dieu. Sauf que le consommateur d’aujourd’hui, quand tu lances ton produit, si tu n’as pas 90 milliards d’influenceuses qui te disent « ouais, c’est vraiment bien », ça ne marchera pas. Et donc le gros avantage de l’utilisation de la blockchain, c’est cette notion d’infalsifiable, de traçabilité, de transparence totale vis-à-vis du consommateur. Si je te dis que mon produit est bio, qu’il est responsable, que les essences qui ont été cueillies, produites, n’ont pas été cueillies et produites par des pauvres enfants qui ont deux ans et demi, ni dans n’importe quel pays, je te le dis, c’est bien, mais si je te le démontre, que je te le prouve, c’est pas la même chose. Donc, pour moi, c’est surtout par rapport à la blockchain que je crois qu’il peut y avoir une aide, un impact sur la crédibilité de la marque et sur ce qu’elle met en place. 

« Aujourd’hui tu as des IA qui permettent d’économiser de 40 % la production d’énergie, rien qu’en cliquant sur un bouton. »

Livia : Quel est le rôle de l’intelligence artificielle dans la création de produits cosmétiques plus durables et respectueux de l’environnement ? Quels sont les avantages et les limites de son utilisation dans ce contexte ?

Arnault : Les mauvaises langues vont te dire « ouais, tu veux faire un truc plus responsable, mais l’IA ça concerne de la DATA donc de l’électricité, etc. ». De mon point de vue, il y a plusieurs choses. Déjà, en termes de créativité sur la partie packaging. La créativité se fera de plus en plus sur la composition même des produits, des formules, que l’être humain pense et fait. Mais la puissance des formules liée à la créativité des IA vont permettre de créer de nouvelles odeurs, saveurs et réactions sur la peau. Cette notion créative est pour moi ce qu’il y a de plus important.

Après, sur la notion de durabilité, c’est pareil. Je prends l’exemple de l’usine. Dans les usines qui sont connectées – la fameuse industrie 4.0 – aujourd’hui tu as des capteurs de partout. S’il y a des capteurs, c’est pour récolter de la donnée sur les différents éléments de l’outil de production. Suite à ça, tu as des chiffres et les intelligences artificielles vont être capables de te dire comment on peut optimiser tout ça dans tout le process, pour ensuite mettre en place de nouveaux process qui auront accouché des études qu’aura fait l’intelligence artificielle pour tendre vers moins d’énergie consommée et moins de pollution. Par exemple, dans certaines usines qui sont très énergivores, aujourd’hui tu as des IA qui permettent d’économiser de 40 % la production d’énergie, rien qu’en cliquant sur un bouton.

Livia : Comment les médias sociaux et les plateformes de contenu influencent-ils la perception des consommateurs vis-à-vis de la beauté responsable, et comment les marques peuvent-elles tirer parti de ces canaux pour promouvoir leur transition ?

Arnault : Je vois de moins en moins de marques qui promeuvent sur TF1 et de plus en plus de marques qui promeuvent sur les réseaux. Parce que tout le monde est sur les réseaux aujourd’hui. Je ne te parle même pas des nouvelles générations qui, elles, consomment et achètent via les réseaux. On ne parle plus de social media, on parle de social commerce. Donc l’intérêt des marques, c’est d’aller là où sont les consommateurs pour leur exposer des produits, mais également leur montrer l’image qu’ils veulent véhiculer, les valeurs qu’ils veulent mettre en avant, les personnes qu’ils vont utiliser pour ce faire, les ambassadeurs qu’ils vont choisir, etc. Et tout ça, bien évidemment, va être relayé sur les réseaux. Avant, quand tu lançais ta campagne, tu n’avais pas le droit à l’erreur. Une fois que c’était lancé, c’était lancé. Tandis qu’aujourd’hui, tes campagnes, en peu de temps, tu peux savoir si elle fonctionnent ou pas puis appuyer sur le bouton stop. Après, il faut gérer le buzz et le bad buzz, mais ça donne une souplesse bien plus importante. 

Livia : En tant que membre d’un think tank sur l’IA, quelles sont les tendances les plus prometteuses en matière d’IA dans l’industrie des parfums et cosmétiques en termes de développement durable et de responsabilité ?

Arnault : Je te l’ai déjà un peu dit dans les questions précédentes. Parce que nous évidemment, on est amenés à réfléchir à la manière dont nous pourrons, demain, cohabiter et co-construire avec ces technologies, d’une part. D’autre part, c’est évident que la technologie ne fera pas tout toute seule, s’il n’y a pas de réelle volonté derrière. C’est ce que je dis toujours, toutes les technologies sont super, mais ça dépend ce que tu en fais. C’est là que ça va aider dans le développement et dans la durabilité, sur la conception, l’éco-conception, les économies d’énergie, etc.

« Comment trouver le bon équilibre pour affirmer des postures, des convictions fortes, tout en faisant quand même du business. »

Livia : Comment les marques traditionnelles peuvent-elles créer une expérience digitale immersive et engageante pour leurs consommateurs afin de les sensibiliser à la beauté responsable et de les encourager à adopter des habitudes de consommation plus durables ?

Arnault : C’est une vraie bonne question, mais c’est difficile de donner un exemple. Il s’agit de savoir ce qu’on doit faire pour éduquer le consommateur, pour que d’une part, il imprime bien le positionnement qu’on veut avoir sur ces sujets-là quand on est une entreprise, et puis après en fonction de cette volonté-là, comment ça va se traduire d’un point de vue dispositif opérationnel. Est-ce que ça va être un événement, une campagne digitale, une expérience immersive, est-ce que ça va être de regarder ce qu’il se passe chez nous ? Là ça vaut bien une semaine de réflexion, mais je pense qu’avant tout ça passe par la volonté. Mais pas juste la volonté pour faire plaisir au marché, mais comment trouver le bon équilibre pour affirmer des postures, des convictions fortes, tout en faisant quand même du business. 

Livia : Quels sont les indicateurs clés de performance (KPI) que les marques doivent prendre en compte lorsqu’elles mesurent l’impact de leurs stratégies digitales sur leur transition vers la beauté responsable ?

Arnault : Ça dépend où tu te places. Si tu es dans la phase de commercialisation du produit, alors là, il peut y avoir pas mal de KPI : combien je consomme d’énergie, mon émission de carbone, toutes les choses qui peuvent avoir une connotation green dans le processus de production, mais également en interne, pour affirmer cette notion de RSE qui n’est pas juste de dire « il faut faire ». Après, il y a aussi le fait de savoir ce que dit le consommateur. Et là, il y a une grosse partie de social listening : qu’est-ce qui se dit sur les réseaux, et comment ça se traduit ? Si les gens embrassent ce qu’on a voulu faire, ça va mécaniquement se traduire par des ventes supplémentaires, ou bien des produits qui eux ont cette étiquette verte, qui finalement vont mieux se vendre que d’autres produits où il y avait une moindre volonté d’en faire un produit vert. 

« Toute transformation n’est viable que si on met l’humain au centre de cette dernière. »

Livia : Selon toi, quelles sont les prochaines tendances digitales qui pourraient façonner l’avenir de l’industrie des parfums et cosmétiques en termes de beauté responsable, et quelles sont les actions que les marques doivent entreprendre pour s’y préparer ?

Arnault : C’est dans la continuité de ce que je disais tout à l’heure. Il va y avoir de plus en plus d’IA et dans un futur très proche, ce qu’on appelle des IA verticales, c’est-à-dire qui sont spécifiques métiers ou bien spécifiques sectorielles. Parce qu’elles vont engranger de la donnée hyper spécifique et ultra qualifiée, qui va pouvoir faire plein de mixture et plein de trucs bien autour de ça. Mais les prochaines évolutions, c’est toujours plus de cohabitation entre l’humain, l’appareil de production, l’appareil de promotion et des IA qui pilotent tout ça. Et puis outre les évolutions digitales, c’est vraiment une transformation du comportement des êtres humains. Toute transformation n’est viable que si on met l’humain au centre de cette dernière. Parce que tu as beau mettre la meilleure des technologies ou autre, si elle n’est pas adoptée parce qu’elle n’est pas comprise, parce qu’elle fait peur, tu auras fait un truc super, mais que personne n’utilisera.

Merci à Arnault Chatel pour le temps accordé et les réponses aussi pertinentes qu’intéressantes.

Vous pouvez retrouver d’autres interviews ici !