Métavers : ne serait-il pas né trop tôt ?

 Métavers : ne serait-il pas né trop tôt ?

Le Métavers, est-il déjà mort ou simplement en apné ?

Le méta-univers est, pour beaucoup, le futur d’Internet. Depuis plus de deux ans, le Métavers est devenu incontournable. Pourtant, le terme n’est pas nouveau, il a plus de 30 ans. Il est apparu pour la première fois en 1992 dans le roman «  SnowCrash », ou en français « Le Samouraï virtuel ». Cependant, il a fallu attendre l’apparition de la technologie blockchain pour voir apparaitre les mondes virtuels comme certains ont pu les fantasmer avec leurs lectures dystopiques des années 1990. 

Alors comment atteindre ce doux monde virtuel qui, sur le papier, nous promet monts et merveilles ? Désolé de vous décevoir. A priori, on ne peut pas. Ou du moins pas encore. Nous sommes encore loin d’une véritable démocratisation. Le Métavers se résume pour l’instant à un vaste champ d’expérimentation. Mais arriverons-nous à sortir de cette phase expérimentale ? Certains experts s’interrogent : le Métavers ne serait-il pas né trop tôt ? Pire, ne serait-il pas déjà mort ? 

«  Il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s’arrêter, mais pour entreprendre l’impossible dans les meilleures conditions ».

Romain Gary

Charge d'âme, 1977

«  C’est l’immersion », « c’est le web 3.0 », « c’est un assemblage de technologies », « c’est un collectif partagé » …. Et j’en passe ! Pour une grande majorité d’entre nous, le Métavers reste un concept flou.

 le métavers : né ou mort trop tôt ?

Le 24 octobre 2021, la France a commandé pour la première fois un rapport exploratoire sur le Métavers afin de mieux comprendre ses contours, ses enjeux et ses limites. Voici ce qu’il en ressort : 

« Un métavers est un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre des expériences immersives « .

Dans ce rapport, on constate que les experts s’accordent à définir le Métavers comme un concept. En réalité, il y a plusieurs métavers. Le Métavers représente une multitude de possibilités, de services et d’espaces, plus ou moins ouverts, que l’on peut nommer des métavers avec un « m » minuscule. Avec cette définition, les experts identifient les caractéristiques essentielles du Métavers : l’existence de mondes virtuels, en 3D, en temps réel, immersifs, persistants et partagés 

D’après le cabinet d’études Canalys, ce sont déjà des dizaines de milliards de dollars qui ont été engloutis par Apple, Google, Microsoft et bien sûr Méta qui croit dur comme fer à l’essor du Métavers. Avec ce rapport, la France souhaite afficher clairement sa position sur le sujet : jouer un rôle moteur dans son développement. Surtout qu’elle n’est pas en reste ! 

La France possède de nombreux atouts à faire valoir dans cet horizon commun des technologies de l’immersion tels qu’en témoignent les succès de grandes structures comme Ubisoft, Dassault Systèmes ou encore Ledger. La filière française de la création immersive a également donné naissance à des studios de fabrication reconnus mondialement (Stage11, Small, Atlas V, Backlight Studio…).

La France l’a très bien compris. Avec un poids potentiel de 500 milliards de dollars d’ici 2030 selon le rapport Value Création in the Métavers, ce marché est particulièrement florissant, et aiguise l’appétit des entreprises et des gouvernements du monde entier. 

Données métavers BDM 2030

Données du BDM : le marché du Métavers en 2030

Le Métavers, le nouvel eldorado du secteur économique français ? 

Les métavers sont de réelles opportunités pour les marques. En effet, le Métavers constitue un nouveau moyen pour les marques de promouvoir leurs produits. Et ce, sous la forme d’une vitrine publicitaire virtuelle offrant de nouveaux modes d’interactions avec leurs consommateurs existants et clients potentiels. C’est pourquoi, les marques n’hésitent pas à investir de fortes sommes dans ce secteur. 

Plus de 200 marques seraient déjà présentes sur The Sandbox. Il s’agit d’un Métavers communautaire où les joueurs peuvent concevoir, partager et vivre des expériences virtuelles. C’est l’un des métavers les plus connus avec Decentraland et Méta. Tous ont été valorisés à plus d’un milliard de dollars. Ces univers ont réussi à attirer de prestigieux investisseurs. 

Pour cet article, je vais me concentrer sur les enseignes françaises qui y sont présentes. En effet, elles ont toutes acheté des parcelles de terrains virtuels dans ces métavers :

Carrefour

Carrefour et Métavers : mort ou né trop tôt ?

La marque fait partie des premières sociétés de consommation grand public à acheter une parcelle de terrain virtuel. L’enseigne a acheté 9 hectares pour la ‘modique’ somme de 300 000 euros. Cet achat va lui permettre de créer 30 supermarchés virtuels ‘standards’. Et ainsi, offrir à ses consommateurs la possibilité de faire leur course dans le mode virtuel puis de les recevoir dans le monde réel. 

Axa Assurances

Métavers et Axa premier assureur virtuel

En 2022, Axa devient le premier assureur français dans le Métavers. L’idée est d’offrir à ses clients ‘un espace pour se réunir’. Et ainsi, explorer les possibilités que peuvent fournir cette nouvelle technologie. 

Arte

Métavers né ou mort trop tôt ?

La chaîne de télévision franco-allemande a également démontré son souhait de se lancer dans le Métavers. Elle s’est associée à Méta en intégrant Horizon Worlds. Elle a ainsi organisé un concert virtuel avec l’artiste français Timothée Joly. 

On retrouve également des sociétés de luxe comme Luis Vuitton et Gucci, ou encore des marques sportives : personne n’a été insensible aux charmes des métavers. 

Métavers : une épreuve d’endurance ?

Certains acteurs du secteur constatent depuis quelques temps une perte de vitesse dans le développement du Métavers. Laissant penser à un effet de mode…

«  Le métavers est-il la prochaine frontière numérique ou un gouffre financier surfait.

Des dizaines de milliards de dollars ont déjà été investis, les coûts et les retards dans les progrès de Meta sont un baromètre. Nous sommes dans une crise du coût de la vie, les gens luttent déjà dans le monde réel, ils sont peu nombreux dans le monde virtuel à investir dans des biens, des objets et d’autres NFT ».

Matthew Ball

Analyste, Cabinet Vanalys

En cette sortie de crise sanitaire, nous avons tous pu constater une virtualisation exponentielle de nos interactions sociales. Et pourtant, les métavers peinent encore à trouver leurs utilisateurs.  En effet, le Métavers promettait d’intégrer des millions de personnes à une nouvelle vision d’internet. Or après deux ans, nous pouvons constater que ce n’est toujours pas le cas. 

« Peu importe le nombre d’utilisateurs que vous parvenez à diriger vers la page de destination (…) Ils ne vont pas se convertir et ils ne vont pas rester, car ils ne trouvent pas de valeur dans l’expérience proposée.»

Huang, PDG de Insomnia Labs – Source : Decrypt.

A titre d’exemple, la plateforme Horizon Worlds compte moins de 200 000 utilisateurs actifs mensuels en fin d’année 2022. Elle visait initialement 500 000 utilisateurs. Cet essoufflement a obligé l’entreprise à revoir ses chiffres à la baisse pour l’année 2023. 

 » Un monde vide est un monde triste  »  Meta

Meta n’est néanmoins pas la seule à souffrir d’une désertion collective. 

En juillet 2021, le métavers Decentraland et l’exchange Kraken ont organisé un festival de musique virtuel qui réunissait plus de 200 artistes du monde entier sur plus de 15 scènes. On pouvait y retrouver Bjork, Ozzy Osbourne, Soulkja Boy, Dilon Francis… Pourtant l’engagement social n’a pas été au rendez-vous. L’édition de BeInCrypto a rapporté qu’au cours de ce même mois, le nombre quotidien de portefeuilles actifs a diminué.  Une baisse qui laisse suggérer que le taux de participation au festival musical de Decentraland n’était pas élevé…

La première crise immobilière virtuelle

L’absence d’utilisateurs est également représentée par la chute des prix de vente des terrains virtuels. En effet, alors qu’entre décembre 2019 et janvier 2022, les prix avaient été multipliés par 300. Au cours des mois suivants, nous avons assisté à une véritable crise immobilière. Les prix moyens ont chuté de plus de 80%. A titre d’exemple, le prix moyen des terrains vendus sur Decentraland avait atteint un pic de 37.3 dollars en février 2022, contre 5.2 dollars en août 2022 (données provenant de WeMEta).  

Métavers né ou mort trop tôt ?

Selon une analyse menée par The Information : “ les volumes de vente et les prix moyens des terrains virtuels ont chuté cette année, dans le cadre d’une baisse plus générale des prix des crypto-monnaies et des jetons non fongibles”. Donc de l’absence d’utilisateurs. 

En réalité, plusieurs raisons sont à l’origine de cette désertion virtuelle. Tout d’abord, les entreprises restent encore sceptiques à se lancer. Et ce, parce que pour le moment, la grande majorité des produits à vocation commerciale sont voués à ne pas survivre dans ce monde virtuel. Tout simplement parce que leurs consommateurs n’y sont pas. Or le seront-ils un jour, présents dans ces mondes ? Il existe déjà une crise du coût de la vie. Les populations luttent pour survivre dans la vie réelle. On peut donc supposer qu’ils ne sont pas prêts à investir dans les métavers.

De même, il est important de souligner que les défis technologiques qu’engage l’utilisation des métavers sont un frein à son développement. Il n’est pas encore possible d’interagir dans les métavers à l’échelle internationale. Les métavers sont limités par le nombre d’internautes qui peuvent interagir en temps réels dans ce même espace virtuel. Pour l’instant, le Métavers se limite à des communautés. Pour obtenir un Métavers de masse à grande échelle, il est nécessaire de généraliser les technologies de réseaux nouvelles générations. Or, on vient à peine d’entrer dans l’ère de la 5G. Par ailleurs, il est judicieux de souligner que les casques de réalité virtuelle sont toujours très chers, rendant les métavers inaccessibles pour beaucoup. 

Un marché en lien avec celui des cryptomonnaies 

Tout est lié. Entre crise de confiance, effondrement des écosystèmes Terra, Celsius, chute du Bitcoin, et plus généralement des jetons non fongibles… Le contexte économique international participe fortement à cet essoufflement. De telle sorte que la bonne santé de la valeur des terrains numériques dépend de celles du marché des cryptomonnaies et des actifs non fongibles, qui elle-même dépend de l’état des marchés financiers traditionnels, qui eux-même dépendent des consommateurs et de leurs pouvoirs d’achat. Et les nouvelles ne sont pas bonnes…

Selon moi, je ne pense pas que le Métavers est mort. Il n’est même pas encore véritablement né.  Nous sommes toujours dans une phase d’expérimentation qui prendra  du temps… C’est parce que Meta est affaibli suite à leurs nombreuses crises externes et internes, qu’il s’est jeté à corps perdu dans le Métavers. Or le projet de ce concept d’univers virtuel parallèle ne devrait pas devenir viable avant de nombreuses années. Il reste encore du chemin à parcourir… Beaucoup d’entreprises et d’utilisateurs, ne sont qu’au stade de la curiosité. Monsieur Huang PDG de Insomnia Labs l’explique très bien : « attendons-nous, non pas à une mort du Métavers, mais à une activité en apnée, comme suspendue ».

Tant que le réel est malade, le Métavers ne pourra pas aller mieux…