Il est 21h30 heure française, la connexion skype est établie. « Bonjour Anne-Sophie, comment allez-vous? » Le ton est joyeux, comme porté par un certain optimisme (syndrome plutôt rare depuis quelques mois). Cette voix chaleureuse est celle de Noomen Lahimer, le CEO de la start-up tunisienne EVEY technologies, spécialisée dans le e-survey et le e-vote. J’esquisse alors un sourire, « Je suis enchantée ». Je m’excuse de n’avoir pu lui proposer un call en journée. Noomen rit et m’explique qu’il jongle habituellement avec plusieurs créneaux horaires : un des co-founders, Maher Hanafi, est basé à San Francisco, puis plusieurs communautés sont éparpillées dans le monde.
La genèse d’EVEY remonte à 2011 lors de la «Révolution de la dignité »,
D’un côté le chômage et la pauvreté, de l’autre la corruption et les violences policières faisaient alors rage en Tunisie. Noomen se souvient: « Il y avait un côté très hypocrite, on ne parlait pas politique avec notre entourage, personne n’était habitué à donner son avis. Très rapidement avec les différentes révoltes qui ont explosé en Tunisie est née une soif de pouvoir s’exprimer librement, d’avoir son mot à dire sur les décisions locales et nationales. Ce sentiment a été alimenté par la jeunesse tunisienne, ultra-connectée au monde, notamment avec Facebook qui a fédéré énormément la population pendant le Printemps arabe : groupes de discussion, agendas, militantismes…» Les moins de 25 ans ne le savaient peut-être pas mais ils représentaient à ce moment là 42% de la population tunisienne et influençaient toute la structure d’un pays grâce à leur engagement sur les plateformes digitales.
« Ce public n’est pas neutre »,
déclare un homme politique mis à mal par le public lors d’une émission TV en 2014. Ce sont ces mots qui donneront l’envie à Noomen de créer sa plateforme de sondage. «Évidemment personne n’est neutre dans les décisions qui affectent nos vies! Mais en même temps personne ne savait vraiment quelles tendances se dégageaient, aucune alternative n’’était proposée, c’était plus une
contestation contre le pouvoir en place.»
Cela devient alors la signature d’EVEY : donner la possibilité à l’ensemble de la population de voter en direct sur des questions spécifiques, de manière anonyme. L’objectif de la start-up est de sonder l’opinion publique en temps réel pour « Engager, Comprendre, Décider ». Remettre les citoyens au coeur de leur société quelque soit le domaine concerné : politique, questions sociales, divertissements… L’essentiel est de prendre en compte l’opinion de chacun, ainsi analyser les résultats afin de proposer des recommandations adaptées.
Beta-test pour Android et iOS,
Avec plus de 6 millions de smartphones en Tunisie, soit plus de 53% de la population équipée, on comprendra certainement le choix de développer une application mobile. Gratuit et très simple d’utilisation, ce baromètre d’opinion publique est disponible pour Android et iOS.
A l’inscription sont pris en compte âge, sexe, région, catégorie socio-professionnelle et centres d’intérêt. Comme dans tous sondages, ces éléments permettront le profilage des personas et donneront les grandes orientations. L’interface est faite de trois onglets. Il y a un fil d’actualités sur lequel vous pouvez suivre tous les sondages du moment, consulter les résultats et les commentaires laissés, puis vous-même voter. Un deuxième onglet grâce vous pouvez créer votre propre sondage et suivre les réponses en temps réel, le troisième étant réservé à des groupes de consultations sur des thématiques particulières, on se regroupe en communautés.
La communauté internationale,
Très vite apparaissent des questions en anglais, en portugais, en espagnol. « Vous êtes quand même très présents à l’international pour une jeune start-up » commentais-je. Noomen considère que la notion de groupe d’intérêts est l’avenir de la communication d’influence. Les partis politiques se démantèlent progressivement, les frontières s’abaisseront sans doute un jour. Peu importe leurs origines, les individus se regrouperont autour d’intérêt ou de valeurs communes. Il revient alors sur la campagne de promotion lancée au moment des élections américaines : « Tout le monde sait que l’élection présidentielle américaine impacte le reste du monde, mais personne ne nous demande notre avis, c’est injuste! Certains préféraient Donald Trump, d’autres Hilary Clinton, mais aucune des motivations des non-américains n’était clairement présentée quelque part. Alors on a lancé le sondage! Ça a eu du succès et beaucoup de personnes du monde entier se sont inscrites à ce moment là. Du coup, on est présent un peu partout. »
Data et Blockchain sont les enjeux majeurs pour le développement de la structure,
Pour l’instant, l’infrastructure est majoritairement financée par la vente de ses logiciels adaptés au besoin de chaque client (technologie Saas). En 2014, le revenu annuel du marché du sondage s’élevait à 2,7 milliards de dollars, avec des prévision de croissance à +10,7% par an. EVEY a donc de belles perspectives, mais Noomen est conscient que sans un renforcement de la gestion des données, EVEY perdrait un marché très important. Comment offrir aux votants l’anonymat total? Comment sécuriser les données de chacun et les votes? Ici est l’enjeu majeur de son développement. L’amélioration technologique est au coeur de leurs recherches, notamment l’instauration de la blockchain, ‘une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle’ (définition: Blockchain France). Cela leur permettra de développer leur activité à l’international, collecter davantage de datas et mesurer l’impact – ainsi devenir un véritable acteur international de la prise de décision collective; un pas supplémentaire vers la cyber-démocratie.