Psychologie sociale, IA et Observance thérapeutique

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La psychologie sociale et l’intelligence artificielle au service de l’observance des patients

Quentin PEDRON, pouvez-vous me décrire votre parcours et votre rôle au sein d’HAJIME AI ?

J’ai une formation en psychologie sociale appliquée au domaine de la santé.

Après l’obtention d’un Master en Psychologie Sociale Appliquée, j’ai intégré deux cabinets spécialisés dans la qualité de vie au travail dans deux disciplines différentes. Chez My sommeil, j’ai étudié l’importance du sommeil des salariés, le travail posté et le travail de nuit. Chez Vital campus j’ai travaillé sur l’impact de l’alimentation et de l’activité physique sur la qualité du travail.

À l’occasion de ma participation à un Hackathon sur l’amélioration du parcours de soins et de la relation entre les patients et les soignants, j’ai travaillé sur les problèmes d’observance thérapeutique. C’est avec mon groupe projet, Barthélemy BOURDON lui aussi spécialisé en psychologie sociale, Simon DEVARADJA ingénieur spécialisé en intelligence artificielle et Jean-François VO développeur informatique, que nous avons décidé de créer HAJIME AI. Ce nom provient des arts martiaux et signifie « nouveau départ » car il s’agit d’apporter une nouvelle vision sur la corrélation entre les recommandations du médecin et le comportement du patient. En effet, une maladie chronique implique un véritable combat.

Chez HAJIME AI, en plus de ma formation initiale de Psychologue, j’occupe la fonction de Chief Product Officer orienté sur la conception du produit. De plus, je suis un joueur invétéré depuis mon plus jeune âge et tous les mécanismes de gamification me passionnent particulièrement.

Pouvez-vous me décrire cette discipline, la psychologie sociale ?

C’est une discipline assez récente qui relie la psychologie et la sociologie. Si l’on peut remonter les origines jusqu’à Auguste Comte, le père de sociologie moderne, c’est vraiment au début du XXe siècle que les gens ont commencé à s’interroger sur l’influence de notre environnement social sur nos idées, nos motivations et nos comportements.

La psychologie sociale recouvre de nombreux domaines, comme la dissonance cognitive qui est un sujet souvent abordé avec plus ou moins de connaissances. Ce sont les travaux de Léon Festinger qui ont mis en lumière ce champ de la psychologie sociale. On peut également parler de la soumission à l’autorité et citer l’expérience de Stanley Milgram, qui montre comment on peut amener quelqu’un à faire quelque chose contre son gré. Les études de ce type sont poursuivies aujourd’hui sur ce que l’on appelle la soumission librement consentie pour montrer comment on peut amener un individu à faire volontairement ce que l’on veut qu’il fasse, comme le démontrent notamment les travaux de Joule et Beauvois.

Dans une expérience de Joule, on se rend compte que si nous soumettons les personnes à un stimulus positif avant la situation que l’on veut observer, celui-ci agit sur le comportement des individus en stimulant son empathie ou son altruisme. La psychologie sociale c’est donc la science des comportements et l’étude de ce qui peut les influencer.

Quel intérêt y a-t-il à utiliser ces modèles dans la santé ?

Les champs d’application de la psychologie sociale sont nombreux, comme l’influence de la communication marketing sur les comportements d’achat. Il y a aussi l’étude des comportements liés à la santé en particulier pour améliorer le dépistage et la prévention.

Il y a un certain nombre de modèles qui permettent de mesurer les comportements et d’autres modèles qui permettent de les prédire.

Chez HAJIME AI, nous utilisons un de ces modèles. Avec notre board scientifique nous nous sommes rendu compte qu’à partir d’un modèle existant, celui de la Théorie du Comportement Planifié, nous pouvions prédire assez précisément les comportements des individus et ainsi poser des stratégies adaptées à chacun.

La théorie du comportement planifié nous dit en fait que lorsque l’on veut mesurer un comportement et que l’on veut savoir si quelqu’un va l’éxécuter, le meilleur prédicteur va être l’intention de comportement, c’est-à-dire « est-ce que j’ai l’intention de faire ce comportement ? ». Pour mesurer cette intention de comportement, 3 facteurs principaux sont à prendre en compte. Il y a d’abord lattitude, qui représente l’idée que l’on se fait de ce comportement, est-il utile, est-il agréable, etc. Il faut aussi prendre en compte les normes subjectives, c’est-à-dire ce que l’individu perçoit de ce que son environnement social pense de ce comportement. Il peut avoir une perception erronée de la réalité qui va avoir une influence sur son comportement.

On le voit aujourd’hui avec la COVID-19 et l’influence de ce que disent les médias sur les vaccins sur notre propre pratique, sur le fait de se faire ou non vacciner ? C’est ce que l’on appelle les normes subjectives.

On va également avoir un facteur qui s’appelle le contrôle, la notion de contrôle perçu.

Il s’agit de répondre à la question « Est-ce que j’ai un contrôle sur la possibilité de faire ce comportement ? ». Cela va prendre en compte les freins perçus (la distance, le temps l’argent, …) mais aussi les motivations, sont-elles internes ou externes ?

Pour donner un exemple de motivation interne et externe, la motivation interne consiste à avoir intériorisé l’importance de ce qui est bon pour ma santé savoir que c’est bon pour ma santé donc je le fais pour moi. La motivation externe n’a pas de lien avec mon bénéfice santé, par exemple on va me payer dix euros pour que je prenne mon médicament. C’est très efficace sur le court terme mais beaucoup moins sur le long terme. La motivation interne est beaucoup plus puissante sur le long terme mais plus difficile à ancrer chez l’individu.

Il existe une banque de stratégies de changements de comportements qu’on a mis un jour chez HAJIME AI avec une revue de littérature. On en a 93 aujourd’hui mais il en existe encore beaucoup d’autres. Notre travail va être d’aller prédire le comportement des individus et de proposer des stratégies de changement de comportement qui sont efficaces sur chaque type de personne.

Comment peut-on influencer de manière positive les comportements liés à la santé ?

Aujourd’hui on essaie d’agir sur l’éducation thérapeutique des patients pour les rendre « patients experts » de leur pathologie et de leur traitement. Sauf que la connaissance, l’information ne suffit pas à influencer le comportement. La connaissance va faire bouger l’attitude. Si on explique au patient que son traitement est utile, il doit changer son comportement. Mais dans la pratique il ne va pas toujours agir. Il y a une la différence entre ce qu’on appelle la sphère des idées et la sphère du comportement. Le fait d’être convaincu de quelque chose ne va pas suffire à adopter le comportement.

D’autres facteurs évoqués dans la question précédente (les normes subjectives, le contrôle perçu, les motivations) vont influencer notre comportement.

Il faut donc mettre en place d’autres stratégies pour peser sur les balances décisionnelles. C’est pour cela que les associations de patients font un gros travail en apportant du soutien social à des personnes qui sont parfois isolées, ce qui peut rendre certains patients peu observants.

Comment votre entreprise HAJIME AI a mis précisément en place ces modèles dans le parcours de soins ?

Nous avons intégré ces modèles sous forme de questionnaires dans la plate-forme HENKO qui permet à des professionnels de santé de recruter un échantillon représentatif de patients afin de mesurer leur intention de comportement. Une fois les résultats obtenus, nous dessinons un persona de cette population et définissons les stratégies qui vont fonctionner sur chaque sous-population.

C’est aussi déclinable au niveau micro, c’est à dire de l’individu. Dans cette 1ère version de la plate-forme, nous donnons des conseils aux professionnels de santé sur l’accompagnement d’un patient en fonction de son profil d’observance. Par extension, nous aimerions la compléter d’outils directement à destination des patients pour favoriser l’observance.

Comment HAJIME AI s’est appuyé sur les nouvelles technologies et notamment l’intelligence artificielle (IA) pour monter sa solution et faire fonctionner sa plate-forme ?

Au départ, nous avons tenté d’intégrer les modèles de sciences comportementales dans des chatbots, à savoir des agents conversationnels, à la disposition des patients pour répondre à leurs questions. Nous développions alors des modules de compréhension du langage naturel.

Mais nous nous sommes rapidement rendu compte au fur et à mesure de nos entretiens métier que l’utilisation brute de nos modèles sous forme de questionnaires serait déjà apporteuse d’informations clés sur le comportement des patients. La solution de Chatbot a donc été temporairement écartée pour la mise en place de la plateforme Henko qui a facilité notre « Go-to-market ».

Nous avons beaucoup appris de ce pivot de solution. Chez HAJIME AI, nous voyons l’IA comme un moyen et non une finalité : on ne veut pas prioriser des chantiers IA à l’aveugle. Nous avons une vision sur le sujet mais notre priorité aujourd’hui est de confirmer les points de douleurs qu’on pourra réellement solutionner avec l’IA. En disposant de la donnée, on peut facilement se disperser en termes de features mais seule l’expérience et les retours métiers nous permettront de prioriser ces dernières.

Bientôt, grâce à la mise en place d’un système de recommandation nous pourrons améliorer le lien entre les mesures et les stratégies de changement de comportement. Ce système reposerait sur des méthodes de filtrage collaboratif comme ceux employés sur Netflix. Ce dernier propose des vidéos dont on sait qu’elles vont plaire en fonction de ce que les individus du même profil ont apprécié. Nous souhaitons faire la même chose : recommander des contenus dont on sait qu’ils ont été efficaces sur des patients aux profils similaires.

Pour cela, nous voulons capitaliser sur l’ensemble des études de diverses pathologies pour alimenter ce système de recommandation, étant donné que le comportement est une science transversale, mais il faut avant ça mettre un focus sur la collecte de données et la multiplication des études. C’est notre priorité aujourd’hui.

Source : Interview de Quentin Pedron, Co-Founder & Chief Product Officer chez HAJIME AI