Pourquoi prêter l’oreille au développement du marketing vocal ?

La 5G, l’Internet des Objets ou encore l’inévitable Intelligence Artificielle, commencent à impacter tous les pans de notre vie quotidienne. Les technologies qui exploitent la voix… suivent cette voie !
Pour faire le point sur les avantages que présente la voix, sur la bataille des enceintes connectées ou encore sur les questions que les marques devraient se poser, nous avons interrogé un spécialiste du marketing vocal. Mais avant de vous le présenter et d’exposer sa vision sur ces sujets, quelques chiffres pour illustrer l’importance que la voix est en train de prendre :

40 % : c’est le taux d’équipement de la population américaine équipée d’enceintes connectées

3,2 millions : c’est l’estimation du nombre d’enceintes vendus en France selon Médiamétrie dans son baromètre de juin 2019

39 % : c’est le pourcentage de Français qui utilisent fréquemment les assistants vocaux, non pas à partir des enceintes connectées (10 %), mais de Smartphones (cf. graphique ci-dessous)

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En apprenant qu’un des alumni du MBA que je suis actuellement, l’executive MBA DMB, avait fait de la voix en particulier et du son en général, son sujet de thèse professionnelle, je me suis dit qu’interviewer cette personne, Jacques Balian en l’occurrence, était une belle opportunité !

Qui est Jacques en quelques mots ?

Après un diplôme d’École de commerce (Neoma), Jacques a occupé plusieurs fonctions marketing (opérationnel, stratégique) en France et à l’international. Il dispose d’une solide expérience de 25 ans sur les marques. « J’ai beaucoup appris sur elles : à quoi elles servent ? Quelles sont leur vocation ? Pourquoi les consommateurs les choisissent ou les rejettent ? Comment on les construit ? Comment on les travaille ? »

Pour intégrer tous les changements systémiques qu’apportent la transformation digitale en cours, Jacques a donc suivi le MBA Digital Marketing and Business. «J’ai voulu ajouter une brique digitale, et là ce n’est pas une brique que j’ai découverte, mais une maison entière, une ville entière même ! J’ai découvert qu’il y avait des techniques à maîtriser, mais surtout un état d’esprit à adopter ! ».

Pourquoi Jacques a-t-il voix au chapitre sur ce sujet ?

De tout temps, Jacques s’est intéressé aux sons. Musicien amateur, il est, entre autres, « fou de radio ». Une conférence dédiée aux assistants vocaux pendant son MBA sert de déclic.

« Si la voix devient un vecteur de communication avec les machines, comment les marques vont-elles s’adapter et même tirer parti de cette nouvelle donne ? Le spectre sonore à maîtriser est très vaste la voix, le son, la musique, la conversation, le contenu via les podcasts, etc. »

Jacques a trouvé sa voie ! Combiner ses passions pour le marketing et pour la voix.

Sa thèse professionnelle est consacrée à la question suivante : « Le son va-t-il prendre sa revanche sur l’image dans la communication des marques ? ».

Il est désormais consultant en communication et marketing sonore. Il accompagne les entreprises dans la construction de leur identité sonore (musiques, sons, voix…). Il les aide à construire et communiquer leur plateforme de marque au-delà des seuls éléments visuels, pour leur apprendre à converser avec leurs cibles, à offrir des expériences pertinentes et fluides, en lien avec leurs valeurs

Ainsi a-t-il travaillé à la définition de voix pour les assistants BNP Paribas et Hello Bank ou à l’expérience sur enceintes connectées pour un constructeur automobile.

3 questions pour tirer les leçons du son

Question 1 : Quels sont les avantages clés de la voix ?

Jacques Balian en évoque 5.

  • Premier bénéfice : l’interface la plus simple qui soit

Communiquer avec une machine passe, avant l’arrivée de la voix, par une interface. La simplification de cette interface a d’ailleurs constitué l’un des piliers du succès d’Apple. Que l’on repense, notamment, aux écrans tactiles.
Difficile de faire plus simple que la voix ! L’interface physique est purement et simplement supprimée…

  • Deuxième bénéfice : Un apprentissage faible

Il y a besoin de très peu voire pas du tout d’apprentissage. N’importe quel enfant, dès lors qu’il sait parler, peut faire fonctionner un assistant vocal… et ne s’en prive pas pour obtenir quelques blagues par exemple ! Idem pour les séniors : la voix est plus facile d’accès que l’utilisation de la souris dont le fonctionnement, s’il est simple pour une majorité de Français, peut présenter de vraies difficultés pour cette population. La voix contribue à lutter contre l’illectronisme.

  • Troisième bénéfice : La rapidité de l’interaction

Un humain est capable d’écrire manuellement environ 30/35 mots par minute. Il peut écrire, avec un peu de d’habitude, jusqu’à 50/60 mots sur un clavier. Un humain peut prononcer en revanche environ 160 mots par minute !
Par ailleurs, le taux d’erreur, comme l’indique le graphique ci-dessous, est plus faible également.

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  • Quatrième bénéfice : Écouter n’empêche pas de faire autre chose

Nous sommes en capacité d’utiliser nos mains tout en écoutant une voix. Cet avantage devient prégnant dans les situations où les mains sont occupées. Commander son taxi ou consulter des informations sur la circulation, l’horaire de passage du prochain bus, au moment de quitter son domicile, pendant que l’on met son manteau sont devenus possible. Mais c’est surtout dans sa voiture où, par nature, les mains ne doivent pas quitter le volant ni les yeux la route, que les assistants vocaux prennent tout leur sens.
Les Français passent de nombreuses heures pour se déplacer chaque semaine. Pendant ce temps, leurs mains sont peu disponibles, contrairement à leurs oreilles. »

« La voix est donc le mode d’interaction le plus efficace entre les hommes et les machines. »

  • Cinquième bénéfice : la voix est un vecteur d’émotions

Les quatre bénéfices sont particulièrement en phase avec les attentes des consommateurs d’aujourd’hui : simplifier (pas d’interface, pas d’apprentissage), donner un accès immédiat (la voix est plus rapide), favoriser le multi-tasking (compatibilité de l’écoute avec d’autres actions).

Jacques ajoute un cinquième bénéfice, bien utile pour les marques notamment.

« La voix est vecteur de plaisir et de réassurance. Avant même notre naissance, chacun a entendu une voix rassurante. C’est instinctif, c’est animal. Et les marques ce qu’elles cherchent précisément, c’est à installer la confiance et procurer du plaisir. Le vocal est donc pour moi un atout extraordinaire pour les marques, qui permet de générer ces avantages moins fonctionnels, des avantages émotionnels. »

Question 2 : Qui va remporter la bataille des assistants vocaux et des enceintes connectées ?

De nombreux acteurs se sont lancés dans la bataille des assistants vocaux. Le marché est encore récent mais, comme sur de nombreux autres secteurs, le gagnant rafle la mise.
Deux acteurs, hors Chine (mais attention Baidu gagne du terrain !), se distinguent : Amazon avec Alexa qui a dégainé le premier et Google avec son Google Home. La société basée à Mountain View est en train combler son retard en termes de pénétration dans les foyers.
Les deux offres proposent des services similaires au sein d’un écosystème. Il est ainsi possible de compléter les fonctionnalités offertes par Alexa en acquérant des applications vocales, des « skills ». Lorsque l’on a des routines, par exemple, allumer la radio le matin et la lumière dans telle pièce, Alexa est particulièrement adaptée.
Sans surprise également, Alexa excelle dans le V-commerce, le commerce par la voix. Attention, pour le moment, les usages sont encore faibles sur la vente en elle-même. Cela viendra, sans doute, par des achats récurrents et peu impliquants comme les piles par exemple. Mais même aux États-Unis, le réflexe n’est pas pris. En revanche, dans le tunnel client, en avant-vente (comparer, en savoir plus, etc.) et en après-vente (où en est sa commande par exemple), Alexa peut se révéler très pertinent.

Peut-être les enceintes avec écran qui arrivent changeront-elles la donne et accéléreront-elles la transformation de ce canal en vecteur de ventes ?

Par ailleurs, Amazon a clairement exprimé ses ambitions dans le domaine de la santé, en exploitant justement son système Alexa.

Google domine en revanche sur les questions de recherche (Search) en termes de fluidité et de précision. Les liens avec l’écosystème sont en effet forts : par exemple Google Maps (Mon Monoprix près de chez moi est-il ouvert demain ? À quelle heure ? Combien de temps pour m’y rendre ?), Google Agenda (Qu’est-ce que j’ai aujourd’hui dans mon agenda ? Ajoute un rendez-vous à 16h demain), etc.

Et les autres acteurs dans cette bataille ?  

Apple a développé Siri au début des années 2010 et propose désormais son Apple HomePod. La performance de Siri est en-dessous pour le moment. Mais Apple investit fortement pour se donner les moyens de rester dans la course, et ses progrès sont fulgurants ! Il serait en train de ravir la place de second à Alexa en termes de search, derrière Google. La marque bénéficie toujours de la bonne image de son écosystème auprès des clients et se veut désormais le chantre de la protection des données personnelles. Cette confidentialité des données constitue d’ailleurs l’un des freins clés au développement du marché à date. Les récents scandales et les annonces notamment de cet acteur Apple, seront à suivre.

Est-ce que des acteurs comme Samsung ou Facebook, où même Qwant sur le créneau de la confidentialité justement, pourront se replacer dans cette bataille ? Pas certain selon Jacques, qui pense que le temps ne joue pas en leur faveur.

Question 3 : Pour une marque, comment franchir le mur du son ?  

Avant même de parler des enceintes connectées et des assistants vocaux, les marques peuvent mieux tirer parti du son pour faire de la présence à l’esprit et communiquer leurs valeurs.
Par exemple, Mastercard a un grand nombre d’interactions avec ses clients au travers des transactions. Cette opportunité de présence à l’esprit n’avait pas été saisie jusqu’à présent. La marque a créé un sonal (jingle) à l’instar de celui de la SNCF qui sera utilisé lors de la réalisation de chaque transaction. Rien qui n’aurait pu être fait il y a 5, 10 ou même 20 ans. Mais on voit bien que notre environnement invite à revisiter ses pratiques à l’aune de la transformation en cours.

Pour en savoir plus sur le cas Mastercard

Au-delà de cette remarque préliminaire, il me semble que les réflexions suivantes, partagées par Jacques, peuvent concerner pratiquement toutes les marques.

Premier conseil que Jacques donne : Identifier dans les parcours, tous les touch points où le son pourrait intervenir utilement pour la marque.

Exemple : Ainsi, une banque pourrait « découvrir » des lieux ou moments où sa marque pourrait s’exprimer par sa musique ou sa voix : centre d’appel bien sûr, mais pourquoi pas aux distributeurs automatiques de billets, à l’ouverture de l’application smartphone, au moment de valider une transaction…

Deuxième conseil : Compte tenu de la plateforme de marque, décliner ses valeurs par le son

Les marques ont mis en place une identité visuelle, décliné des chartes graphiques. Mais très peu parmi elles, ont conçu et produit une identité sonore.

Exemple : La SNCF est bien sûr exemplaire. Sa musique et sa voix sont déclinés sur tous les supports, des trains aux événements, en passant par la publicité ou le sponsoring. Ses valeurs de proximité, de chaleur et de réassurance sont alors démultipliées.

Troisième conseil : Tirer parti du son pour proposer des expériences plus riches

Exemple : La marque de couteaux Deejo a, pour sa part, développé disjoe.fr, qui permet la personnalisation de son couteau. Par la voix, le ton adopté et le script, l’expérience est volontairement provocatrice, lui apportant si j’ose dire un vrai « tranchant ». Nul doute qu’un tel acte d’achat, s’il est clivant, devient inoubliable. 

Rappel très utile de Jacques dans le nouvel environnement dans lequel nous sommes entrés :

« Impossible de se reposer sur ses lauriers. Les développements technologiques, la pression concurrentielle nécessitent de challenger ses pratiques. »

Mais les données mises à disposition  permettent aussi plus facilement d’apprendre et de progresser si on en tient compte !
Par exemple, certaines marques posent des skills Alexa… et ne les retravaillent plus ! Ainsi la RATP a-t-elle développé une application vocale qui donne des informations sur la ligne 12, la ligne 14, etc. Mais, le besoin, exprimé sur le Skill Store, porte sur les horaires du prochain bus ou du prochain tramway !

Des développeurs indépendants se sont intéressés à la question… et il existe plusieurs applications vocales qui proposent ce service… Je demande alors Alexa d’ouvrir « MonBusFavori », sans citer la marque RATP.
Même situation pour Allociné sur Alexa : certes, la marque propose les sorties de la semaine… mais ne répond pas à la question de la prochaine séance.
Google, face à cette demande récurrente, donne accès à la réponse, et désintermédie ainsi Allociné.

Le danger pour les marques de laisser « le temps au temps », c’est de se faire prendre sa place par d’autres acteurs.

Ce qu’illustre ci-dessous la grille d’analyse d’ubérisation développée par Jérôme Wallut.
Exemple dans l’univers de la mobilité (cf. son ouvrage référent que je recommande chaudement : « Patrons, n’ayez pas peur »).

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D’autant plus dommage que nous sommes encore dans un état de grâce : l’utilisateur accepte que le service ne soit pas parfait… mais une fois que les standards seront établis, combler le retard sera plus difficile, avertit Jacques Balian.

Dernière question : Quelle est la prochaine étape ?

L’avenir pourrait résider dans l’absence ultime d’interface avec notre cerveau. Présent au Futuroscope de Poitiers, le jeu « mind ball » voit s’affronter deux adversaires armés de bandeaux à électrodes, afin de déplacer une balle à l’aide de leurs ondes cérébrales.

Le futur de nos machines résidera-t-il dans la commande par la pensée ?

Un grand merci à Jacques de m’avoir consacré du temps et d’avoir répondu à mes questions !

Philippe Le Magueresse