Le portable, la deuxième maison des ados

« Ma vie est finie, tout simplement ! » s’effare Inès, les yeux grands comme des soucoupes. La jeune collégienne de 14 ans ne parle pas d’un accident, d’un échec scolaire ou d’un drame familial, elle vit l’angoisse à la seule évocation d’être privée de son smartphone pendant une journée, une heure même !

Pour elle, les 6-7-8 février décrétés journées sans portable sont une hérésie.

« Mon portable, c’est ma vie » abonde Martin, en classe de troisième. A croire que le portable devient une extension de soi-même.

 

Ce rapport névrotique au téléphone a été nommé par les Anglais : la « nomophobie », contraction de « no mobile phobia », la phobie de ne pas avoir de mobile à portée de main. Une étude de la UK Post Office, en 2008, l’avait révélée, en observant que 53% des utilisateurs de portables présentaient des symptômes d’anxiété en cas de perte, de mauvaise couverture réseau ou de batterie faible.

 

Les ados restent très connectés : 93% des 12-17 ans sont équipés d’un portable. Ils mènent une vie numérique frénétique qui engendre de nombreuses tensions familiales. Leurs parents leurs en achètent un lors du passage en classe de 6è, mais ils peinent à imposer des règles, dépassés par les technologies. Le temps passé sur leur portable est très variable : une heure par jour pour Andréa, 15 ans, six heures pour Jawad, 14 ans, « quand il y a école », mais « dix-huit heures en vacances », exagère ce passionné de série. En moyenne, « quatre heures par jour environ », estime le plus grand nombre.

 

Pour ces ados, le premier usage n’est certainement pas de téléphoner. Pas même de textoter, malgré les forfaits gratuits illimités proposés par les opérateurs. Trop lent, trop formel, pas assez instantané. Le SMS est réservé « genre » aux grands-parents, s’amusent-ils. Tous s’accordent à dire que le premier usage est :

  • écouter de la musique
  • envoyer des messages instantanés via Snapchat ou Instagram
  • publier des stories imagées de leur quotidien
  • surfer sur les réseaux sociaux
  • regarder des vidéos sur You Tube

Pour les infos, ils utilisent Twitter, « c’est bien pour les gossips et pour interagir en direct avec une star ou une émission télé ». C’est par Twitter que beaucoup d’entre eux disent avoir pris connaissance des attentats de 2015.

 

La première vertu du portable, selon ces adolescents, comme la source première de leur addiction, c’est le « lien continu » avec les amis. Pour eux, c’est la parole à portée de main et à flux tendu, l’ultra-connexion au groupe.

Selon le pédopsychiatre Stéphane Clerget, il s’agit « d’une immense agora, un lieu de vie ». C’est aussi un instrument de valorisation, où la mise en scène de soi est reine, et un baromètre de popularité et de réputation où l’on se note, se « like », se « follow », où l’on achète des abonnés en téléchargeant des application dédidées, où, à l’inverse, on constitue des « dossiers » sur les autres.

 

Le risque du « phubbing »

 

« Moi, mon compte Snapchat c’est ma maison. J’aime savoir que j’ai 600 personnes qui viennent lire ma story, c’est valorisant. » dit Jawed.

Cela permet de compenser un manque ou un mal-être de la vie réelle car, explique Louane, « on peut être super popu sur les réseaux et pas du tout au collège ».

Autant de caractéristiques qui répondent aux besoins psychologiques de leur âge. Cela leur permet de valider qu’ils font bien partie du groupe. Surtout sur les réseaux sociaux, les ados peuvent s’inventer une vie, un physique, un mental. Une culture des identités à réalité augmentée, voire fausses ou usurpées. Quant aux pièges, au harcèlement, aux contenus pornographiques ou violents, les adolescents ont intégré le discours de prévention sur les risques et les dangers.

Ils sont aussi conscients que « ça nous vole du temps » et que « ça nous déconcentre grave de notre travail ». Pour Andréas, le risque c’est que « cette dépendance peut conduire à l’isolement ». Un comportement que les spécialistes appellent le « phubbing », lorsque l’on consacre l’essentiel de son attention au smartphone, au détriment des personnes avec qui on est en présence.

 

Source : Le Figaro, lundi 6 février 2017 ; Portables, la face cachée des ados, Céline Cabourg et Boris Manenti, Flammarion, Janvier 2017