Alors que Disney+ s’apprête à débarquer sur nos écrans à la fin du mois de mars et que la concurrence se fait toujours plus rude, Marie Turcan -rédactrice en chef de Télérama- lève un peu le voile sur le géant du streaming et ses pratiques.

Que pensez vous de la façon dont Netflix communique ses chiffres ? Quelle valeur accorder à leurs systèmes de mesures d’audience ?
Ils ne communiquent quasiment sur rien, c’est aussi leur force, ils ne doivent rien à personne. D’après Reed Hastings, « on ne doit quelque chose qu’à nos abonnés », l’absence de publicité les rend extrêmement indépendants. Leurs chiffres ne leur servent qu’à eux. En interne, ils les comparent sûrement et voient bien qu’ils touchent plus de monde que les chaînes de TV linéaire, mais leurs chiffres n’ont de sens que dans leurs propres metrics pour les décisions qu’ils doivent prendre (que ce soit sur les coûts de production de certaines séries VS le nombre d’abonnés rapportés).
Il y a quand même eu un revirement quand Netflix a décidé de communiquer un peu plus car le secret passait assez mal auprès des médias. Avant l’an dernier, on ignorait le nombre d’abonnés en France. Maintenant, dès que Reed Hastings est de passage à Paris, il donne un nouveau chiffre. D’abord 5 millions puis 6 millions, maintenant 6.7. Je vois ça comme une carotte.
Ils communiquent des classements qui donnent une idée de grandeur, c’est une bonne technique pour faire parler d’eux. Ces tops sont incomparables à tout le reste. Ces données sont limitées, ça sert à faire des campagnes au niveau mondiale, de faire des comparatifs de pays, c’est un outil de communication. L’article « c’est de la merde » est un des articles les plus lus. Ça avait du sens d’écrire dessus, de démêler le vrai du faux.
Je trouve que les gens sont de plus en plus prudents. Il y a une forme de responsabilisation dans les médias. Peu de médias ont repris les données tel quel. Il y a un petit travail d’analyse derrière.
Quelle plateforme aurait le potentiel de détrôner Netflix ?
C’est impossible, Netflix a une telle longueur d’avance ! Grâce au fait qu’ils se sont lancé en 2014, ils ont un statut de leader. Un acteur seul n’y arrivera pas, Disney vise les 40 millions d’abonnés sur 5 ans. C’était peut-être très modeste à l’époque mais à mon avis c’est très cohérent. Même s’ils ont eu 10 millions d’abonnés en jour, forcément certains vont se désabonner, ensuite le nombre devrait stagner. Il est possible que ça prenne bien, que Disney Plus ait une vraie assise. On va suivre leur lancement de près, car il y a un vrai potentiel et les français sont des gros consommateurs de SVOD. C’est très rare d’avoir 10% de la population abonné à Netflix en Europe.
En revanche, il faut départager le marché US et international là ou Netflix va clairement rester leader. Beaucoup de plateformes US ne se lanceront pas en France. Les américains auront un vrai questionnement autour de la répartition des abonnés sur le marché…
… Et sur jusqu’à combien d’abonnements les gens seront prêts à prendre
Mon sentiment c’est que les consommateurs vont être assez fluide, vont s’abonner pendant un mois, binger watcher et repartir. D’où la stratégie que Disney et Apple de ressortir un épisode par semaine. On en revient à une forme de télévision linéaire. Si c’est juste une bataille de catalogue (ou une bataille de catalogue froid), ça va être d’autant plus compliqué. Ritualiser le visionnage est une manière de dire « ne vous désabonnez pas ». Ce serait amusant de savoir s’il y a un pic de désabonnement après l’arrêt d’une série. La bataille se fait sur les productions exclusives également. Chaque plateforme a son gros lot de séries exclusives avec des grosses stars, dans différentes productions.
En termes de stratégies, les GAFA et Hollywood ont des stratégies similaires. Si t’es HBO max ou Peacock, t’as seule manière de récupérer une série c’est de sortir des millions. Dans les négociations de séries exclusives, ça va se jouer à celui qui offre la plus grande liberté de création en plus du gros salaire, des choses techniques. En termes de paysage sérielle et de qualité, HBO a une vraie carte à jouer par rapport à ses concurrents. Peut-être qu’à termes les plateformes tirées des studios hollywoodiens auront une force quand ils auront récupéré l’intégralité de leur catalogue respectif…
Affaire à suivre, donc !