Le métavers de vain ?

Ami lecteur, vous avez cliqué sur ce titre volontairement provocateur et racoleur ? C’est le but !

Depuis plusieurs mois, le metaverse ou métavers dans la langue de Molière est sur toutes les lèvres. Si les marques s’emparent de ce nouveau moyen de diffusion, certaines inquiétudes voient le jour. Intérêts, enjeux, menaces…Tour d’horizon de ce que l’on appelle le Web3.0.

Genèse du métavers et nouvel engouement 

Le mot « metaverse » apparaît pour la première fois dans le livre de Neal Stephenson intitulé Le Samouraï virtuel (Snow Crash en anglais). Pourtant le concept n’est pas nouveau dans la littérature SF et plus spécifiquement cyberpunk, puis a été repris dans l’univers du gaming. On peut citer Le Deuxième Monde lancé par Canal+ dès 1997 et Second Life en 2003.
28 octobre 2021, Facebook devient Meta afin de développer son Métavers et dépoussiérer son cœur d’activité de plus en plus boudé par les jeunes et concurrencé par TikTok. Coup de tonnerre ! Quand un GAFAM affirme qu’il se tourne vers le futur d’Internet en y injectant des milliards, on tend généralement l’oreille…
Alors qu’est-ce qui différencie le Métavers d’un MMORPG (jeu massivement multijoueur) ?
Le métavers est un monde virtuel connecté, synchrone et persistant accessible via des interactions 3D. Réseau social, shopping (paiement par monnaie virtuelle), travail, éducation, évènement online, salons virtuels, jeux : les possibilités sont infinies comme dans le monde physique.

Second Life : précurseur du métavers

La pandémie comme catalyseur

Lors de la pandémie, notre façon de travailler a dû être repensée (Teams, Zoom) et de nombreuses marques, notamment dans le luxe ont décidé d’investir dans un nouveau territoire, celui du gaming : Balenciaga/Fortnite, Valentino/Animal Crossing, Ralph Lauren/Roblox
On a pu voir également sur Fortnite un concert d’Ariana Grande réunissant 12M de personnes.
Ces nouveaux investissements des marques et les annonces de Meta ont engendré une course à l’armement des ténors du secteur,  une sorte de « Fear Of Missing Out » industriel : une peur de rater le train du métavers…

Digital transformation dans le métavers

Métavers et décentralisation

Les géants de la Tech comme Google, Microsoft, Apple, Nvidia, Samsung, Apple, HTC, Niantic… s’activent déjà dans le secteur des métavers que ce soit dans les serveurs ou dans des unités de R&D.
Se pose alors la question de la décentralisation du métavers : s’il est bien décentralisé mais contrôlé par quelques groupes, la décentralisation est alors un terme galvaudé. On peut le voir avec le système des cryptomonnaies ou des NFT : si ces systèmes sont entièrement décentralisés par la Blockchain, les plateformes de trading les centralisent.

Décentralisation du métavers

Les métavers et interopérabilité

Comme vu auparavant, il n’existe pas un mais des métavers car chacune des entreprises précitées développe sa solution, solution qui va être utilisée par de nombreux éditeurs et développeurs. Même si le marché est balbutiant et que l’on peut déjà prévoir des succès et des échecs commerciaux dans les 10 prochaines années, il y aura, à n’en pas douter, plusieurs métavers au final. Alors comment passer d’un métavers à un autre comme d’un onglet à un autre sur le Web en gardant votre avatar, vos skins et vos biens ? Vaste programme ! Certaines entreprises développent de nouvelles plateformes et de nouveaux graphs par des pools de métadonnées permettant une interopérabilité des métavers en passant par la Blockchain. Comme Improbable (levée à 150M$) ou MetaMetaverse qui a ainsi pu lever 2M$ ; son fondateur, Joel Dietz explique : « réinventer le système de noms de domaine (DNS) de l’Internet, qui est le système d’adressage permettant de trouver les choses sur Internet. Mais il s’agirait d’un système de coordonnées pour des objets complexes en 3D qui vivent dans un espace en 3D. »… Bigre !

Interopérabilité du métavers

Equipement

Particulièrement gourmands en bande passante, les métavers voient actuellement le jour par l’avènement de la 5G et par des serveurs de plus en plus puissants. Mais les acteurs principaux du métavers proposent ou tendent à des solutions VR, AR et MR, ce qui nécessite un casque.
Meta Quest, Projet Cambria, Hololens, HTC Vive
, autant de casques onéreux et encombrants. Meta Quest, ex Oculus, est le plus abordable à 300 €. Si le coût d’équipement est élevé, le confort d’utilisation l’est moins : la définition n’est pas optimale et porter plus d’une heure ce casque est un calvaire dû au poids et à l’effet d’œillère par un champ de vision rétréci. On peut également se poser des questions sur la santé : problèmes de dos, de vision, lag d’images entrainant un malaise que l’on appelle la cybersickness…
D’un point de vue technique, si l’on prend par exemple Horizon Worlds de Meta, c’est assez moche et infantile : les avatars sont des troncs flottants et l’on est loin d’une démo faite sur Unreal Engine 5 : la faute certainement à des serveurs trop justes dans la gestion des données en temps réel. Le résultat est plus probant si l’on prend l’apps Digital Twins en MR développée par Microsoft/Cosmo Tech pour le B2B.
Dans tous les cas, l’acquisition ou le rééquipement des terminaux ainsi que la multiplication de la puissance des serveurs alertent sur le futur impact écologique du métavers.
Pause récréative et plaisir des yeux…

Cybersécurité et modération

Comme pour Internet, le métavers pose le problème des vols de données, voire d’identité : les hackers pourront-ils pirater votre avatar et son portefeuille virtuel ?
Pour le harcèlement, plusieurs plaintes ont déjà été déposées par des femmes pour des cas de cyberharcèlement sexuel sur Horizon Worlds aux USA : c’est déjà le cas sur le Web, pourquoi cela changerait ?
En revanche, comment modérer des interactions en temps réel ? C’est à priori impossible : comme dans le physique, une personne peut, en temps réel vous insulter, vous harceler, propager des fake news, faire des déclarations homophobes ou racistes. En effet actuellement, le Web, notamment pour les RS, est asynchrone : ce que vous publiez est analysé par des IA de modération, certes perfectibles, mais qui ont le mérite d’exister… Et comme le métavers se veut décentralisé, il n’y a aucun organisme de régulation ou de sanction (pour l’instant) à part ceux mis en place sur les plateformes…

Modération métavers

Bulle spéculative  ?

Les marques investissent en masse dans l’immobilier virtuel des métavers par l’intermédiaire de plateformes telles que Somnium Space, Cryptovoxels, Decentraland ou encore The Sandbox (500M$ de ventes à elles 4 en 2021). Cette dernière, française, a passé un accord avec 165 marques dont Atari, Adidas, Binance…Et le prix des terrains a été multiplié par 300 entre décembre 2019 et janvier 2022. Et pourtant, on assiste depuis la mi-mai à un effondrement des cryptomonnaies, même si MANA (Decentraland) et SAND (The Sandbox) se relèvent.
Artur Sychov, fondateur de Somnium Space est inquiet : « Tandis que l’intérêt envers l’immobilier virtuel a augmenté ces six derniers mois, il est clair que la plupart des gens ne comprennent pas complètement les usages possibles de ces terrains. Une valeur monétaire réelle devrait être uniquement attachée à des biens virtuels qui ont une utilité réelle pour leurs propriétaires, sinon il y aura un énorme risque de bulle spéculative qui causera du tort aux consommateurs et aux entreprises. »
Pourtant, selon une étude publiée le 16 mai dernier par Analysis Group, cabinet américain financé par…Meta, le développement du métavers pourrait injecter 3 000 milliards de dollars au PIB mondial d’ici 10 ans. Mais l’étude fait le parallèle entre l’évolution des investissements dans le métavers à venir et celle du développement de l’Internet mobile ; parti-pris intéressant mais rien n’indique que le public va suivre comme pour celui de l’Internet mobile.
Une autre étude réalisée par Piper Sandler en avril, sur la base de 7 100 américains âgés de 16 ans, révèle qu’ils sont seulement 9% à vouloir se procurer un casque VR pour accéder au métavers. C’est pourtant une grande partie de la cible du métavers sur les 10 ans à venir. Alors le métavers est-il un univers plébiscité par les marques mais sans consommateurs ? Va-t-on assister à un éclatement de la bulle métavers comme celle de la bulle Internet au début des années 2 000 ? L’avenir nous le dira.

Bulle spéculative

La question de la fracture digitale

Inégalités des territoires :
L’accès au métavers implique une infrastructure robuste avec notamment l’Internet haut débit et la 5G. Nombre de pays en voie de développement ne possèdent pas ces infrastructures. D’ailleurs, dans l’étude d’Analysis Group, le métavers aura un impact de seulement 40 milliards de dollars en Afrique subsaharienne Vs les 3 000 que le monde se partagera.
Inégalités sociales et sociétales :
Ordinateurs plus puissants, téléphones 5G, équipement VR (casque gants, capteurs)… Seuls les plus aisés auront accès à cette technologie. On peut craindre également un élargissement du fossé intergénérationnel couplé à l’illectronisme dont on a pu mesurer les effets lors des précédents confinements. Par exemple, on aura du mal à imaginer mamie Ginette remplir sa feuille d’impôts vêtue d’un casque et d’une combinaison haptique…

Fracture digitale

Pour conclure 

Entendons-nous bien, si l’article est plutôt critique et à charge, je suis plutôt excité par le futur des métavers et par les possibilités qui nous seront alors offertes. Le marché a besoin de mûrir, de s’autoréguler et de se décanter. Je pense que l’enthousiasme général doit être tempéré…Je vais faire une petite analogie avec le train : on investit massivement dans les wagons mais l’on n’a pas encore posé les rails de la direction à suivre (interopérabilité, régulations) et l’on n’a pas encore construit la locomotive (univers probant, robuste et massivement accessible).

Alors métacash ou métacrash ? Faites vos jeux !