Quand le luxe rencontre le digtal

Au premier regard tout oppose le luxe et le digital. Le premier vise l’élitisme, l’émotion, la rareté alors que le second évoque l’universalité, la distribution de masse, le coté mainstream.

Le créateur d’une maison de mode fait appel à son intuition pour anticiper les tendances de demain, le big data analyse, lui, un grand nombre de données factuelles pour concevoir des modèles prédictifs.

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D’après Denis Darpy, professeur de marketing à Dauphine, le luxe se définit par « 4 E » : excellence, exception, excès et expérience. Quatre attributs qui le rend souvent inaccessible …

En effet, longtemps réservé aux « happy few » le luxe s’est démocratisé grâce à l’utilisation des réseaux sociaux. Il a su venir à l’encontre des attentes des clients adeptes de ces nouveaux usages.

Même si certaines marques ont été assez réticentes à l’idée d’investir les réseaux sociaux tant les codes qui y régnaient leur paraissaient contraires à leur ADN, elles se sont vite rendu à l’évidence … ne pas être sur les réseau sociaux aujourd’hui c’est d’être voué à mourir.

Le pas a été plus ou moins évident en fonction des maisons, il y a les marques plus conservatrices, qui peinent à revoir leurs habitudes et leur fonctionnement et il y a les plus jeunes qui parviennent à acquérir une visibilité mondiale à une vitesse inédite et sans engager des moyens pharaoniques.

Exemple, la marque de mode Sézane qui compte aujourd’hui plus d’abonnés Instagram que Moët&Chandon ou la marque de cosmétiques Clarins, les deux mondialement connus.

De l’art du storytelling à l’art du storyliving

La stratégie des valeurs du luxe même est en plein changement, les leviers se déplacent vers l’expérience de marque et l’émotion au détriment de la rareté et de l’excellence.

Car finalement, on a vu émerger des nouvelles marques, ces dernières années, qui utilisent les codes du luxe, afin d’être assimilées : si elles n’ont ni l’histoire ni les clients des grandes maisons du luxe, elles utilisent leur terminologie et leurs images, mais également le soin apporté aux emballages… Autant de codes qui font aujourd’hui leur succès.

Les barrières à l’entrée si présentes par le passé ont quasiment disparu ce qui permet aux marques émergentes une concurrence directe avec les acteurs établis notamment grâce au digital qui poursuit de manière accélérée son travail de démocratisation du marché du luxe.

Grâce à une identification précise des profils, le digital permet d’envoyer des actualités en lien direct avec les attentes des consommateurs, d’installer un marketing one-to-one très avancé.

Les marques misent de plus en plus sur le « brand content » car elles peuvent diffuser leur propre contenu tout en gardant le contrôle. Des contenus exclusifs sont proposés aux fans de la marque (défilés de mode, coulisses de fabrication, magazine …).

En France, deux marques sont emblématiques : Chanel, pour son art du storytelling en vidéo sur You tube, la marque a développé un réel savoir-faire pour se raconter ; Louis Vuitton, pour sa vision très stratégique.

Les maisons les plus audacieuses cherchent à aller encore plus loin dans la démarche en créant un vrai espace d’expérience qui s’étend jusqu’à dans les boutiques.

« Le luxe doit capitaliser sur son savoir-faire pour civiliser le digital et remettre l’humain au centre, avec un vendeur en mode mentaliste des médias sociaux… » (Éric Briones dans « Luxe et Digital », Dunod 2016)

L’un des messages forts que le digital adresse au luxe c’est la nécessité de développer une digitalisation singulière. Le vendeur de produits de luxe doit devenir littéralement le mentaliste de son client.

marques_luxe« 78% des nouveaux consommateurs considèrent que le luxe est aujourd’hui davantage une histoire d’expérience que de possession. » (Stratégies)

50% des recherches liées au luxe se font via mobile ou tablette. Ce chiffre significatif devrait encourager les maisons de luxe à s’interroger sur leurs canaux actuels de distribution. Avec l’essor de l’e-commerce, la clientèle souhaite dorénavant acheter n’importe où, à tout moment et surtout sur n’importe quel support, c’est pourquoi la digitalisation du parcours client est une évolution incontournable.

Réalisée par l’agence PMX, l’étude internationale « Luxury Brands Online 2016 » estime que les réseaux sociaux comptent en moyenne pour 6% du trafic web des 80 plus grandes marques de luxe.

En octobre dernier Iconosquare société d’analyse et de mesure spécialiste d’Instagram rendait son verdict : neuf sur dix marques françaises les plus populaires sur le réseau social en question sont issus du monde du luxe. Chanel se positionne en leader avec un nombre de followers qui est passé de 6 millions à 15 millions en espace d’un an.

« Le compte Instagram d’une marque de luxe représente la carte d’identité, la synthèse, son ADN, perceptible instantanément. »  (Cyril Marin Le Quellec, directeur général adjoint de Mazarine Digital, filiale de l’agence spécialisé dans le luxe).

Plus question donc de négliger cette opportunité business et image.

Aux yeux de certaines maisons le e-commerce semble ne pas correspondre à l’écrin que peut représenter une boutique physique et à l’univers qu’elle véhicule. Pour ces maisons, internet ne semble pas être à la hauteur de leurs exigences en termes de qualité de service.

Une véritable erreur, car le contenu pertinent que internet conserve sur les habitudes d’achat des consommateur couplé à un bon CRM sont la base d’une relation extrêmement personnalisée avec chaque client. Il faudra toutefois éviter les newsletters de masse en privilégiant des attentions personnelles et nominatives pour maintenir ce coté premium de la relation client.

Néanmoins, certaines maisons ont réussi à développer une stratégie digitale différenciante. À titre d’exemple, Burberry investit ainsi 60% de son budget marketing sur le digital. Elle fut à l’origine du réseau social ArtoftheTrench réunissant tous les clients de la marque et possesseurs du fameux trench. Sephora a lancé son Sephora Lab, vrai générateur des idées novatrices, Guerlain a créé son service de consultation digitale pour trouver son parfum idéal…

Autant d’initiatives des marques du luxe qui ont compris qu’être présent sur internet était surtout un nouveau moyen de repenser sa relation client tout en apposant les codes du physique au digital.

Le site e-commerce n’est finalement que l’une des composantes d’une stratégie digitale globale tournée vers la notion de service ultra premium, avec accompagnement personnalisé à distance par un chargé de clientèle dédié, et un niveau de service inégalable.

Là où la mode a mis plus de temps à adopter les codes de la nouvelle consommation, d’autres industries, notamment l’industrie hôtelière et celle de la restauration, ont vu les plateformes comme une opportunité pour augmenter leur visibilité et faire du yield management. On retrouve ainsi de nombreux restaurants étoilés sur le site lafourchette.com. Ces derniers ont compris que pour être vus, il ne fallait plus compter sur une simple recherche sur Google mais être référencés sur ces annuaires.

Et comme toujours, c’est le parcours utilisateur qui est au cœur de cette réflexion : ces marques sont suffisamment souples et polymorphes pour savoir se positionner à des carrefours d’influence, utiliser ce qui est utile à leur travail d’image, sans abandonner ce côté  » mainstream  » qui est la base de leur chiffre d’affaires.

Les plus belles réussites d’hybridation sont sans doute certaines grandes maisons de couture françaises, qui, tout en gardant le cap de leur ADN, ont utilisé certains leviers forts du digital pour sortir du lot. Elles ont utilisé le côté disruptif, et parfois insolent, des armes digitales, pour adresser un nouveau public, et s’offrir une nouvelle jeunesse. Pour preuve : louis Vuitton qui rassemble une communauté de 18 millions de fans sur Facebook, fruit d’un mélange équilibré entre campagnes efficacement menées et relations précieuses avec les influenceurs.

Le luxe à l’heure de l’open innovation

Les start-ups du luxe l’ont vite et bien compris, la porte d’entrée privilégiée pour conquérir des parts de marché dans ce secteur fermé est le numérique et notamment les services qu’ils pouvaient apporter aux grands groupes installées depuis des décennies.luxe_digital

Une vraie «course aux start-ups » s’est enclenchée, témoignant de manière plus vaste d’une transformation digitale de grande ampleur qui a bien été déclenchée au sein des grandes maisons du luxe.

Impossible toutefois d’affronter cela seules… elles misent alors sur la collaboration avec les startups, qui se révèle être un vrai partenariat gagnant-gagnant – une vraie relation business qui s’installe et qui sert chaque partie :

  • Les start-ups bénéficient des budgets importants, débouchés potentiels, et un avantage non-négligeable : un premier client prestigieux
  • Les grands groupes gagnent en agilité, se diversifient en s’appuyant sur des habilités qu’elles ne détiennent pas en interne et gagnent des parts de marché dans un secteur très concurrentiel

Quand Henry Chesbrough, professeur à Berkeley, a popularisé le terme d’« open innovation » en 2003, il était surement loin de se douter  doutait  du succès de la tendance 15 ans après.

Le marché du luxe doit devenir davantage expérientiel pour se démarquer. Les nouvelles attentes des consommateurs en termes de digitalisation des services ne font que renforcer la mutation de ce secteur. Une vigilance accrue et une perpétuelle stratégie d’innovation sont plus que jamais essentielles pour ne pas se faire uberiser.

En conclusion, le grand challenge est de trouver le doux équilibre entre rester fidèle à son identité et s’adapter aux tendances de la société – faire du digital oui, mai tout en gardant l’humain et la relation client au cœur de ses préoccupations.

Sources :

http://www.ecommercemag.fr/Thematique/marketing-1012/Breves/Tribune-Quand-luxe-digital-rencontrent-307206.htm#pczSOjXt7cL3USta.97

https://www.marketing-community.fr/2016/04/le-luxe-face-au-digital/

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-digital-peut-il-tuer-les-marques-de-luxe-583656.html

https://marketingclient.lesechos.fr/decryptage/le-luxe-a-lepreuve-du-digital/

http://www.showmustgoon.co/

Stratégies n° décembre 2016 – dossier « Luxe »

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