Aujourd’hui l’heure est à la lutte contre le coronavirus, et l’urgence de la situation nous fait accepter toutes les mesures sécuritaires sans trop poser de questions. Nos données personnelles sont donc mises à contribution : suivi de notre géolocalisation, vidéosurveillance généralisée, la France a même fait savoir qu’elle réfléchissait à « l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées ». Mais après la crise, la vie privée va-t-elle reprendre ses droits, ou ces mesures vont-elles durer dans le temps ?
Quelle utilisation de nos données dans le cadre du coronavirus ?
C’est d’abord en Chine, souvent critiquée pour son système de surveillance citoyenne, que l’analyse de données personnelles a été mis à profit dans la lutte contre le coronavirus.

“Utilisez les données pour surveiller, identifier (les cas) prioritaires et prévoir efficacement l’évolution de l’épidémie en temps réel”, a ordonné mardi 4 février la Commission nationale de la santé aux gouvernements locaux. “Il faut renforcer le partage d’information entre (…) la sécurité publique, les transports, et les autres administrations”
Dans ce but, le dispositif le plus massivement utilisé a été la géolocalisation des smartphones, afin de détecter et reconstituer les déplacements des personnes, et avertir les populations susceptibles d’avoir été exposées au virus. Les principaux opérateurs ont donc fourni aux autorités de santé les données de localisation de leurs utilisateurs ayant transité par les provinces infectées, au début de la crise.
Puis le smartphone est progressivement devenu, grâce à la multitude de données générées, l’indicateur de l’état de santé de son propriétaire. Le système de paiement mobile Alipay, utilisé par 900 millions de Chinois, permet désormais d’évaluer le statut sanitaire de son utilisateur, en fonction des contacts et des déplacements de son utilisateur. Ainsi, les géants chinois Alibaba et Tencent ont été sollicités pour mettre au point un nouveau système de QR code basé sur différentes couleurs dans l’optique de suivre l’état de santé des Chinois, et qui permet de passer les différents barrages si ce denier est satisfaisant.
Des technologies de reconnaissance faciale, dotée de caméras thermiques, sont également mis en place (plus que ça ne l’était déjà) dans les espaces publiques, pouvant contrôler plus de 200 personnes par minute.
Des populations inquiètes pour leur vie privée
Les populations mais également des ONG s’inquiètent des conséquences de cette crise sur la vie privée. D’après l’une d’entre elles, Electronic Frontier Foundation,
Ces pouvoirs pourraient “envahir notre vie privée, réduire la liberté d’expression et peser lourdement sur les groupes vulnérables”, continue-t-elle. “Les autorités doivent prouver que de telles mesures sont efficaces, scientifiques, nécessaires et proportionnées”.
Jusqu’à l’Elysée, où Emmanuel Macron réfléchit aux côtés du CARE (Comité Analyse Recherche et Expertise) à la mise en place de mesures du suivi des déplacements pour endiguer l’épidémie. Cette pratique se nomme « backtracking » et consiste à remonter les déplacements de personnes contaminées et suivre les contacts entre les personnes, comme avec l’appli CoronApp.

Des questions se posent alors : ces données seront-elles anonymisées ? Combien de temps seront-elles conservées ? Ce dispositif prendra-t-il fin en même temps que l’épidemie ? Il semble trop tôt pour répondre à ces questions, mais des associations préfèrent avertir :
Les données de localisation ne peuvent être collectées sans le consentement des personnes que pour lutter contre les infractions (et seulement les crimes les plus graves, d’après les juges de l’UE) et non pour lutter contre la propagation d’un virus »
Quadrature du Net
Le respect de la vie privée est donc un enjeu considérable en temps de crise. Même si le Comité Européen de la Protection des Données a fait savoir que le RGPD permettait aux autorités sanitaires d’utiliser les données personnelles dans le contexte d’une épidémie, certains ne manquent pas de rappeler que lorsque des mesures d’urgence, souvent contraignantes, sont adoptées, elles ont tendance à s’étirer dans le temps.
Conséquence : les autorités commencent à se sentir à l’aise avec un nouvel instrument de pouvoir. Puis, arrive le moment où l’urgence initiale passe : le coronavirus a disparu, le terrorisme n’est plus un problème majeur, etc. C’est alors que les gouvernements commencent à trouver de nouvelles applications, de nouvelles utilisations pour cet instrument de pouvoir. Ils se mettent alors à réfléchir à des moyens de ne pas l’abandonner, d’en faire un outil permanent, ce, même s’il faut voter des lois.
Edward Snowden
Ce fut le cas des USA en 2005 : un vote a rendu quasi-permanentes les dispositions sécuritaires prises suite aux attentas de 2001, quoique intrusifs pour la vie privée des américains. Aujourd’hui, les contrôles renforcés aux aéroports, ou la fouille de sacs en lieux publics ne choquent plus personne, et c’est bien ce qui effraie les défenseurs de la vie privée.
L’humanité se retrouve face à un dilemme insolvable. La pandémie est telle qu’il faut se servir de tous les moyens à notre dispositions pour la contrer. Mais doit-on pour autant limiter les libertés individuelles et se servir des données personnelles de chacun de façon pérenne ? L’histoire nous prouve que les évènements d’une telle ampleur changent le monde sur le long terme et donnent naissance à de nouvelles pratiques, cette crise suivra-t-elle le même chemin ?