Interview de Jade Le Maître

Jade Le Maître est une ingénieure française, spécialisée dans la robotique. Elle est la directrice technique et cofondatrice de Hease Robotics, une startup de robotique.

J’ai un diplôme d’ingénieure et j’ai été très rapidement passionné par les robots suite à une conférence de Bruno Maisonnier dans mon école qui présentait son tout nouveau robot NAO, qui était super mignon et qui devait être super utile.

Bruno Maisonnier

Cela m’a donné envie de monter mon entreprise donc j’ai réfléchi à ce qu’il fallait pour monter une entreprise : une grande expérience professionnelle, variée et un réseau.

J’ai travaillé dans la technique, dans la communication scientifique, j’ai fait de l’événementiel (qui permet de se créer un très gros réseau) pendant cette période d’événementiel j’ai travaillé pendant quatre ans sur le salon INNOROBO (racheté par le SIDO à Lyon).

Donc pendant ces quatre années je me suis fait un gros réseau et j’ai surtout rencontré mon futur associé. On a décidé en 2016 de créer notre boîte de robotique ensemble. On faisait un robot d’information pour les lieux qui reçoivent beaucoup de public (gares, aéroports, centres commerciaux…) Par exemple : une grand-mère arrive dans une gare qu’elle ne connaît pas, elle a son billet de train mais elle ne sait pas où aller, le robot scanne son billet et l’accompagne jusqu’au quai de la gare. Et si par exemple le train part dans une demi-heure le robot va lui proposer d’aller boire un café, d’aller acheter un magazine…

L’aventure a malheureusement coupé un peu court au bout de trois ans et demi, à la suite de l’incendie de l’ensemble de nos locaux. On était un peu plus de 25 personnes, on avait vendu une grosse cinquantaine de robots, on en produisait autant, et tout est parti en fumée en 3 heures…C’est intéressant entreprenarialement parlant, c’est à dire que j’ai tout vu de la création à la fin d’une entreprise.

En parallèle de ça depuis 2017 je suis experte à la commission européenne sur des sujets qui traitent de robotique et d’intelligence artificielle, un peu de data et un peu de cloud.

Depuis mon expérience entrepreneuriale j’ai eu deux autres expériences professionnelles qui m’ont permis d’acquérir de nouvelles compétences. Une dans un grand groupe, ESN, c’est là où j’ai appris ce que c’était que le cloud, je suis certifiée sur Microsoft azur (des choses sympas quand on aime la technique). Et dans deux semaines je commence une nouvelle future aventure professionnelle et je reviens enfin dans le monde de la robotique 🤫 cela reste confidentiel pour le moment.

Comment imagines-tu l’avenir dans le milieu médical à court terme environ 5 ans, moyen terme 15/20 ans et long terme environ 50 ans ?

Déjà je pense que la robotique dans le milieu médical a énormément changé ces deux dernières années, on « remercie » le Covid parce qu’il a permis de digitaliser vraiment tout un milieu et maintenant le commun des mortels accepte beaucoup mieux de faire une téléconsultation par exemple. Le taux de pénétration de Doctolib chez les médecins est monté en flèche.

C’est une population qui à la base était assez réfractaire à la technologie et qui donc maintenant a compris que la technologie ça pouvait aussi les aider à occuper leur temps pour des tâches plutôt médical et d’aide aux patients plutôt que pour des tâches administrative (par exemple un médecin qui reçoit des appels pour des prises de rendez-vous durant une consultation avec un patient).

Sur le court terme à cinq ans je pense qu’on va voir une grosse pénétration des outils digitaux pour les médecins, pas seulement des outils de prise de rendez-vous ou de gestion d’agenda comme Doctolib mais aussi des outils d’aide à la décision. Là on est plutôt sur le côté IA que robotique mais je pense que la robotique est un ensemble des technologies et c’est important, surtout c’est assez connecté.

On voit énormément de nouvelle start-up autour de l’aide à la décision notamment sur les radiographies, de l’I.R.M, sur de la détection de cancer… ce genre de choses. Je pense que ça, ça peut vraiment aider la médecine à passer un cap. Je pense que la technologie doit être au service de l’humain et pas l’inverse. Je ne veux pas remplacer les médecins, je veux que les médecins deviennent « meilleurs » et qu’ils puissent poser des diagnostiques avec plus de confiance, qu’ils n’aient pas à avoir à oublier les effets secondaires de tel ou tel médicament quand il est associé à un autre… ce genre de choses. Une augmentation du médecin plutôt qu’un remplacement du médecin.

Dans ce sens, pourrait-il y avoir un problème d’éthique dans la robotique médicale ?

Dès qu’on amène la technologie dans un secteur, il y a un problème d’éthique, après c’est à nous en tant que civilisation de savoir par quel billet on l’apporte c’est à nous de définir les règles c’est à nous de définir comment on veut évoluer en tant que peuple, quel est le futur que nous voulons construire ? Et typiquement sur la robotique chirurgicale qui est un aspect très intéressant de la robotique. Pour l’instant le paradigme est d’améliorer le médecin (faire en sorte qu’il soit plus précis et que ses mains ne tremblent pas durant une opération). De faire en sorte que des médecins dans les hôpitaux qui ont de gros financement puisse aller opérer dans des pays qui n’ont pas accès à ce type de matériel, d’infrastructures ou de financement…

Éthiquement c’est intéressant parce que ça permet à une population plus large de pouvoir bénéficier des avancées de la médecine et ça permet à une population qui bénéficie déjà de ses avancées d’avoir une médecine plus sûre

Typiquement sur l’utilisation des robots chirurgicaux, j’ai lu pas mal d’étude sur le robot Da Vinci qui est le robot le plus utilisé est donc le plus décrié, ce qui est intéressant c’est que le robot Da Vinci permet aux patients qui ont étés opérés, d’avoir un temps de rémission plus court. Comme l’intervention était plus rapide et moins invasive les patients le supportent mieux et s’en remettent plus vite.

C’est totalement au bénéfice du patient et quand on le regarde de cette manière-là, sur cette perspective là on s’aperçoit qu’il faut qu’on se pose des questions sur cette technologie et que cette technologie ne permet pas de sauver des vies mais elle permet d’améliorer la vie après l’opération.

L’éthique a un champ de recherche autour de la robotique et de l’intelligence artificielle qui est extrêmement complexe.

 

Da vinci robot

Concernant la robotique médicale dans 50 ans. On aura peut-être chacun chez nous un petit bout de télécabine de télémédecine Qui permettrait à tous les patients de vérifier leur tension par exemple.

A 15 ans, c’est compliqué parce que ça n’est pas dû si long terme, il y a 15 ans nous étions persuadés qu’aujourd’hui on aurait tous des voitures volantes et notre propre robot compagnon à la maison. Nous sommes forcés de constater que finalement aujourd’hui, pas du tout, et l’avènement des voitures autonomes ne se fera pas non plus dans 15 ans, la société change très lentement. Pour moi dans 15 ans cela sera juste une massification de ce qu’on a prévu pour dans cinq ans.

Ce que tu pourrais me conseiller d’écrire sur le sujet et ce qui toi, t’intéresserait le plus d’un point de vue de patiente ou d’ingénieure ?

En tant que patiente : Ce qui m’intéresserait c’est que ces technologies permettent plus de transparence et ce qui est très important et je pense qu’on le voit aussi avec les différentes polémiques qui ont secoué le milieu médical ces dernières années. On voit de plus en plus que le patient prend un peu plus d’importance, avant la parole du médecin était d’or. Maintenant on commence à voir un vrai dialogue qui s’installe entre le patient et le médecin, pour moi c’est important que l’on continue dans ce sens-là et que l’on apporte de la transparence dans les diagnostiques dans les symptômes etc…. Ici la technologie peut jouer soit un rôle d’information soit un rôle de donneur de confiance.

Téléconsultation

En tant qu’ingénieur : Sur la robotique en tant que tel les normes, tendance en ce moment c’est la modularité c’est le fait de pouvoir assembler un ensemble de technologie alors qu’on n’est pas roboticien et on peut les utiliser (par exemple ce robot qui va mesurer la tension et ce robot qui va t’aider à lire une radio je peux les utiliser en étant pas roboticienne car c’est simple d’utilisation). Pour moi c’est la grosse tendance de la robotique, dans les 5 à 10 ans ce sera enfin une technologie qui pourra être utilisé par des personnes qui sont non spécialistes.

D’après toi l’automatisation dans le milieu médical est-il un sujet qui va aller crescendo, en forte croissance ou est-ce que c’est un sujet qui va être encore assez long à se mettre en place en place ?

Je pense que c’est un sujet qui va prendre de plus en plus d’ampleur on voit à la majorité des pays développés où on réduit chaque année le budget dédié au secteur médical et on voit ce que ça donne quand une nouvelle maladie apparaît…

C’est vrai que la gestion de la crise sanitaire a été catastrophique un peu partout parce que nous n’avions pas été préparés alors que toute la communauté scientifique était d’accord pour dire que globalement on aurait une pandémie dans les 10 prochaines années. Globalement ce n’était pas quelque chose qui était inattendu mais personne n’était préparé parce que c’est un secteur qui est peu automatisé, qui est très coûteux et donc les économies d’échelle ne sont pas faites. Donc globalement je pense que malheureusement l’automatisation est la réponse à beaucoup de choses pour permettre ces économies d’échelle et permettre de remoderniser un secteur qui en a besoin.

Enjeux et difficultés que l’on pourrait rencontrer ? Mis à part des enjeux financiers, y a-t-il d’autres enjeux qui pourraient rentrer en compte et qui pourraient freiner le développement de la robotique dans le milieu médical?

Globalement je pense que ce seraient des enjeux éthiques et des enjeux de biais. On sait déjà que les médicaments sont moins efficaces sur les femmes que sur les hommes parce que les médicaments sont majoritairement testés sur les populations d’homme. Quand on est une femme, les hormones varient, notre physiologie varie et cela tous les mois. C’est extrêmement gênant pour les tests de médicaments, globalement c’est quelque chose qui va continuer de freiner l’essor des technologies tout comme la diversité de forme, de taille, de poids, de couleur…des gens. On va continuer à freiner l’évolution de ces technologies là si l’on veut un dispositif robotique médical qui fonctionne sur tout le monde, l’échantillon de population sur lequel il doit être testé est absolument énorme. Ce sont des technologies qui mettront beaucoup de temps à être fiables.