Incubateurs et musées, une erreur de casting ?

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Les incubateurs de start-ups, intégrés aux grandes entreprises ou autonomes comme Station F, font désormais partie intégrante du paysage économique. Rassemblant entreprises, hackers et financiers, ces incubateurs permettent de développer rapidement des produits ou services centrés sur les besoins du consommateur. Il est néanmoins plus surprenant de retrouver ce modèle, très orienté business, au sein des institutions culturelles. Que peut-on en déduire pour le développement des musées ?

Incubateurs de musées, une accélération en 2017

Janvier 2018, au SITEM (Salon International du Tourisme et des Musées), 28 startups ont participé au 2ème Contest organisé par le salon. Tech Loves Culture de We are Museum fait en ce moment appel à candidature, pour son congrès annuel qui se tiendra au Maroc début mai. Le Président de French Tech Culture , Jean-François Cesarini, a rappelé haut et fort à l’Assemblée Nationale jeudi 1er février, dans le cadre des Rencontres Culture/Tech, que les startups pouvaient compter sur la Culture, cette dernière n’étant ni un secteur de niche, ni un partenaire financier frileux ou défaillant.  Aux mêmes Rencontres, Laure Pressac, en charge de la stratégie digitale au sein du CMN (Centre des Monuments Nationaux), a rappelé les espoirs mis dans leur nouvel incubateur lancé fin 2017, en partenariat avec Créatis : construire avec une vingtaine de startups des projets numériques innovants pour le patrimoine et en cohérence avec des valeurs de solidarité et de service public.

Le même phénomène se retrouve à l’étranger, du célèbre incubateur NEW Inc. du New Museum de Brooklyn lancé dès 2014, en passant par le MuseumLab du pôle muséal de Mons en Belgique, le DigiMuse program du Musée de Singapour, l’Xcel de l’ACMI (Australia’s National Museum of Film) de Melbourne ou le Mahuki  incubateur du Te Papa en Nouvelle-Zélande. Le Minneapolis Institute of Art a même nommé à la tête de sa Hothouse, programme résidentiel entrepreneurial, un Venture Innovation Director.  L’American Alliance Museum et MuseumNext, deux grands salons internationaux consacrés au développement des musées, ont tous deux mis ce sujet à l’honneur lors de leur congrès annuel respectif en 2017, tant il devient la norme.

Des projets spécifiques musées déclinables sur d’autres secteurs

Lorsque l’on se penche sur la typologie des start-ups incubées, trois catégories se dégagent :

  • Les start-ups travaillant autour de la réalité virtuelle/augmentée ou la 3D

enfant avec casque de réalité virtuelle sur les yeux, bras tendus en avant touchant une bulle contenant une coccinnelle

Cabinet de réalité virtuelle “Voyage au Coeur de l’Evolution” au Museum d’Histoire Naturelle de Paris en partenariat avec la Fondation Orange.

Le musée est par essence un lieu de dé-contextualisation des œuvres d’art. La RV/RA permet une re-contextualisation de celles-ci, essentielle à leur compréhension, ré-enchantant le rapport à l’Histoire. Ce type de projet demande un lourd investissement technologique, très souvent mené en partenariat avec une fondation du secteur privé comme La Fondation Orange en France ou La Knight Fondation aux USA. Le musée se place alors en pourvoyeur d’une banque d’images déjà digitalisées et renseignées.

  • Les start-ups travaillant autour de projets éducatifs

    Ces projets multimédia, centrés utilisateurs, sont beaucoup plus légers en terme d’investissements. Souvent portés par des non-techniciens, ils sont relativement faciles à développer dès lors que l’on associe les bonnes personnes. Ils ont pour ambition de produire des contenus de qualité que l’utilisateur recherche. Le musée se positionne alors comme un terrain d’expérimentation, bénéficiant d’une base de données visiteurs directement exploitable. Ces projets encouragent un mode d’appréhension collaboratif et participatif des collections. Ils mettent fin à une transmission verticale du savoir, du conservateur vers le public. Ils ont très souvent une dimension social-media, en générant des contenus communautaires repris sur les réseaux, qui contribuent à consolider la marque “musée” en ligne et hors les murs.

 AskMona, application non développée au sein d’un incubateur muséal mais qui bénéficie désormais de l’appui de L’Ecole du Louvre.

  • Les start-ups s’attelant à l’accessibilité des collections.

Grenouille kermit marionnette qui parle dans une télé

« The Jim Henson Exhibition » at the Museum of the Moving Image. Courtesy the author for NEW INC. Exemple de sous-titrage multilingue pour satisfaire l’ensemble des publics new-yorkais.

Elles répondent à la mission sociétale des musées : leur accessibilité au plus grand nombre et tout particulièrement à des populations à besoins spécifiques (déficients visuels, auditifs, nouveaux migrants…). Là encore le musée propose un champ d’expérimentation permettant la mise au point d’un MVP (Minimal Viable Product) dont les répercussions vont bien au-delà de l’institution culturelle, si le projet se révèle opérationnel.

Sur les 28 start-ups présentes au SITEM, les proportions sont frappantes. La moitié relevait de la première catégorie (Realcast, e.mage.in 3D, Museopic, Askmona, RendR, Museopic,…), un gros tiers de la deuxième (Akken, Baladuk,Artips, j’aime mon patrimoine…) et seulement deux dans la troisième catégorie (Affluence et Patrivia), le reste représentait des sociétés de conseil.

En attendant, les fonds alloués aux incubateurs par les musées sont homogènes à travers la planète : 20 000$ en moyenne par projet de startup, soit $740 000 pour 36 start-ups en Nouvelle-Zélande, 120 000€ pour le CMN en France avec 6 startups ou encore $250 000 alloués par la Knight Fondation pour une douzaine de startups au New Inc. de New-York. L’accompagnement se déroule sur un an avec la mise à disposition d’un réseau de professionnels des musées ou mentors de l’entrepreneuriat, l’organisation de bootcamp ou d’hackathon.

Des bénéfices mal identifiés mais porteurs d’espoir

Frappé de plein fouet par une accélération de la concurrence dans les loisirs entrainant la chute des fréquentations, doublée d’une baisse des subventions et d’une obligation de conservation de collections de plus en plus pléthoriques, le monde muséal doit renouveler ses une pratiques et modes de financement. Le lancement d’incubateurs s’inscrit dans cette stratégie en changeant les codes de la Culture !

Traditionnellement, le musée travaillait des années en amont sur une exposition,  dont le public ne voyait que la forme la plus aboutie. Les nouvelles méthodologies de développement-projet  (UX, SCRUM, lean management) instaurées par les startups incubées, révolutionnent ces pratiques en obligeant les musées à intégrer très en amont les besoins de leurs employés comme du public, ce de manière continue non figée dans le temps. Par ailleurs, les réseaux sociaux permettent un engagement constant des publics. Les musées sont donc tenus d’entendre leurs besoins, les collections appartenant avant tout à la communauté qui les abrite. Enfin, la culture de “l’échec positif”, prônée par les startups, vient lutter contre la paralysie sclérosante des musées, toujours hantés par des reproches sur leur mauvaise gestion de fonds publics. Les incubateurs sont donc une véritable révolution culturelle dans les approches de travail tout comme dans la médiation.

“Les professionnels des musées ont besoin de nouvelles compétences ainsi que de nouvelles ressources pour faire face aux demandes toujours renouvelées des visiteurs, et ce afin d’attirer leur attention dans un monde toujours plus digital.” Victoria Rogers, Knight Foundation vice president for arts.

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Mais ce nouveau paradigme n’a pas que des contraintes pour les musées. Toutes ces nouvelles technologies ou applications sont transposables dans d’autres secteurs économiques, comme le tourisme ou certains secteurs industriels pour les technologies de réalité augmentée, de géolocalisation ou encore de serious gaming.

chemise noire avec un texte écrit dessus suspendue à un cintre dans un musée

Photo by Jocelyn Wu on Unsplash

La prise de participation dans les startups développées dans les incubateurs, peut alors se révéler un facteur de viabilité pour les musées, même si cette source de revenu n’est souvent réelle que 5 ou 10 ans après la mise en orbite de la startup. Ainsi le Te Papa Museum affiche très clairement une possibilité de prise de participation de 6% dans toute startup développée au sein de son incubateur Mahuki. Les musées américains, dont les fonds sont souvent investis en bourse, ont une approche encore plus business de ces investissements dans leurs propres startups. Ils les considèrent même plus rentables, puisqu’ils servent directement la communauté muséale.

L’autre vecteur positif de l’essor des incubateurs est la prise de conscience d’une mutualisation des technologies mises au point. En effet, il est fondamental pour la survie générale de l’éco-système muséal que les grandes institutions prennent en charge le développement des nouvelles technologies au profit de plus petits musées. Ces derniers doivent aussi opérer leur transformation digitale pour ne pas risquer de dépendre à 100% de subventions ou se retrouver à la merci des GAFA. A terme, il serait même judicieux que les musées se répartissent les sujets, en prenant pour exemple la thématisation de la French Tech, qui a permis à chaque région française d’occuper un secteur des nouvelles technologies sans s’auto-concurrencer.

Les incubateurs, un enjeu de taille 

Les initiatives en terme d’incubateur muséal sont encore trop récentes pour véritablement en tirer un bilan positif. On ne dispose que des chiffres du New Inc, dont l’ancienneté est déjà en soi un facteur de succès : $12 millions en levée de fonds pour plus de 200 créations d’emplois strictement dans le domaine culturel. Mais l’enjeu principal réside dans deux facteurs : la poursuite des expériences malgré les échecs à venir (en cela la France a un véritable challenge culturel !) et le partage des technologies développées, afin de faciliter la transformation numérique de toutes les institutions culturelles pour assurer leur avenir.

Si le sujet de l’innovation dans les musées vous intéresse, voici une lecture complémentaire: « Créer les services de demain grâce à l’Open data” par Noémie Delage.

Prochain sujet en ce qui me concerne : Blockchain et monde de l’Art fin février, sans oublier mes retours de conférences sur mon profil LinkedIn ! Bonne lecture

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