Avec Homo Deus, la philosophie s’invite à notre table, pour définir de façon très concrète dans quelle société nous voulons vivre. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait déjà François Rabelais dans Pantagruel, son œuvre majeure.
Ceci afin d’orienter les développements technologiques à l’heure où les politiques semblent totalement dépassés par l’évolution du numérique, de la robotique, de l’intelligence artificielle, du big data et des objets connectés, des véhicules autonomes, de la bio-technologie et du séquençage ADN accessible…
C’est ce qui m’est apparu lors de ma lecture du livre Homo Deus de Yuval Noah HARARI, qui sort en français ce mois-ci, suite du best-seller Sapiens paru en France en 2015.
A l’image de Jeremy RIFKIN, de Laurent ALEXANDRE, et avant eux Jules VERNES, Orson WELLS, Aldous HUXLEY, Arthur C. CLARKE, Georges ORWELL, René BARJAVEL ou Richard FLEISCHER, l’auteur de Homo Deus se veut un historien « prospectiviste », annonçant que les prophéties de ces auteurs (la Guerre des Mondes, 1984, La Cité et les Astres, Le meilleur des mondes, La nuit des temps, Soleil Vert) pourront devenir une réalité si la société ne prend pas conscience de l’importance du débat éthique. En effet, il est indispensable de redéfinir un contrat social pour que l’homme puisse continuer à aspirer au bonheur, et ainsi essayer d’orienter le monde technologique et non de le subir.
On voit déjà aujourd’hui des questions juridiques et éthiques émerger autour des robots : comment programmer une machine pour faire un choix cornélien ? L’exemple du véhicule autonome est souvent évoqué, notamment par le cabinet d’avocats Alain BENSOUSSAN. Un humain au volant qui voit des enfants traverser devant lui fera tout pour les éviter. Une voiture autonome conçue pour assurer la sécurité des occupants ne fera pas forcément ce choix… si elle n’a pas été programmée ainsi par les humains ingénieurs… Qui doit-on favoriser ? Le conducteur et ses passagers ou les piétons ? Et qui le décide ? Le marché ? Les clients des marques de voitures… ?
Homo Deus : une évolution technologique exponentielle incontrôlée ?
Dans Sapiens, une brève histoire de l’humanité, l’auteur explique le succès fulgurant de l’homme qui a colonisé la planète alors qu’il n’était au départ qu’un animal assez médiocre. D’ailleurs aujourd’hui, nos chances de survie face à un animal quelconque dans la jungle seraient assez minces. Il y a 150 mille ans existait alors plusieurs genres Homo sur la terre qui commençaient à dominer le monde animal : l’Homo Sapiens, l’Homo Habilis, l’Homo Erectus, l’Homo Rudolfensis, l’Homo Neanderthalensis (Neandertal)… Ce dernier était plus grand, plus fort physiquement et avait aussi un plus gros cerveau qu’Homo Sapiens. Néanmoins, il semble que Sapiens ait réussi à prendre le dessus sur toutes les autres espèces qui se sont éteintes. Sapiens était plutôt faible, c’est sa capacité à coopérer de façon très flexible qui a fait la différence : c’était l’une des conditions de la survie du groupe.
L’hypothèse la plus répandue est la suivante : sa force a résidé dans sa capacité à mobiliser l’intelligence collective. Alors que les autres espèces n’arrivaient pas à vivre dans des groupes supérieurs à plusieurs dizaines de membres, et avaient besoin de bien se connaître pour coopérer, les Homos Sapiens ont été capables de se regrouper jusqu’à plusieurs centaines – puis plusieurs milliers – et de coopérer avec des inconnus partageant la même raison d’être et la même culture. Cette capacité à imaginer et à croire en des concepts virtuels (Royaume, divinité, religion, monnaie etc…) a été le ciment des Homo Sapiens rassemblés en communautés toujours plus grandes, unies et devenues invulnérables.
La suite, Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, nous propose d’imaginer ce que deviendrait une humanité optimisée par les évolutions technologiques toujours plus rapides, des manipulations génétiques à la portée de tous ou presque… Car la croissance de l’espèce humaine a déjà provoqué l’extinction de milliers d’espèces et la destruction d’une partie de la planète, de façon irréversible. Avec l’évolution de la génétique et de l’intelligence artificielle, l’homme souhaite prolonger et « augmenter » sa vie. La maîtrise de la génétique, de la bionique, de la“nano-robotique” médicale, de la connection « cerveau humain – l’intelligence artificielle »… permettront de passer d’un Homo Sapiens à… un Homo Deus.
On voit déjà des tentatives comme celle de Sergey BRIN et Larry PAGE, les fondateurs de Google, qui veulent “Résoudre la Mort” avec la société de biotechnologies Calico fondée en 2013. Ou Elon Musk qui vise à connecter le cerveau à Internet avec Neuralink. Un transhumanisme qui pose des questions éthiques sur l’évolution de la société. Qui pourra s’offrir ces pouvoirs ? Quelle minorité deviendra Homo Deus et comment cohabitera-t-elle avec Homo Sapiens ? Le fondement du projet démocratique et humaniste, c’est à dire le principe d’égalité, ne tiendra plus.
De plus, l’auteur nous alerte sur le risque de déléguer notre pouvoir aux logiciels et aux algorithmes qui établiront des diagnostics et pourront nous dire ce qui est bon pour nous, etc. Nous finirons par leur faire confiance et par leur céder notre pouvoir de décision. Enfin, l’automatisation de nombreuses tâches par des machines risque à court terme de créer selon lui une énorme classe de personnes inutiles économiquement, mettant en danger la démocratie libérale fondée sur la répartition plus équitable de la richesse entre les citoyens, et sur le travail comme marqueur social et identitaire.
Il est donc grand temps de s’emparer de ces sujets dans la sphère publique. Les récentes élections présidentielles aux Etats-Unis et en Europe n’ont pas provoqué de débats sur la génétique ou l’intelligence artificielle. De leur côté, la Chine et la Russie disent investir énormément dans ces technologies, annonçant vouloir dominer le monde d’ici les 20 prochaines années. A tel point que certains scientifiques tel Stephen HAWKING mettent en garde contre le développement incontrôlé de solutions militaires faisant notamment appel à la robotique et aux réseaux neuronaux artificiels.
Mais bien malin qui peut prévoir l’avenir. En effet, certains grands défis ne sont pas abordés ici par Yuval Noah HARARI, comme le vieillissement de la population occidentale ou le boom démographique de l’Asie et de l’Afrique. Ces évolutions changeront le panorama de l’économie mondiale, avec une population qui a mis 100 mille ans pour atteindre 10 millions d’habitants, 5000 ans pour atteindre le milliard, et enfin 200 ans pour arriver à 10 milliards d’individus… On comprend mieux pourquoi Elon MUSK veut avoir colonisé la planète Mars à horizon 2050…
Pour avoir plus d’information sur Homo Deus, vous pouvez lire l’article de Jean-François CAILLARD : Pourquoi HOMO DEUS de Yuval Noah Harari est un livre majeur pour l’innovation