Expériences immersives : rencontre avec Charlotte-Amélie Veaux, co-fondatrice d'UXmmersive

J’ai eu le plaisir d’échanger avec Charlotte-Amélie Veaux, co-fondatrice d’UXmmersive, à propos de ses recherches sur les expériences immersives. Quoi de plus intéressant que de l’écouter nous raconter ses découvertes, notamment son tour du monde des expériences immersives terminé en janvier dernier ?!

Peux-tu te présenter ? Quel est ton parcours ?

J’ai fait des études à la fac en sciences humaines, en philosophie et géopolitique, et après d’autres choses qui n’avaient pas grand-chose à voir. Je m’intéressais beaucoup à la transformation numérique et je me suis formée sur le tas à l’innovation avec des formations en ligne, The Family notamment. J’ai travaillé pendant 6 mois à la RATP développement sur la création d’une communauté interne, ensuite j’ai rejoint Bluenove qui est un cabinet de conseil qui faisait – principalement à l’époque – de l’open innovation et qui se développait petit à petit sur l’intelligence collective.

Au bout de 3 ans, avec Yann Garreau que j’ai rencontré chez Bluenove, nous avons eu envie de voir de nouveau horizon. On s’est dit que pour faire un tour du monde c’était le moment ou jamais. Nous n’avions pas de contraintes qui nous retenaient en France, mais nous ne voulions pas faire un tour du monde juste de voyage. Nous avions aussi envie d’avoir le temps d’approfondir un sujet.

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En regardant différents sujets liés à l’innovation, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux expériences immersives. C’est un sujet qui combine à la fois l’innovation, qui parlait à Yann parce qu’il aime les jeux vidéo et à moi aussi parce que je m’intéresse aux arts vivants, notamment à la danse. Les expériences immersives étaient à la croisée de tout ça.

En quoi consiste UXmmersive ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans les expériences immersives ?

Pendant le tour du monde, UXmmersive était une association. Nous avons eu le soutien de la Réunion des Musées Nationaux (RMN), merci à eux. Maintenant, nous sommes une entreprise et nous avons rejoint le CAE qui est une coopérative d’entrepreneurs. C’est récent, juste quelques semaines.

Que ce soit dans un bon livre, un bon jeu vidéo ou un bon spectacle, on peut se dire ‘je me suis sentie en immersion’ alors qu’il s’agit de trois expériences qui n’ont rien à voir. Nous nous sommes dit qu’avec du recul, qu’est-ce ce qui crée ce sentiment d’être complètement absorbé dans une création ? C’est ça qui est intéressant : voir qu’il y a plusieurs formes d’immersion. Nous avons pris volontairement un sujet très vaste pour chercher s’il n’y avait pas quelque chose en commun à toutes ces différentes expériences.

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Yann et toi avaient fait un tour du monde des expériences immersives, peux-tu nous raconter ce projet fou ?

Pendant un an, nous sommes partis dans 15 pays rencontrer des chercheurs, des entrepreneurs, des startups, des artistes, des créateurs en tout genre pour comprendre ce qu’étaient les expériences immersives. Comment fonctionnent-elles ? Qu’est-ce qui marche ou pas ? Quels en sont les usages ?

Avant de partir, nous avons vu que l’écosystème français était assez petit mais qu’il se développait. D’un côté avec une partie de design, des créations d’expériences très sensibles à la notion d’expérience utilisateur, et d’un point de vue artistique avec l’émergence du théâtre immersif, qui existe depuis quelques années en Angleterre et aux Etats-Unis. On commence à voir plus de spectacles qui se créent en France. Nous avions envie de pouvoir apporter notre petite brique à l’écosystème de l’immersif en France. En apportant de la connaissance que nous pouvions avoir du terrain et en connectant les différents secteurs : les artistes, le retail, le tourisme, l’éducation et la formation, les musées et le divertissement.

Nous sommes rentrés en janvier dernier, depuis nous sommes en train d’écrire un livre pour partager cette connaissance.

Comment avez-vous préparé ce tour du monde ?

Le premier point est de monter un projet, choisir ce qu’on veut faire. Il y a beaucoup d’itérations, comme faire un point itinéraire : savoir par quel pays on passe et dans quel ordre. Nous avons choisi 15 pays mais certains nous y sommes restés que peu de temps. Typiquement la Chine – comme les conditions de visa ont changé en cours d’année – nous n’avons fait que 5 jours à Shanghai parce que c’est la durée où on peut rester sans visa.

Il y a aussi la dimension budgetaire avec la partie de projet pur. À savoir ce que tu vas aller chercher, quel type d’information, est-ce qu’on peut avoir des sponsors ? Tu ne peux pas prévoir tout un tour du monde avant de partir, donc tu organises tes premières semaines, et après tu as des grands jalons. Nous savions combien de temps nous devions rester dans chaque pays. Il fallait identifier les expériences immersives intéressantes, qui nous pouvions rencontrer, et aussi quoi visiter pour découvrir le pays. C’est une partie logistique qui prend énormément de temps et on a tendance à la sous-estimer. Il y a aussi les vaccins à faire, très important !

Quelle est ta meilleure expérience immersive lors de ce tour du monde ?

C’est aux Etats-Unis qu’il se passe le plus de chose, on le savait avant de partir. Il a un milliard de choses à voir. Autant certains pays on a eu du mal à trouver des choses intéressantes, autant aux Etats-Unis tu es obligé de faire un tri. Ils ont vraiment la culture de créer des expériences : comment créer un parcours client mémorable et comment le monétiser ? C’est un concept très anglo-saxon.

En Asie, se pose la question de l’accessibilité. Par exemple en Corée du Sud, il y a des choses intéressantes mais ils utilisent une autre moteur de recherche que Google, et quand tu ne parles pas coréen c’est très compliqué. En Chine, nous n’avions pas téléchargé WeChat avant d’arriver et tout se passe dessus. Nous n’avions accès à aucune information. Nous avons pu voir les choses prévues à l’avance mais ce n’était qu’une petite partie de l’iceberg. Aussi, nous n’avons aucune maîtrise du mandarin donc beaucoup de choses ne sont pas accessibles tout simplement parce qu’on n’a pas l’information.

Comment envisages-tu les expériences immersives dans le monde post-covid ?

L’immersion peut prendre des formes différentes, nous avons pu tester des expériences immersives à distance. Quelqu’un t’appelle et te dit que tu es morte, on te raconte toute une histoire avec laquelle tu interagis. Tu rentres dans une réalité alternative, tu as de l’interaction et une histoire. Effectivement il n’est pas nécessaire d’emmener quelqu’un dans un lieu sensoriel ultra technologique. On peut sortir des contraintes de la distanciation physique ou de devoir faire en sorte que tout soit propre et nettoyé entre chaque personne qui passe. Ce sont des formes d’immersion qui peuvent complètement se développer et perdurer au-delà du confinement et de la pandémie. Voir la pièce l’Ours adaptée de Tchekhov qui se déroule sur zoom ! Il s’agit d’un mix bizarre entre cinéma et théâtre qui marche assez bien.

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Pareil, pour le théâtre immersif ce sont souvent des jauges beaucoup plus petites que dans le théâtre classique. En général, tu as un acteur pour 10 participants. Comme la jauge est plus petite, quand les gens doivent se déplacer il est plus facile de faire en sorte d’avoir de la place entre les différents participants. En plus, ce type de théâtre a souvent vocation à s’amuser avec les espaces, et peut avoir lieu dans la rue, des musées, des parcs… Il peut s’agir aussi de formes artistiques qui se développent en dehors d’un espace contraint.

L’immersive peut prendre tellement de formes, nous pensons qu’il peut perdurer et se développer malgré les contraintes sanitaires.

Quels sont tes projets futurs ?

On a le projet du livre à sortir. Pour le livre, nous allons plus loin dans la réflexion. Nous nous sommes pas mal inspiré de The experience economy, à savoir comment la société est passée d’une économie de biens et de services à une économie d’expérience. Ce que les gens vont valoriser de plus en plus aujourd’hui c’est l’expérience, et donc de dire pourquoi les expériences immersives se développent maintenant alors qu’elles existent depuis toujours. Les belles histoires existent depuis la nuit des temps.

Nous sommes allés plus loin aussi dans qu’est-ce qu’une immersion et qu’est-ce qui crée le sentiment d’immersion. Voir comment les industries s’approprient ces expériences, et sur ce sujet nous nous appuyons beaucoup sur ce que nous avons vu. Nous avons été sur le terrain et avons rencontré beaucoup de personnes de secteurs différents. D’après le calendrier des maisons d’édition, le livre ne pourra pas sortir avant janvier 2021.

Notre deuxième projet est de sortir nos créations d’expériences à distance. Et enfin de pouvoir être davantage pérenne sur notre activité de conseil et de conception pour des entreprises externes.

As-tu des recommandations d’expériences immersives à nous donner ?

À Paris, cela va dépendre des artistes et de ce qu’ils peuvent reprogrammer. Pour le théâtre immersif, de Madame Lupin, il y a les pièces Madeleine et The Lost Generation ou encore Close de Big Drama. Aussi Smoke Rings et Cyrano Ostinato Fantaisies de la Compagnie du Libre Acteur. À regarder aussi de la Compagnie Mondes Sauvages, l’expérience D12ouze qui est une expérience sur l’intimité créée par Dot Pierson. En plus, c’est à 5€ donc je t’encourage à aller le voir. La deuxième s’appelle Home, où tu débarques dans une conversation Facebook d’une famille. Tu vas parler avec plein de gens différents, c’est aussi une autre pièce immersive à distance assez cool.

Côté exposition, Pompéi au Grand Palais qui va sûrement être reprogrammée. Pour les jeux que nous avons pu tester, je recommande le Bureau des Légendes. Les créateurs ont fait un mix entre l’escape game et le jeu de rôle grandeur nature. C’est comme un escape game avec des acteurs, qui dure 2 heures. Il faut mener ses enquêtes et se débrouiller, tu deviens vraiment un espion de la DGSE.

Enfin, de chez toi directement, il existe un podcast interactif appelé Spoken Adventures et créé par des québécois. C’est gratuit, tu le télécharges sur ton téléphone. À savoir que les couvertures sont affreuses mais c’est cool ! Tu dois mener des enquêtes, tu entends ce qu’il se passe et ça te transporte vraiment dans un lieu comme le Canada sous la neige. Après c’est toi qui choisit les actions à faire grâce à la reconnaissance vocale, ça marche assez bien !

Merci encore à Charlotte-Amélie pour cet entretien qui m’a fait découvrir la diversité des expériences immersives. Pour en apprendre plus sur son tour du monde et les expériences immersives en général, je vous recommande vivement d’aller faire un tour sur le blog d’UXmmersive !