Hôtellerie : le défi de l’hébergement partagé

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Le texte est une retranscription d’une partie de la Masterclass sur la transformation digitale du secteur de l’Hôtellerie, tenue le 4 Avril 2018 à Euratechnologies. Elle s’intéresse à la disruption du secteur par l’hébergement entre particuliers. Elle est un échange entre Lison LOGIÉ (LL) et Louis DESTAILLEURS (LD). Des adaptations ont été réalisées pour les besoins de la lecture.

LL : Pour commencer, pourquoi « hébergement partagé » ?

LD : C’est l’expression que Brian Chesky a popularisé en fondant une startup bien connue : Airbnb. En 2007, une conférence sur le design se déroule à San Francisco et provoque une pénurie de chambres d’hôtels. Brian et son colocataire Joe ont alors une idée : installer des matelas dans leur appartement pour les louer. L’idée marche et un peu plus de 10 ans plus tard ils dirigent un mastodonte de 30 milliards de dollars et 140 millions d’utilisateurs. Cette idée a surtout déstabilisé le secteur de l’hôtellerie ou pour reprendre un terme à la mode : ubérisé.

Un changement rapide des rapports de force grâce au numérique

LL : Ubériser, c’est vrai qu’on entend ça partout mais ça veut dire quoi concrètement ?

LD : J’aime la définition qu’en fait l’Observatoire de l’Ubérisation, courte et percutante. C’est un changement rapide des rapports de force grâce au numérique. Cet observatoire propose sur son site internet une cartographie très bien faite des secteurs dits « ubérisés », qui tente de mesurer la pénétration de ces nouveaux modèles dans différents secteurs. On y retrouve en premier le secteur des taxis, porte-drapeau du phénomène avec Uber. Puis, celui des libraires, avec Amazon.

Et enfin, celui qui nous intéresse : l’hôtellerie, avec Airbnb. Secteur dont le taux d’ubérisation est estimé à 50%. Ça laisse donc entrevoir des perspectives pour Airbnb, c’est certain, mais aussi pour les hôteliers. Il y a encore la possibilité pour les hôteliers historiques d’adapter leur offre et de profiter eux-mêmes de cette disruption et des nouveaux modes de consommation.

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Un modèle user centric

LL : Justement, si les groupes hôteliers souhaitent réagir, comment le faire et comment s’inspirer de Airbnb ?

LD : Airbnb marche parce qu’elle a mis dès le début l’utilisateur au centre de toutes ses préoccupations. Son modèle, c’est d’être user centric et, dans cette vision, son développement se repose lui-même sur le développement d’une communauté mondiale. Son ambition est claire : créer le label exclusif de la première communauté du monde. C’est ce qu’annonçait son Directeur marketing lors d’une conférence. Airbnb, c’est 2500 salariés environ, mais les véritables acteurs de la saga, peut-être ceux qui comptent le plus, ce sont les hôtes et les voyageurs. Ces millions de personnes qui ont transformé l’entreprise Airbnb en un mouvement. Créer une communauté aussi large, les hôteliers n’ont jamais réussi à le faire. Il y a bien quelques programmes de fidélité qui ont dû réunir quelques milliers de personnes, mais pas des dizaines de millions.

La personnalisation des expériences

LL : Encore faut-il que cette communauté dépense de l’argent. Comment avoir de tels chiffres aussi rapidement ? 

LD : La personnalisation. Un sujet qui traverse tous les secteurs d’ailleurs. Ici, Airbnb a eu un avantage considérable que les hôteliers n’auraient jamais pu anticiper. Chacune des trois millions d’adresses qu’a Airbnb à travers le monde est unique et le nombre d’expériences proposées l’est tout autant. Le voyageur peut dormir sur un matelas pour 20 euros ou dans une villa à plusieurs milliers d’euros. Airbnb a ainsi pu exploiter l’insatisfaction liée à la standardisation de l’offre des grandes chaînes. Un grand nombre de voyageurs, notamment les millenials, veulent retirer une expérience authentique de leur voyage. Entre autre, pour la partager sur les réseaux sociaux. On va plus liker la photo de l’appartement trouvé dans la Vieille Ville que celle du buffet du Novotel.

Un mélange de code et de design

LL : La technologie doit aussi tenir un rôle important dans tout ça, non ?

LD : Bien sûr. Airbnb, c’est aujourd’hui 400 ingénieurs et un moteur de recherche ultra développé. C’est un mélange de code et de design. Design, qui est d’ailleurs au coeur du modèle (cf. vidéo). Les fondateurs savaient que pour faire ce type de business, il fallait que l’expérience utilisateur soit parfaite. Il fallait que la technologie inspire la confiance, car sans elle pas de partage. C’est le design de la technologie pour l’utilisateur qui a été le levier du succès d’Airbnb

Et je pense que si les hôteliers souhaitent demain retrouver une clientèle perdue, ils devront élargir leurs équipes. Il ne suffira plus d’avoir des murs et des professionnels de la communication pour en faire la publicité. Ils devront y intégrer des technos et des spécialistes du marketing digital pour mettre ça au coeur de leurs process.

Des marque vectrices d’expérience

LL : Tu recommanderais aux hôteliers de se « startupiser » ?

LD : C’est vrai qu’on retrouve les ingrédients du succès de certaines startups. Mais j’en ajouterais encore un : le culte de la marque. Airbnb, ce n’est pas une marque hôtelière, c’est un sentiment d’appartenance. Sa mission ne fait que traduire ça : « faire que chacun se sente chez soi, partout dans le monde ». Une idée plus ambitieuse que le voyage. Ça reflète l’esprit de communauté. La technologie, c’est ici un moyen plus qu’un but. 

Aujourd’hui, entre Ibis et Novotel, les marques hôtelières servent à délimiter le moins cher du plus cher. Pour Airbnb, entre le matelas et la villa, la marque reste la même car elle continue de transmettre la même chose. Lorsque l’on regarde le spot publicitaire (cf.vidéo), c’est flagrant. Là aussi, les hôteliers ont une carte à jouer : faire de leurs marques des propositions d’expérience et non des bornages tarifaires.

S’adapter face à la transformation digitale

LL : Pour terminer, est-ce que selon toi les groupes hôteliers réussiront cette adaptation ?

LD : Ce qui est sûr c’est que les modes de consommation changent et que les anciennes formules ne marchent plus. S’adapter, c’est essentiel, car c’est la transformation digitale qui l’impose. Peut-être que la fronde de certaines villes aura raison de Airbnb mais, si c’est le cas, cette entreprise s’adaptera et proposera autre chose. On peut prendre l’exemple de Uber : la résistance s’est organisée et ça ne l’a pas arrêté. Pourquoi ? Parce que le client le veut, tout simplement. 

D’ailleurs, peut-être qu’à contrario, le modèle d’hébergement partagé s’étendra, se généralisera (cf. vidéo). Que ce ne sera pas simplement le modèle de l’hébergement tarifé qui sera disrupté mais plus globalement la conception même de l’hébergement. Quel rôle auront alors à jouer les hôteliers dans cette ville partagée de demain ? Cette ville tournée vers la collectivité et la connectivité ? 

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