La télémédecine, pour aujourd’hui ou pour demain?

Objet d’une réglementation stricte et forte de nombreux projets et d’innovations, la télémédecine se développe-t-elle à un rythme en rapport avec les ambitions affichées ci-dessous? La télémédecine en France, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Cette initiative partagée par les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les industriels depuis la fin des années 2000 est orientée en priorité vers l’amélioration et l’égalité de l’accès aux soins, la réduction des délais de prise en charge des patients et donc la limitation des complications, le maintien de la qualité du diagnostic par un partage des informations rapide et performant entre professionnels de santé, exigences où la pratique traditionnelle de la médecine semble marquer le pas.

LA TELEMEDECINE : UNE REGLEMENTATION STRICTE

En France, la loi Hôpital Patient Santé et Territoires (HPST) de juillet 2009 définit la télémédecine comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’informatique et de la communication (TIC). Elle met en rapport entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient ». (Définition in-extenso à consulter : Article L6316-1 du code de la santé publique)

 Le décret d’application de la loi HPST, publié en octobre 2010, précise les conditions de sa mise en œuvre et son organisation (articles R.6316-1 à R.6316-9 du Code de la Santé Publique).

 Il existe 2 types de télémédecine :

  • La télémédecine informative, orientée sur la diffusion de savoirs et d’information.
  • La télémédecine clinique, qui correspond à une pratique médicale à distance grâce à l’utilisation des NTIC. Les développements qui suivent concernent ce second type.

Le CSP définit 5 actes médicaux de télémédecine clinique :

  • La téléconsultation: un patient consulte à distance un professionnel de santé médical.
  • La télé-expertise: des professionnels de santé médicaux donnent à distance leur avis d’experts spécialistes sur le dossier médical d’un patient.
  • La télésurveillance médicale: des indicateurs cliniques ou biologiques, choisis par un professionnel de santé médical, sont collectés par un dispositif et transmis au professionnel médical (télémonitoring).
  • La téléassistance médicale: un professionnel de santé médical assiste à distance un professionnel de santé non médical.
  • La réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale (aide médicale d’urgence et téléconseil médical personnalisé).

Avec en toile de fond omniprésente l’amélioration de l’accès aux soins, la stratégie nationale de déploiement de la télémédecine (Ministère de la Santé), ratifiée en conseil des ministres en juin 2011, définit pour la période 2013-2017 cinq domaines prioritaires :

  • L’imagerie médicale (téléradiologie) pour assurer la permanence des soins,
  • La prise en charge de l’AVC du fait de l’urgence du cas,
  • Les soins spécialisés en prison,
  • La télésurveillance médicale des maladies chroniques pour développer la prévention et éviter une partie des hospitalisations,
  • L’accès aux soins en structure médico-sociales (exemple EHPAD) et hospitalisation à domicile.

Plusieurs agences nationales de santé contribuent à a mise en place de cette stratégie (ASIP Santé, ANAP, HAS) ainsi que les Agences Régionales de Santé. Celles-ci promeuvent les initiatives à travers les Programmes Régionaux de Télémédecine (PRT) et vérifient que la mise en place d’un projet répond bien aux exigences du décret par un processus de contractualisation avec chaque professionnel de santé impliqué.

La mise en place du projet, construit à plusieurs (médecins, professionnels de santé, gestionnaires, représentants des patients, industriels), doit passer par les étapes suivantes :

  • l’évaluation d’une situation, en général le parcours de soin actuel et jugé non satisfaisant d’un patient atteint d’une affection,
  • la description de l’évolution de la situation si rien n’est fait,
  • la présentation de la solution industrielle / technique envisagée,
  • l’évaluation de la révision de l’organisation médicale nécessitée par la mise en place de la télémédecine, en particulier en matière de disponibilité du personnel qualifié,
  • l’évaluation du service rendu au patient, cliniquement et en matière de qualité de vie,
  • la viabilité économique et le mode de financement des actes.

Dans ce cadre réglementaire, qui part de la définition générale d’une nouvelle pratique pour aboutir aux actes pratiqués eux-mêmes, de nombreux projets et innovations ont été développés.

LA TELEMEDECINE : DE NOMBREUX PROJETS ET INNOVATIONS

Le but n’est pas ici le recensement mais l’illustration du propos à l’aide de plusieurs exemples. Car, comme le soulignait Nadia FRONTIGNY, vice-président de Care Management, l’entité santé du groupe Orange :

« Il n’existe plus aucun frein technologique au développement de la télémédecine ». (Magazine Sciences et Avenir n°816 Février 2015).

Dans le domaine de la téléconsultation, devant faciliter l’accès aux soins:

Selon l’étude du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (PIPAME) publiée début février 2016, 2% seulement des Français ont déjà procédé à une téléconsultation avec un médecin ou une infirmière, mais 63% souhaitent pouvoir échanger par email de manière sécurisée avec un professionnel de santé et 32% déclarent qu’ils sont favorables au procédé de la téléconsultation.

Telemedecine Cabine de consultation

Cabine de consultation Société H4D

Il y a donc une demande, à laquelle la technologie peut d’ores et déjà répondre avec par exemple la cabine de consultation CONSULT STATION de la société H4D. Celle-ci réunit instruments de mesures professionnels, écran et système de communication, ce qui en fait un véritable cabinet médical connecté. Une vingtaine de cabines sont installées en France ou en voie de l’être, dans des maisons de retraite, des grandes entreprises, des casernes de pompiers, des centres mutualistes (Le Parisien Magazine : Santé Connectée du 18/11/2016).

 

 

 

Dans le domaine de la télé-expertise, devant permettre un diagnostic expert et rapide entre professionnels de santé et, par voie de conséquence, une orientation plus performante du patient vers la structure de soins adéquate:

Pour reprendre le propos de Pierre SIMON, Président de la Société Française de Télémédecine de 2010 à 2015, dans son livre « Télémédecine Enjeux et pratiques »,

«la télé-expertise est probablement l’activité de télémédecine qui va le plus structurer les nouvelles organisations médicales. En effet, aucun médecin ne peut aujourd’hui prétendre posséder une connaissance exhaustive et suffisante de la science médicale pour prendre en charge dans leur globalité les problèmes de santé d’une personne ».

Rendu possible par la transmission rapide et facile d’images, cette acte de télémédecine transcende

Telemedecine Tablette Société InTouchHealth

Tablette Société InTouchHealth

un grand nombre de disciplines particulières et nécessite un équipement classique de téléconférence, ou de tablettes permettant dialogue et présentation d’images. L’utilisation d’une transmission par messagerie sécurisée en santé (par exemple MSS proposée par l’ASIP Santé) est recommandée.

 

 

Dans le domaine de la télésurveillance médicale, en particulier dans le cas de maladies chroniques (insuffisance cardiaque, respiratoire, diabète) qui permet de prévenir les situations de crise et d’éduquer à distance des patients qui font souvent l’objet d’hospitalisations répétées :

Cette télésurveillance se fait au moyen de dispositifs médicaux et de plates formes connectés. Un exemple intéressant est celui de la coopération entre Sorin Group, société opérant dans le domaine des technologies cardiovasculaires, et Orange Business Services, leader des solutions de communication pour les entreprises, lançant en 2012, SMARTVIEW™, une solution de suivi à distance pour les patients porteurs d’appareils implantés destinés au traitement des troubles du rythme cardiaque.

 

Enfin, un exemple dans le cadre de structures hospitalières coopérant en utilisant les principes et techniques de la télémédecine, le TéléAVC :

« Il y a 10 ans, on a estimé à juste titre qu’un patient atteint d’un AVC devait être hospitalisé dans des unités spécialisées dans les maladies neuro-vasculaires (UNV). Des études cliniques scientifiques montraient que la mortalité et la morbidité étaient significativement améliorées. Toutefois, le traitement de l’AVC à la phase aiguë n’était pas équitable puisque tous les patients ne pouvaient rejoindre l’UNV dans un délai compatible avec la réalisation de la thrombolyse (moins de 4h30). Il fallait donc organiser cette phase thérapeutique à distance, dans les services d’urgence des établissements de proximité, avant que le patient  ne rejoigne l’UNV la plus proche de son domicile. Le télé-AVC fut proposé pour permettre la réalisation de cette thrombolyse dans le service d’urgences de l’établissement de proximité. La permanence des soins en neurologie vasculaire peut devenir très lourde si l’UNV doit assurer seule le télé-AVC. La mutualisation des ressources médicales entre plusieurs UNV pour la permanence des soins a permis de lever certaines réticences médicales. Ce sont désormais des équipes de 10 à 15 neurologues vasculaires qui peuvent assurer la permanence régionale ou territoriale des soins en télé-AVC grâce aux TICs. Le neurologue vasculaire intervient dans les établissements périphériques par plusieurs pratiques de télémédecine : téléconsultation du patient présentant l’AVC pour établir le score du handicap, télé-expertise avec le médecin urgentiste, téléassistance lors de la réalisation de la fibrinolyse, télésurveillance après l’injection du fibrinolytique ». (Extraits de l’article « Les GHT vont redonner du souffle à la télémédecine hospitalière-2016 » http://www.telemedaction.org/426352721)

LE RYTHME DE DEVELOPPEMENT DE LA TELEMEDECINE EST-IL EN RAPPORT AVEC LES AMBITIONS AFFICHEES?

A cette question, l‘ensemble des parties concernées, professionnels de santé, industriels, répondra certainement « peut mieux faire » !  Toutefois, les raisons invoquées du retard du développement par rapport aux ambitions sont multiples et ne font pas toujours l’unanimité.

Les avis divergent par exemple, sur le frein que constituerait le processus actuel de contractualisation au sein des ARS entre les parties prenantes, nécessaire à la mise en place d’un projet de télémédecine. Certains soulignent la lourdeur du dispositif dans le cas de projets à intervenants nombreux, concernant plusieurs régions, donc plusieurs ARS, et préconisent une contractualisation avec les représentants des professionnels de santé dans un territoire donné plutôt qu’une contractualisation avec chaque professionnel de santé impliqué dans le projet. D’autres soulignent que ce processus est le garant du respect, dans le cadre des projets examinés, des exigences du décret d’octobre 2010 en matière de qualité et de sécurité des soins apportés aux patients (voir ci-dessus, partie 1, les étapes de la construction d’un projet de télémédecine).

Telemedecine Collaboration medecins-patients-ressources pluriellesComme dans d’autres domaines qui sont ou seront profondément transformés par la révolution digitale, la règlementation nécessaire des activités de télémédecine doit être évolutive et élaborée en collaboration, par des représentants des parties prenantes aux projets. Comme on l’a vu plus haut, l’élaboration d’un projet de télémédecine et son succès dépendent de l’action concertée des pouvoirs publics, des professionnels de santé, des industriels et des patients. Une règlementation adaptée, qui accompagne l‘innovation sans la brider, tout en garantissant sécurité et qualité des soins, ne peut se concevoir que dans ce même cadre.   

Le consensus est plus marqué sur le retard de l’organisation et des dispositions de la prise en charge des actes de télémédecine par l’Assurance Maladie dans le cas de la médecine ambulatoire (médecins généralistes et spécialistes). En effet, alors que le financement des actes de télémédecine dans le cadre de l’hospitalisation d’un patient est couvert par des conventions inter-établissements, le financement de tels actes dans le cadre de la médecine ambulatoire a débuté en 2014, pour évoluer en mai 2016, mais de manière très partielle. En 2014, 9 régions françaises ont été sélectionnées pour expérimenter la télémédecine : l’Alsace, la Basse-Normandie, la Bourgogne, le Centre-Val-de-Loire, la Haute-Normandie, le Languedoc-Roussillon, la Martinique, les Pays-de-la-Loire, et la Picardie, zones définies avant la restructuration des régions. Les expérimentations concernaient depuis 2015 la prise en prise en charge de plaies chroniques et/ou complexes.

Depuis début mai 2016, le périmètre de l’expérimentation a été élargi à de nouveaux professionnels de santé (généralistes, spécialistes et psychiatres) et à leurs actes, dans les 9 régions concernées. Cet élargissement s’est accompagné d’une définition du montant des honoraires

  • 26 euros : tarif de téléconsultation autorisé par patient pour un même médecin généraliste, avec un nombre d’actes limités à 3 par an.
  • 28 euros : tarif pour un acte de télémédecine réalisé par un médecin spécialiste, limité à 3 par an et par patient.
  • 48,7 euros : tarif pour la téléconsultation par patient pour un psychiatre, limité à 5 actes par an.

Le détail des dispositions est disponible sur le site Legifrance.

Comme le remarque Jacques LUCAS, vice-président du Conseil National de l’Ordre des  médecins :

« Puisque la téléconsultation prise en charge par la sécurité sociale et intégrée au parcours de soin a pris du retard, cela a créé un appel d’air pour un phénomène d’ubérisation de la santé, et des sociétés commencent à le proposer en dehors du parcours de soin. »

 « En juin 2015, AXA a lancé un service de téléconsultation pour les salariés assurés. S’ils ne peuvent joindre leur médecin traitant, ils ont la possibilité d’appeler un professionnel de santé pour une consultation à toute heure et même de se faire délivrer des ordonnances si nécessaire. Un million de bénéficiaires ont accès au service, dont 33 000 collaborateurs d’AXA. La société Médecin Direct qui propose des offres de téléconseil en BtoBtoC à des entreprises ou des mutuelles, a introduit également des services de téléconsultations dans certaines régions ». (Extraits de l’article « Le business de la téléconsultation médicale débarque en France » JDN du 01/03/2016).

De plus, la formation des professionnels de santé aux pratiques et techniques de la télémédecine reste à développer dans les différents cursus. La réflexion du Docteur Laurent ALEXANDRE dans lexpress.fr du 15/02/2016 :

« Les études de médecine sont scandaleusement archaïques. Les universités sont criminelles de ne pas développer de réflexion sur les algorithmes. Il faut d’urgence former les étudiants à la médecine algorithmique sur le plan technique, mais aussi philosophique, politique et éthique »,

s’applique aussi au domaine de la télémédecine.

LA TELEMEDECINE, EN CONCLUSION:

Si les ambitions et la réglementation sont bien présentes dans les textes (voir encore la Stratégie Nationale E-santé 2020 publiée par le Ministère de la Santé en juillet 2016), l’expérimentation reste prudente et restreinte, en particulier dans le domaine de la médecine ambulatoire, où réside le gros de la demande et des besoins. Le risque est donc grand de voir se développer aujourd’hui des initiatives parallèles en dehors du parcours de soins, si notre système de santé n’évolue pas rapidement. Ceci ne fera qu’exacerber demain l’évolution d’une situation que le développement de la télémédecine devait combattre : l’inégalité de l’accès aux soins.

Sources, en sus des liens présents dans le texte :

PIERRE SIMON : Télémédecine Enjeux et pratiques Editions Le Coudrier

Articles déjà parus dans la série : LA SANTE EN MODE DIGITAL

1/ LE RENOUVEAU DE LA PREVENTION (28/11/2016)

2/ LA PREVENTION : C’EST NOUS ! (22/12/2016)

A paraitre dans la même série: LA TELEMEDECINE EN AFRIQUE  8 février 2017

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