Le Dossier Médical Partagé (DMP), lancé en 2004 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé du gouvernement Raffarin, sous le nom de Dossier Médical Personnel, fait son retour par la loi du 26 janvier 2016, dite de Modernisation de notre Système de Santé et de son décret d’application du 4 juillet 2016. Il est actuellement en expérimentation dans 9 caisses primaires d’assurance maladie (Bas-Rhin, Bayonne, Côtes d’Armor, Doubs, Haute-Garonne, Indre-et-Loire, Puy-de-Dôme, Somme, Val-de-Marne). Il pourrait être généralisé en 2019.
Après 13 ans d’échec et un demi-milliard d’euros dépensés, ce serpent de mer mâtiné de ce que certains n’hésitent pas à qualifier de scandale de santé publique (600 000 dossiers ouverts et peu exploitables pour 66 millions d’assurés sociaux), peut-il enfin devenir :
- un outil concret de prise en main de leur santé par les patients en leur procurant information, autonomie, sécurité et confiance ?
- un outil d’amélioration de la qualité des soins et de la gestion du système de santé en générant de la cohérence, de l’efficacité, de l’efficience ?
Dans ses conditions actuelles de développement à portées hégémoniques, prévu pour tous les assurés sociaux, pouvant contenir toutes les données, qui seront largement partageables (mais sous certaines conditions), il est probable qu’il restera une chimère coûteuse souffrant de ses contradictions internes.
Mais une renaissance est possible et à portée, si le ciblage remplace l’hégémonie. Les atouts du DMP existent et sont pleinement opérants pour les personnes souffrant de pathologies lourdes et/ou chroniques, ou ne bénéficiant pas d’un accès facile aux soins.
Ces différents points sont développés dans la suite de l’article. Mais avant cela, rappelons les caractéristiques du DMP.
1/ Le Dossier Médical Partagé (DMP) à grands traits, selon le Quotidien du Médecin du 5 juillet 2016 :
Le décret le définit comme « un dossier médical numérique destiné à favoriser la prévention, la qualité, la continuité, et la prise en charge coordonnée des soins des patients ».
Qui peut ouvrir un DMP ?
Il peut être créé par l’assuré, par un professionnel de santé, par un agent de l’Assurance-maladie, par le personnel d’accueil des établissements de santé, des laboratoires de biologie médicale ou des services sociaux et médico-sociaux, après consentement du patient. Le titulaire est informé de ses modalités d’accès et de celles des professionnels de santé. Il peut décider de clôturer son dossier à tout moment. Celui-ci sera cependant archivé pendant dix ans après la décision.
Que contient le DMP ?
Outre l’état-civil complet de son titulaire, on y trouve les vaccinations, les synthèses médicales, les lettres de liaison, les comptes rendus de biologie, d’examens d’imagerie médicale, les actes diagnostiques et thérapeutiques réalisés, et les traitements prescrits. Ces informations doivent être versées au dossier le jour de la consultation ou de l’examen à l’origine de leur existence, et au plus tard le jour de la sortie du patient après une hospitalisation, précise le décret.
On y trouve aussi toutes les informations que le titulaire juge utile d’y faire figurer (comme les allergies), les données de remboursement de l’Assurance-maladie, celles issues du dossier pharmaceutique (DP), les directives anticipées, le nom du médecin traitant, la liste des professionnels autorisés à accéder au DMP, et celles de ceux à qui cet accès est refusé par le titulaire.
Quels sont les droits du titulaire du DMP ?
Il peut accéder comme il l’entend à son dossier. L’Assurance-maladie est tenue de mettre à sa disposition les moyens lui permettant d’y intégrer les données qu’il juge utile d’y faire figurer. Il ne peut, sauf motif légitime, s’opposer à ce que les professionnels de santé qui le prennent en charge aient accès à son dossier et y versent les informations qu’ils jugeront utile d’y faire figurer. Il ne peut pas non plus supprimer les données qu’il n’a pas lui-même ajoutées au dossier, mais peut en demander la suppression, s’il existe un motif légitime, auprès de celui qui les y a intégrées.
Il peut en revanche modifier à sa guise les éléments qu’il a lui-même mis dans le dossier. De la même manière, le titulaire peut décider que certaines informations ne sont pas accessibles aux professionnels de santé habituellement autorisés, sauf à celui qui les y a versées, et à son médecin traitant.
Quelles sont les obligations des professionnels de santé vis à vis du DMP ?
Les membres de l’équipe de soins d’un patient sont réputés avoir un droit d’accès à son DMP. S’ils n’en font pas partie, l’accord du titulaire est requis. Un professionnel de santé peut rendre provisoirement inaccessible au titulaire d’un dossier une information y figurant s’il juge qu’elle ne peut pas lui être communiquée sans accompagnement. Elle doit cependant lui être délivrée dans un délai de 15 jours. Enfin, le médecin traitant a accès à l’ensemble du DMP, y compris aux informations rendues inaccessibles par son titulaire.
2/ Les caractéristiques du DMP peuvent-elles en faire un outil concret de prise en main de leur santé par les patients ?
Les avantages du DMP
Le DMP a un côté pratique et utile. Il regroupe les informations qui permettent au patient de connaître son état de santé en historique et en temps réel et lui évite la manipulation de documents divers : plus besoin d’apporter ses anciennes radios, ordonnances, courriers et autres ou de se souvenir des examens ou médicaments prescrits.
Il respecte une certaine autonomie du patient sur la gestion des données contenues ainsi que sur les accès qu’il peut accorder ou non aux professionnels de santé. Cette autonomie découle des dispositions des articles 26, 27 et 36 de la Loi Informatique Fichiers et Libertés du 6 janvier 1978.
Des accès privilégiés sont toutefois prévus :
- pour le médecin traitant qui a accès à l’ensemble des éléments contenus dans le DMP. Le patient peut élargir cet accès à tout professionnel de santé de son choix.
- en cas d’urgence, il existe une procédure dite « bris de glace » qui permet à tout professionnel de santé d’accéder aux données du DMP d’un patient en cas d’urgence ou si celui-ci n’est pas en état d’exprimer sa volonté.
La création d’un DMP peut être effectuée par le patient ou plusieurs intervenants dans le système de soins. L’accessibilité aux données se fait simplement par internet et en temps réel. On parle même d’une prochaine application pour l’accès via smartphone.
Par les informations qu’il contient, le DMP permet aux professionnels de santé d’assurer une cohérence, une cohésion et une sécurité dans le parcours de soins du patient en évitant les examens redondants ou indésirables. Il est donc vecteur de confiance du patient envers le système de soins.
Le DMP a donc pour lui, l’utilité, la praticité, l’accessibilité, la sécurité (dans l’organisation des soins) et la confiance dans sa logique de fonctionnement.
Les contradictions du DMP
Il est ouvert et utilisé uniquement sur une base de volontariat : ne prendront donc leur santé en main par son intermédiaire que ceux qui le veulent ou le peuvent. Il peut aussi être créé mais rester vide, auquel cas seules les données de remboursement de l’Assurance Maladie des 12 derniers mois y seront transférées.
Pour des raisons de protection des données ressortissant à la vie privée, le patient peut masquer des donnés ainsi que restreindre la consultation par tel ou tel médecin, ce qui peut empêcher les professionnels de santé d’utiliser à plein le DMP et va l’encontre des intérêts du patient en termes d’optimisation de la qualité des soins.
Il nécessite par définition une interprétation « élargie » du secret médical, instauré pour protéger les intérêts du patient et établir une relation de confiance avec le médecin, et assimilé au secret professionnel depuis la loi du 22 juillet 1992 portant réforme du code pénal, dans ses articles 226-13 et 226-14 . Le secret médical revêt un caractère absolu qui fait qu’un médecin dépositaire d’informations concernant ses patients ne peut les partager même avec un autre médecin. Les pratiques médicales en ont décidé autrement et ont abouti à une sorte de secret médical partagé, qui trouve son aboutissement dans le DMP. Ceci peut ne pas convenir au patient, la gestion des données et des accès pouvant se révéler complexe et partielle.
Le DMP a donc contre lui son caractère facultatif et une contradiction difficilement surmontable qui veut que les données qui y sont stockées soient à la fois confidentielles et partagées, la gradation entre les deux notions dépendant pour partie du patient, des professionnels de santé et des cas d’usage pouvant se présenter.
3/ Les caractéristiques du DMP peuvent-elles en faire un outil d’amélioration de la qualité des soins et de la gestion du système de santé ?
Les avancées du DMP
En décloisonnant les pratiques professionnelles, le DMP rend le parcours patient plus fluide, évite les redondances et les examens complémentaires inutiles. Il participe donc de la rationalisation de l’offre de soins et peut être générateur d’économies.
Les données présentes dans le DMP, sous condition d’anonymisation, peuvent faire progresser l’évaluation des besoins sanitaires par les pouvoirs publics, par pathologie, géographie et ainsi concourir à une meilleure adéquation de l’offre de soins aux populations.
Dans le même ordre d’idées, le DMP est un atout supplémentaire dans la surveillance et le suivi des malades ayant des affections chroniques, dont le nombre devrait augmenter suite au vieillissement de la population.
Le DMP peut aussi contribuer à la prévention, du fait de la connaissance du comportement des patients, à la pharmacovigilance (repérage immédiat des effets secondaires éventuels d’une prescription enregistrée dans le DMP), à la surveillance épidémiologique, encore une fois, sous couvert de l’anonymisation correcte des données.
Le DMP peut donc être générateur de cohérence et d’adéquation de l’offre de soins, qui, indirectement pourraient générer des économies en évitant le redondant et l’inutile. Il était censé générer 3,5 milliard d’Euros d’économies annuelles à l’Assurance – Maladie, à son lancement. Sans aller jusque-là, il peut certainement contribuer à une allocation des ressources plus proche des besoins.
Les obstacles à l’adoption du DMP
Sa configuration actuelle peut entraîner des obstacles à l’adoption. Dans une société qui se judiciarise de plus en plus, le DMP est un outil qui recueille les pratiques, diagnostics, prescriptions des professionnels de santé. En cas de problème, il peut vite être utilisé à charge, dans la mesure où il est possible et facile de questionner en toute clarté les choix thérapeutiques effectués, l’adéquation des prescriptions, l’échelle de temps sur laquelle se déroulent les différentes étapes du parcours du patient.
De plus, il ne se substitue pas aux très nombreux dossiers établis par les professionnels lors du passage des patients en établissement de soins ou consultation. Il peut donc facilement être perçu comme un doublon, demandant un travail de saisie et de maintenance additionnel, voire une adaptation des systèmes informatiques existants, pour les professionnels de santé.
Enfin, la sécurité des données reste un point lourd d’interrogations et d’incertitudes, tant pour les professionnels que pour les patients. Comme souligné dans l’article de TV5 Monde « Dossier Médical Partagé : un progrès trop risqué ? » :
La sécurité des systèmes d’information des hôpitaux, des laboratoires, et des organismes de santé en général n’est pas réputée pour être d’un très haut niveau. La raison tient à un facteur simple : le manque de moyens humains.
Intrusif, redondant et diversement sécurisé, le DMP risque donc de souffrir d’un déficit d’adoption pour être pleinement efficace et remplir son office d’instrument de partage et de progrès, tel qu’imaginé aux origines de sa conception.
4/ En conclusion, le DMP renaissance ou chimère ?
Très probablement chimère dans son ambition d’être un outil unique de stockage et de partage des données, universellement adopté par les patients et les professionnels de santé. On l’a vu, son caractère facultatif et les impératifs de protection de la vie privée des patients, entre autres, l’ont quelque peu vidé de sa substance.
Mais renaissance possible en explorant des pistes de développement du DMP plus ciblées sur des catégories de populations particulières, par exemple :
- les personnes qui auront compris et manifesté de l’intérêt pour le DMP. Son caractère facultatif est là un avantage, ceux qui décideront de l’ouvrir ayant une véritable motivation à s’en servir.
- les personnes affectées de maladies chroniques, personnes âgées, personnes dépendantes ou ne bénéficiant pas d’un accès facile aux soins. Les vertus de suivi, de cohérence et de partage des informations du DMP seront là directement opérantes.
SOURCES :
Le Figaro économie du 6 février 2017.
Le Quotidien du Médecin du 5 juillet 2016.
Site TV5 Monde, Article : Dossier médical partagé : un progrès trop risqué ? 3 Juillet 2016.
Site : mon DMP par l’Assurance Maladie et Document Explicatif.
Site officiel de l’Administration Française : Service public – En quoi consiste le DMP?