La cobotique: au delà de l’affrontement homme-machine ?

La cobotique ou robotique collaborative est un néologisme issu des mots « robotique » et « collaboration ». Il s’agit donc de faire collaborer dans un même espace un homme et un robot avec pour objectif la performance de tâches ou de groupes de tâches précises faisant partie d’un processus de production.

La collaboration est fondée sur une combinaison optimale des atouts de chacun :

Le robot performe les tâches répétitives avec puissance, endurance et précision.

L’homme utilise son savoir-faire, sa perception des choses, sa sensibilité pour prendre en charge des tâches moins mécaniques, moins précises, où sa réflexion et son action sont porteuses de véritable valeur ajoutée.

Traditionnellement, la robotique est exclue des opérations nécessitant une intervention humaine pour des raisons de sécurité. Le robot opère dans une enceinte grillagée, l’opérateur humain ne pouvant y accéder que lors de l’inactivité du robot. Cette contrainte rend donc difficilement automatisables les processus  nécessitant une intervention humaine.

La cobotique ou robotique collaborative modifie la donne sous certaines conditions, en utilisant la robotique, la mécanique, l’électronique, le numérique et les sciences cognitives pour assister l’homme dans ses tâches quotidiennes.

Les enjeux de l’adoption de la cobotique dans les entreprises sont de plusieurs natures :

Du point de vue économique, elle permet l’amélioration de la productivité par sa performance supérieure dans les tâches répétitives, l’affectation de l’intelligence humaine à des tâches à forte valeur ajoutée, l’abaissement des coûts de production qui, à son tour, permet d’éviter les délocalisations voire d’envisager des relocalisations.

Elle est relativement facile à programmer et à intégrer à proximité des hommes, adaptable à de petites séries respectant des préférences clients de plus en plus variées, pour des investissements raisonnables.

Du point de vue social et sociétal, elle permet de réduire l’exposition des opérateurs humains aux risques associés aux contraintes physiques, aux environnements agressifs et aux rythmes de travail pénibles.

Elle est partie intégrante de l’industrie 4.0, dans le cadre d’une vision où l’usine du futur sera toujours peuplée d’humains porteurs d’innovation, en symbiose avec une automatisation qui continuera à se développer.

Alors : taxer les robots supposés destructeurs d’emploi ? Ou plutôt prendre le parti de la collaboration et mettre en place les structures d’accompagnement et de formation nécessaires pour franchir le pas ?

Reprenons plusieurs de ces points en détail.

Sous quelles formes concrètes les solutions de cobotique se présentent-elles ?

Le Guide pratique de l’Usine du Futur (Fiche technologique Famille 5 V1) en recense trois, qui répondent de façon variée aux exigences de mobilité, de collaboration et d’interactions physiques entre l’homme et le robot :

1/  L’Îlot robotisé collaboratif : l’interaction homme/robot peut y être ponctuelle selon les besoins ou quasi-permanente. Exemple : le robot présente une pièce à l’opérateur dans une zone définie comme collaborative ou s’occupe de tâches à faible valeur ajoutée pour l’opérateur. Le partage des tâches y est la règle et le robot y est le véritable assistant de l’homme.

C’est l’évolution logique de l’îlot robotisé standard où l’homme et la machine n’interagissent pas, qui a lui-même évolué vers l’îlot robotisé flexible, qui dispose  de dispositifs de sécurité (capteurs, caméras) permettant une interaction homme / machine plus simple et plus sécurisée.

Cobotique Ilot Robotisé collaboratif

2/ Le Robot mobile : le robot se déplace et évolue de manière autonome, au sein d’un atelier, sans intervention de l’opérateur.

3/ Le Cobot / Exosquelette : c’est un équipement robotisé (bras à contrôle d’effort, orthèse, etc.) assistant un opérateur dans ses tâches, notamment en permettant une démultiplication des efforts et une reprise de charge. Il limite ainsi la pénibilité engendrée par une tache manuelle (ex : ponçage, meulage, manipulation de pièces lourdes ou encombrantes etc.), tout en garantissant la répétabilité d’une opération ou le guidage d’un geste.

Cobotique Exosquelette

Quels sont les apports de la cobotique à l’entreprise ?

1/ De multiples gains de productivité : réduction du coût de la main d’œuvre sur des tâches de faible valeur ajoutée, réduction du nombre d’opérations humaines nécessaires à la fabrication d’une pièce, affectation de l’homme aux tâches nécessitant savoir-faire et décision, réduction des surfaces occupées par la robotique seule du fait de la quasi-disparition de périmètres auparavant sécurisés, optimisation des flux (outils et work in progress) et des opérations de maintenance, réduction des temps alloués aux changements de séries du fait de son adaptabilité et de sa légèreté. On ne reprogramme plus l’intégralité d’une chaîne ou d’un processus.

2/ Des opportunités de chiffre d’affaires supplémentaire : devant une demande client de plus en plus protéiforme, l’appareil de production doit s’adapter et pouvoir mettre à disposition du marché des produits personnalisés, issus de séries courtes. La cobotique répond à cette exigence, par son agilité et la préservation intrinsèque de l’intelligence et de la sensibilité humaine dans les processus de production.

3/ Une garantie de qualité : maîtrise et reproductibilité des processus de production, traçabilité des opérations et des composants entrant dans la fabrication d’un produit facilitée.

4/ Une amélioration des conditions de travail : par la réduction du personnel humain à l’exposition des risques professionnels engendrés par les contraintes physiques découlant de la nature du travail (manutention charges lourdes, postures pénibles, vibrations), à l’exposition à des environnements agressifs (milieux chimiques, bruyants, températures extrêmes) et aux rythmes de travail décalés ou perturbants (travail répétitif, en équipes, de nuit). Conséquences prévisibles : diminution des arrêts de travail dus aux TMS (Troubles Musculo-Squelettiques), augmentation de l’intérêt attribué au travail par l’opérateur, flexibilité dans le choix de l’opérateur (accès à de nouvelles tâches pour le personnel féminin, vieillissant ou handicapé).

5/ Une intégration digitale de la production aux autres fonctions de l’entreprise, apportant ainsi sa contribution au concept de l’industrie / usine 4.0, définie comme une nouvelle façon d’organiser les moyens de production : l’objectif est la mise en place d’usines dites « intelligentes » (« smart factories ») capables d’une plus grande adaptabilité dans la production et d’une allocation plus efficace des ressources, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle révolution industrielle. Ses bases technologiques sont l’Internet des objets et les systèmes cyber-physiques (Définition Wikipedia)

Les explications de Ford, pionnier de la cobotique, sur sa mise en place et ses avantages à tous niveaux sont édifiantes :

Quelles sont les clés de succès d’une implantation cobotique réussie ?

Le Guide pratique de l’Usine du Futur (Fiche technologique Famille 5 V1) propose les étapes suivantes :

Pour que les PME françaises puissent s’équiper durablement en cobotique, elles doivent bâtir une véritable stratégie industrielle, et un plan de communication afférent, autour des cinq piliers non séparables : l’économie (rentabilité, chiffre d’affaires), la production (performance, qualité), l’intégration (processus, système d’information, évolution), le réglementaire (directives, normes) et l’humain (valorisation, conditions de travail). Il est nécessaire de construire une équipe projet représentant toutes les fonctions de l’entreprise.

Dans le domaine technologique :

  • Définir précisément un cahier des charges pour l’intégrateur.
  • Préférer la polyvalence des robots plutôt qu’un équipement trop spécialisé.
  • Ne pas robotiser un processus qui n’est pas sous contrôle, c’est-à-dire maîtrisé.
  • Ne pas remplacer un opérateur par un robot mais saisir l’opportunité d’optimiser un processus en termes de productivité et/ou de valeur ajoutée.

Dans le domaine des compétences à mobiliser, des connaissances et de la formation :

  • Proposer un plan de formation personnalisé afin que chaque opérateur sache travailler avec un robot dans des conditions de sécurité maximales,
  • S’assurer que les systèmes de cobotique adoptés sont acceptés par les organisations de certification et de contrôle du travail, sachant que les normes techniques et les règlements le permettent (Directive Européenne « Machines » – voir ci-dessous).

Dans le contexte général de l’entreprise, le dirigeant doit se poser les questions suivantes :

  • Puis-je éviter de délocaliser mes propres produits ?
  • Puis-je relocaliser des activités ou proposer à mes clients de revenir ?
  • La productivité de mon outil de production est-elle impactée par des goulots d’étranglement ?
  • Vais-je être confronté à une pénurie de main d’œuvre ?
  • Ai-je des problèmes de pénibilité du travail ? Suis-je confronté à des pathologies (TMS) liées aux activités de l’atelier ?
  • Le personnel est-il prêt à accepter l’arrivée de robots collaboratifs ? Comment communiquer efficacement en interne ?
  • Comment valoriser l’homme dans une collaboration homme/robot ?

La liste n’est pas exhaustive mais constitue un solide point de départ.

Quel est le cadre normatif dans lequel évolue la cobotique ?

1/ Le cadre européen

Drapeau europeen

La loi applicable pour la mise en circulation d’un robot, collaboratif ou non, sur l’espace économique européen est la Directive « Machines » 2006/42/CE. Cette directive définit les étapes à suivre pour respecter les exigences essentielles de santé et de sécurité (EESS) applicables aux machines neuves et robots et garantir un niveau élevé de sécurité et de protection aux utilisateurs.

De plus, le rapport Delvaux, adopté en février 2017 par le Parlement Européen, propose un cadre légal en matière de robotique. Ce rapport contient entre autres les deux points de la taxation des robots et du revenu universel destiné à ceux dont l’activité aurait été confiée à un robot.

2/ Les normes ISO

Lgo ISO

La cobotique est réglementée par 3 textes principaux :

  • La norme ISO10218-1 destinée aux fabricants de robots
  • La norme ISO10218-2 destinée aux intégrateurs de robots
  • La norme ISO TS15066 également destinée aux intégrateurs

Le concept fondamental à appliquer en cobotique est l’analyse de risque :

Ce processus consiste à analyser tous les mouvements, déplacements, interactions et opérations que le robot doit effectuer. Chaque tâche est isolée et les risques associés évalués et classifiés selon leur gravité, probabilité de survenue, fréquence et marche à suivre pour éviter leur réalisation. La mise en place est ensuite modulée en fonction de cette analyse et des normes précitées. Celles-ci ne sont pas des textes ayant force de loi, mais plutôt un corpus de bonnes pratiques.

La norme ISO/TS15066 définit qu’une application cobotique ou robotique collaborative implique la mise en œuvre d’au moins un de ces 4 modes de fonctionnement :

Arrêt nominal de sécurité contrôlé

Ce mode de fonctionnement se produit  quand un robot consiste est utilisé pour des opérations impliquant des charges lourdes (porter une voiture par exemple) et une tâche manuelle doit y être effectuée (fixer un petit boulon). Le robot apporte le composant lourd à l’humain, s’arrête (mais reste actif) alors que la tâche manuelle est effectuée, puis continue sa trajectoire une fois que l’humain l’indique. La raison pour laquelle cette application est considérée comme collaborative est que le robot reste actif (en fonctionnement) alors que l’humain interagit autour de lui. Historiquement, ce type d’application nécessitait un arrêt ou des freins engagés sur le robot avant qu’il ne soit redémarré après la fin de l’opération.

Guidage manuel

Le mode de guidage manuel est le seul moment où le robot est en contact direct avec les humains. Dans ce cas, le robot doit disposer d’un capteur d’enregistrement de force spécial Ce capteur est utilisé par l’humain pour diriger le robot et le déplacer manuellement.

Contrôle de la vitesse et de la distance de séparation

Ce mode fonctionnement permet de supprimer les barrières physiques entre l’homme et le robot. Cette configuration nécessite un scanner de zone qui délimite les zones de sécurité, par exemple des zones vertes, jaunes et rouges respectivement à grande vitesse, à vitesse réduite et à l’arrêt. Ce mode permet au robot de fonctionner aussi vite que possible lorsque l’humain n’est pas là et de réduire sa vitesse à mesure que l’humain se rapproche.

Limitation force et énergie

C’est le mode de fonctionnement par excellence du robot collaboratif ou cobot. En fait, ce type de robot «sent» son environnement et est capable de déterminer des forces anormales pendant son utilisation normale. En d’autres termes, c’est le seul type de collaboration qui permet au robot de fonctionner normalement, bien qu’avec des limites de puissance et de force, en présence d’humains.

Les trois premiers modes de fonctionnement peuvent s’appliquer à des robots industriels avec des add-ons tels que des capteurs de zone ou des capteurs de force-couple. Le quatrième mode est le plus innovant proposé par la norme. En fait, les robots à force et à force limitée sont la nouvelle technologie qui permet les contacts directs entre les bras du robot et l’utilisateur.

La cobotique : dépassement de l’affrontement homme/machine ?

Le classement des pays par nombre de robots pour 10 000 employés dans l’industrie est le suivant :

1/ Corée du Sud : 437 2/ Japon : 323 3/ Allemagne : 282

4/ Suède : 174 5/ Italie : 170 6/ Belgique : 169 7/ Danemark : 166

8/ USA : 152 9/ Taïwan : 142 10/ Espagne : 141 11/ France : 125

A noter que le premier groupe , le plus équipé en robot, est constitué de pays proches du plein emploi.

Dans son dossier sur l’impact de la robotisation des tâches sur la productivité, l’emploi et la structure des métiers à venir, l’IFR (International Federation of Robotics) prend les positions suivantes, fondées sur plusieurs études récentes (l’ensemble du rapport, études comprises, est accessible par le lien cité dans les sources). Ces positions s’appliquent à la robotique en général mais aussi à la cobotique (voir en particulier pages 7 et suivantes du rapport) :

Les robots augmentent la productivité et la compétitivité. Une productivité accrue peut conduire à une demande accrue, créant de nouvelles opportunités d’emploi.

L’automatisation a conduit à une augmentation de la demande de main-d’œuvre et à un impact positif sur les ressources. Alors que les emplois à qualification et revenu moyens ont diminué, les emplois à compétences supérieures sont en demande (programmation, entretien, maintenance etc.), avec un impact positif sur les salaires. La question est de savoir comment permettre aux salariés à qualification et revenu moyens de progresser ou de se recycler.

Les robots complètent et « augmentent » le travail: le futur sera fait de robots et d’humains travaillant ensemble. Les robots remplacent les activités de travail mais ne remplacent pas les emplois. Moins de 10% des emplois sont totalement automatisables.

Les gouvernements et les entreprises doivent se concentrer sur la mise à disposition des compétences appropriées aux futurs travailleurs pour assurer la poursuite de l’impact positif des robots sur l’emploi, la qualité de l’emploi et les salaires. Les gouvernements doivent investir dans la recherche et le développement de la robotique pour tirer parti des avantages pour l’emploi de ce secteur à croissance rapide. Ils doivent également fournir des incitations à l’investissement et favoriser les systèmes éducatifs fournissant les compétences nécessaires pour sécuriser les emplois créés ou modifiés par le déploiement des robots et l’automatisation.

Les entreprises doivent s’engager activement dans les programmes de formation / recyclage appropriés pour les employés. Ces objectifs nécessiteront une collaboration intensifiée et coordonnée des secteurs publics et privés.

Alors : robots destructeurs d’emplois et à taxer ?

Oui, si la robotisation est sauvage et sans les accompagnements nécessaires à la mutation du travail, dans sa quantité et son contenu. Mais ce sera un aveu d’échec et d’impuissance tant des entreprises que des états.

Non, si le défi est relevé à sa juste mesure, par l’éducation, la formation, les investissements et la recherche, avec l’homme au centre du dispositif.

 

Sources :

Guide pratique de l’Usine du Futur  Octobre 2015 : http://www.pfa-auto.fr/wp-content/uploads/2016/03/Guide-pratique-Usine-Automobile-du-Futur.pdf

Magazine « Mécasphère » Mars 2017, Dossier « La robotique collaborative » : http://www.mecasphere.net/wp-content/uploads/2017/03/N%C2%B041-Mecasph%C3%A8re-WEB.pdf

L’usine du futur par Maxime Fernandez (02/2015) : https://portail-ie.fr/analysis/1160/lusine-du-futur-une-revolution-informationnelle-et-technologique

Législation européenne et rapport Delvaux :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000881896

http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2017/02/15/32001-20170215ARTFIG00359-la-taxe-robot-divise-le-parlement-europeen.php

http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20170210IPR61808/robots-les-deputes-veulent-des-regles-europeennes-en-matiere-de-responsabilite

Entretien avec Mady Delvaux : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/economy/20170109STO57505/mady-delvaux-un-cadre-legal-en-matiere-de-robotique-est-necessaire

Normes ISO (International Organization for Standardization) :

https://www.iso.org/obp/ui/#iso:std:iso:ts:15066:ed-1:v1:en

http://www.roboticstomorrow.com/article/2016/06/safety-for-collaborative-robots-new-isots-15066/8252/

Robotique et emploi :

The impact of Robots on Productivity, Employment and Jobs. IFR (International Federation of Robotics) Rapport Avril 2017 :

https://ifr.org/img/office/IFR_The_Impact_of_Robots_on_Employment.pdf