
Comment les GAFAM tissent leur toile dans la santé ?
Dans le rapport “Gafanomics – The Quarterly” édité par Fabernovel en Q1 2021, il est relaté leur évolution du marché de la santé.
Les acteurs historiques commencent à s’y faire bousculer par de nouvelles startups ainsi que les géants du numérique qui y voient un nouveau terrain de jeux.
Ces derniers s’entendent proposer des solutions rapides à des problèmes existants en capitalisant sur leurs infrastructures existantes pour améliorer nos modes de vie
Les leaders du numérique n’ont pas d’états d’âme à bousculer des secteurs sensibles, et la santé ne fait pas exception. Leur expertise dans la technologie et leurs énormes réservoirs de données leur procurent un avantage décisif face aux laboratoires pharmaceutiques, aux hôpitaux et aux centres de recherche traditionnels. La pandémie a accéléré leurs ambitions.
Les grandes entreprises américaines du numérique, les GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon, Microsoft) multiplient les investissements dans le domaine de la santé, que cela soit au niveau de la recherche, de l’organisation des soins hospitaliers, de l’accompagnement des professionnels de santé dans la pratique médicale ou des services patients pour la gestion de la maladie.
Pour ces acteurs, la santé est devenue un axe stratégique prioritaire, comme l’a rappelé, Tim Cook, président d’Apple : « Nous donnons à chacun la possibilité de gérer sa santé. Et nous n’en sommes qu’au début. Je crois vraiment que, dans le futur, on dira que la contribution la plus importante d’Apple à l’humanité aura été dans la santé ».
Leurs forces et leurs succès
La force de ces géants du numérique, du fait de leur ADN, leur agilité, est de pouvoir créer rapidement des usages auprès d’un grand nombre d’utilisateurs, favorisant le déploiement de solutions numériques pour le suivi et la gestion de sa santé.
Des acteurs comme Apple, Google ou Amazon sont tellement implantés aujourd’hui dans notre quotidien qu’ils sont des « facilitateurs » au déploiement du numérique santé.
Le succès de ces plateformes repose sur l’expérience utilisateur et le service rendu : pourquoi ne pas laisser mes données si derrière j’obtiens une solution pour améliorer la gestion de ma maladie au quotidien ou tout simplement me soigner ?
Au-delà des usages, ces acteurs disposent de moyens considérables pour développer des solutions robustes et adaptées à la pratique médicale ou à la gestion de sa maladie.
Des entreprises traditionnelles et des startups se lancent dans les modèles économiques des GAFAM
Si les GAFAM battent de nouveaux records, une tendance structurante prend de l’ampleur avec des acteurs “traditionnels” réussissant à se différencier grâce aux effets de la transformation numérique menée ces dernières années.
Des groupes comme LVMH, Nike, Walmart ou The Walt Disney Company ont pu profiter de la reprise et combler le fossé en pivotant vers de nouveaux modèles souvent inspirés des GAFAM.
LVMH : Plus largement c’est le fruit d’une remarquable stratégie d’innovation sur les leviers technologie, marketing et culturel. Avec le projet DARE, LVMH a initié un programme pour favoriser l’innovation interne et s’assurer qu’elle fait émerger de nouvelles sources de revenus. Le groupe LVMH sait aussi s’allier avec des géants, notamment Google Cloud pour développer des modèles de prévisions des ventes, d’optimisation des stocks et des expériences personnalisées.
The Walt Disney Company a réussi à innover et lancer Disney+ dans une période très favorable (plein covid) en menant une stratégie D2C (« Direct to Consumers ») pour acquérir en 2 ans la moitié du nombre d’abonnés Netflix. Avec cette stratégie innovante, l’entreprise reprend la main sur la connaissance de ses clients et adopte un modèle de revenus récurrents plus résilient.
Source : Gafanomics – The Quarterly” édité par Fabernovel en Q3 2021
Les GAFAM prennent part aux essais cliniques
Selon MindHealth en septembre 22, Apple et Alphabet sont ceux qui ont participé au plus d’études incluant une technologie d’analyse, connectée, de télémédecine ou de pilotage des essais. Les technologies connectées se retrouvent dans 87 % des essais d’Apple et d’Alphabet. Au 1er juillet 2022, 13 % des 325 029 essais publiés sur ClinicalTrials.gov incluent au moins une technologie numérique, dont 5 132 déclarés par des industriels et 47 par des GAFAM.

Avec 23 essais, dont 10 en tant que promoteur principal et 13 en tant que collaborateur, c’est Apple qui a contribué au plus d’études citant des technologies numériques. La société a d’ailleurs confirmé dans un rapport publié le 20 juillet 2022 que la santé était un objectif prioritaire de développement pour ces prochaines années.
Elle devance Alphabet qui a participé à 15 essais, dont quatre en tant que promoteur principal et 11 en tant que collaborateur.
Microsoft, avec six essais, et Facebook, avec deux, arrivent respectivement à la troisième et quatrième position.
Amazon, qui a conclu en mars dernier un partenariat avec l’entreprise américaine Thread pour une plateforme d’essais cliniques décentralisés basée sur l’intelligence artificielle, n’a participé qu’à deux essais cliniques de la base « ClinicalTrials », mais aucun ne cite de technologies numériques.
Intéressant et rassurant de voir que les GAFAM conduisent des études cliniques soit en tant que collaborateur et promoteur principal.
Exemples d’acquisitions et investissements
Cela passe évidemment par des rachats d’acteurs existants (Fitbit par Google, One Medical par Amazon, Beddit par Apple…) et de nombreux investissements en R&D comme le démontre Verily, filiale santé de Google/Alphabet, qui a levé 1 milliard de dollars auprès de sa maison mère pour financer ses recherches et activités dans la médecine de précision.
Apple :
Dans un rapport publié le 20 juillet 2022, la société confirme que la santé est un objectif prioritaire de développement pour ces prochaines années. Elle souhaite devenir un acteur des données de santé.
Apple entend poursuivre la stratégie qui est la sienne en santé depuis de nombreuses années : développer pour le grand public des fonctionnalités qui adressent de plus en plus la santé. Historiquement, la firme a en effet été la première à préempter le segment du quantified-self.
Avec les lancements annoncés à l’automne prochain d’iOS 16 et Watch OS 9, Apple Watch et iPhone prendront désormais en charge des fonctionnalités dans 17 domaines de la santé et du bien-être, allant de la santé cardiaque au suivi du sommeil, en passant par la santé des femmes, la mobilité ou encore la surveillance de la température corporelle. Apple va ajouter un rappel pour la prise de ses médicaments et de nouvelles fonctionnalités d’entraînement à ses appareils cet automne.
Apple réfléchit également à faire de ses Airs Pods un dispositif médical embarquant divers capteurs (température, posture). Apple travaille également sur des technologies telles que la surveillance du glucose et de la pression artérielle qui pourraient arriver plus tard. Bref, Apple voit dans ses appareils les dispositifs médicaux de demain. Un positionnement qui lui ouvre la voie des données de vie réelle, enjeu essentiel du suivi des patients et de la recherche clinique. Rune Labs a d’ailleurs obtenu en juin dernier l’autorisation de la FDA pour utiliser l’Apple Watch comme dispositif de télésurveillance de patients atteints de la maladie de Parkinson.
Dans son rapport, Apple rappelle ainsi que son application Health permet de stocker plus de 150 types de données de santé différents à partir d’Apple Watch, iPhone et d’applications et appareils tiers. Aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, ses clients peuvent même télécharger leur dossier de santé directement dans leur smartphone, grâce au partenariat noué avec 800 structures de soins. Une manière de faire de son application « Health » un véritable espace de santé personnalisé.
Amazon :
Amazon rachète One Medical, le Netflix de la santé pour 3,9 milliards de dollars. One Medical propose un abonnement à 199 dollars par an pour bénéficier de soins de santé. One Medical propose une application avec un accès 24h/24 et 7j/7 à des services de télésanté à la demande par vidéo, et des rendez-vous garantis le jour même ou le lendemain dans plus de 125 cabinets médicaux.
Cette nouvelle acquisition donne à Amazon un autre moyen de pénétrer sur le marché de la santé. Dans un communiqué de presse publié à l’occasion du rachat de One Medical, Neil Lindsay, VP senior d’Amazon Health Services, a déclaré que « nous pensons que les soins de santé figurent en bonne place sur la liste des expériences à réinventer. Prendre un rendez-vous, attendre des semaines, voire des mois, conduire jusqu’à une clinique, trouver une place de parking, attendre dans la salle d’attente puis dans la salle d’examen, puis faire un autre voyage à la pharmacie… nous pensons que nous pouvons améliorer cette expérience ».
Depuis quelques années, Amazon a déjà mis en place un service baptisé Amazon Care une clinique médicale pour ses employés aux Etats-Unis en février 2020- -à la suite de l’acquisition de la start-up spécialisée dans la télémédecine Health Navigator en septembre 2019. Selon le CEO de One Medical, Amir Dan Rubin, « il existe de nombreuse opportunité pour rendre l’expérience des soins de santé plus accessible, plus abordable et même plus agréable pour les patients, les prestataires et les payeurs ». Les équipes de One Medical se disent impatientes d’innover et d’élargir l’accès à des services de santé de qualité, avec Amazon.
Plus proche de ses compétences de e-commerce, Amazone a lancé Amazon Pharmacy, un service de vente de médicaments sur ordonnances aux états unis à la suite de l’acquisition de Pill Pack.
Mars 2022, le géant mondial de la technologie et du commerce électronique Amazon et la société de télémédecine Teladoc ont annoncé un événement historique nouvelle initiative: fournir des soins virtuels via les appareils Amazon Alexa.
L’annonce indique que « les clients aux États-Unis pourront désormais se connecter avec un fournisseur de soins Teladoc 24 heures sur 24 et jours sur 7 à partir d’appareils Echo pris en charge pour les besoins médicaux généraux. Teladoc sur Alexa sera initialement lancé via l’audio avec des visites vidéo à venir.
Donna Boyer, Chief Product Officer de Teladoc, a expliqué plus en détail : « La collaboration de Teladoc Health avec Amazon est une étape supplémentaire dans l’élimination des obstacles à l’accès aux soins de santé ».
Alphabet / Google / Verily :
En novembre 2022 Google et iCAD s’associent afin de développer des outils de dépistage du cancer du sein grâce à l’intelligence artificielle. Le but est de donner des informations aux radiologues afin de les aider à mieux détecter le cancer du sein et à améliorer l’évaluation des risques.
Depuis plusieurs années, Google a largement investi dans le développement des applications de santé, par le biais des intelligences artificielles capables de lire des radios mieux que les médecins. De fait, en 2018 une équipe de recherche du Narval Medical Center de San Diego et de DeepMind a mis au point un algorithme capable de détecter des tumeurs métastatiques du cancer du sein avec une précision de 99%.
Récemment, Google Cloud a lancé une palteforme pour l’imagerie médicale renforcée par l’IA: la Medical Imaging Suite. Cette dernière permet aux professionnels du secteur d’améliorer leur traitement et leur analyse des radios, notamment, grâce à des algorithmes surentraînés, qu’il est possible de comparer à des « super-assistants virtuels » afin d’aider le travail des radiologues.
Verily (anciennement Google Life Sciences) est une entreprise américaine, filiale de Alphabet, spécialisée dans la recherche sur les sciences de la vie.
En août 2016, Verily Life Sciences et GSK créent une co-entreprise dédiée aux signaux électriques dans le corps humain, filiale nommée Galvani Bioelectronics et détenue à 55 % par GSK et 45 % par Verily Life Sciences.
Le 11 septembre 2016, Verily et Sanofi annoncent la création d’une coentreprise Onduo, pour concevoir et développer de nouveaux objets connectés dans le domaine du diabète.
Alphabet (Google) a un potentiel important de développement dans ce domaine, car le produit Google Home de l’entreprise est encore plus répandu qu’Amazon Alexa dans les foyers à travers le pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’entreprise ne suive une voie similaire en fournissant à sa clientèle des solutions de télésanté pratiques.
À son égard, Google a considérablement élargi son rôle dans le domaine de la santé. Sa Plateforme Care Studio est prometteuse pour améliorer la gestion clinique et travailler avec les sociétés de dossiers de santé électroniques pour optimiser les soins aux patients. De plus, les prouesses de Google en matière de consolidation et d’analyse des données sont à la pointe de l’industrie, sans exception. Cela offre à Google un avantage inégalé dans le développement potentiel d’un produit qui peut apporter de la valeur aux besoins de soins de santé à domicile des consommateurs.
La gestion des données : des craintes à avoir ?
Cette domination des GAFAM sur le numérique santé, pose de nombreuses questions autour des données de santé ; mais n’est-ce pas une opportunité pour vraiment accélérer le déploiement du numérique santé et développer des usages ?
La première crainte qui émerge est celle de la gestion des données de santé, dans un but mercantile et publicitaire. La donnée constitue aujourd’hui une « or numérique » convoitée par de nombreux acteurs.
La possibilité pour ces grands acteurs du numérique d’être détenteur de données de santé inquiète aussi bien citoyens qu’autorités publiques : vente de données, ciblage publicitaire, médecine à 2 vitesses, modèles prédictifs… Le « Health Data Hub » a justement été créé en France pour avoir une juste utilisation des données de santé et éviter des dérives dans leur usages
La seconde crainte vient de l’hégémonie que pourrait avoir ces acteurs sur le monde de la santé, bouleversant les écosystèmes existants, monopolisant l’innovation, transformant les organisations voire modifiant les pratiques médicales et la prise en charge des patients
Les procureurs de dix États américains appellent Apple à mieux protéger les données de santé reproductive : Novembre 2022, les procureurs de dix États américains exhortent Tim Cook, le PDG d’Apple, à prendre des mesures pour protéger les données de santé reproductive des utilisateurs. Dans leur ligne de mire, les applications tierces disponibles sur l’App Store (applications de suivi de règles, de grossesse, de fertilité, etc.) qui collectent des données ou se synchronisent avec les données de santé des utilisateurs stockées sur les appareils Apple.