Thérapie Numérique – DTx-

Parlons Thérapie Numérique – DTx –

Thérapie Numérique

Avec Karine Soulat

Karine Soulat

Karine Soulat, consultante marketing en e-santé, a créé sa société Ke-Health en 2021. Karine a travaillé durant plusieurs années pour des laboratoires pharmaceutiques, tel que BMS et Biogen, au sein des divisions marketing en psychiatrie et neurologie. Elle a eu l’opportunité de participer au lancement de plusieurs produits blockbusters. Elle a aussi lancé des programmes d’apprentissage au geste pour certains traitements et des programmes d’accompagnement patients.

Karine a intégré la promotion MBA -Digital Marketing Business – dispensé par l’école l’EFAP à Paris parce qu’elle souhaitait développer ses compétences en marketing digitale. Elle a écrit sa thèse professionnelle sur les thérapies numériques : En quoi des thérapies numériques vont-elles transformer la prise en charge des maladies chroniques ?

Aujourd’hui, Karine accompagne les laboratoires pharmaceutiques et les start-ups dans le développement et lancement de thérapies numériques, les conseille en stratégie marketing digital et les aide à trouver des solutions digitales, type compagnons numériques, qui pourraient soutenir les traitements dans une aire thérapeutique.

Quelle est la définition d’une thérapie numérique ?

En 2018, selon l’association mondiale Digital Therapeutics Alliance (DTA), la définition d’une thérapie numérique ou DTx est une solution :

  • Dont le principe actif est un logiciel qui doit permettre de prévenir, gérer et traiter des symptômes ou la maladie
  • Et pour laquelle des preuves cliniques de son efficacité doivent être prouvées.
Digital Therapeutics Alliance

Cette thérapie numérique peut être utilisée indépendamment ou en association avec des traitements chimiques, biologiques ou des dispositifs médicaux.

La différence entre un logiciel de bien-être (wellness) et une thérapie numérique se situe au niveau de la preuve clinique de son efficacité que ce soit dans la gestion de symptômes/maladies ou la prévention de symptômes/maladies. Un éditeur de logiciel peut choisir de positionner son application en tant que solution de bien-être (Ex Petit Bambou) ou bien en tant que dispositif médical connecté à visée thérapeutique (Ex Diabeloop).

Quelle est la position de la Haute Autorité de santé (HAS) ?

C’est la première fois et ce depuis novembre 22, que l’on parle de Dispositifs médicaux (DM) connectés à visée thérapeutique (DTx) dans nos textes de lois françaises.

La responsable de la mission numérique en santé de la Haute autorité de santé (HAS), Corinne Collignon, a fait le point le 14 novembre sur les différents travaux de l’organisme sur les dispositifs médicaux (DM) numériques, lors d’une journée organisée par l’Association française des sociétés de recherche sous contrat (AFCROs).

Une des mesures mentionnées ouvre la voie à une prise en charge anticipée (PECA) pour 2 types de DM numériques :

  • les DM à visée thérapeutique (DTx)
  • les DM de télésurveillance médicale

La Cnedimts qui est une branche de l’HAS en charge des DM sera chargée de l’évaluation :

  • qui portera sur l’amélioration de la prestation médicale, pour laquelle il n’y aura pas de gradation 
  • qui concernera le DM, l’acte et éventuellement un accessoire de collecte de données.

Elle doit établir un référentiel définissant les exigences minimales applicables à l’opérateur de télésurveillance médicale.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2022 prévoit que la prise en charge est subordonnée à « l’utilisation effective » du DM par le patient et à l’obtention de résultats individualisés ou nationaux d’utilisation en vie réelle évalués sur le fondement d’indicateurs lorsqu’ils existent.

La prise en charge anticipée PECA a une durée de 1 an non renouvelable et est assortie d’une obligation de demande de remboursement de droit commun, qui doit être déposée dans les 6 mois suivant le démarrage de la PECA pour les DTx et dans les 9 mois suivant le démarrage de la PECA pour les DM de télésurveillance.

La HAS lancera en 2023 une expérimentation d’évaluation médico-économique des DM numériques, ouverte pour 3 ans renouvelables, et concernant uniquement les DM numériques.

Accès à l’article publié par tic pharma : Accès au marché, expérimentation, évaluation: ce que prépare la HAS pour les DM numériques

Qu’en est-il de la FDA ?

Aux US, la FDA suivait jusqu’à avril 2022, 2 voies possibles d’approbation :

  • Process nommé 510 (k) comprenant une soumission préalable à la mise sur le marché d’un DTx (DM de classe I ou II) pour démontrer que le dispositif est substantiellement équivalent à un dispositif existant sur le marché.
  • Autorisation de novo : cette voie est utilisée pour les produits DTx pour lesquels il n’existe aucun dispositif similaire sur le marché avec lequel l’entreprise peut prétendre à une équivalence substantielle.

Depuis avril 2022, un programme pilot de pré-certification des logiciels de santé numérique s’est mis en place : ce programme donne un aperçu de la manière dont la FDA souhaite gérer les approbations de logiciels DTx à l’avenir. Ce programme se concentre sur l’approbation de l’éditeur du logiciel, plutôt que sur le logiciel lui-même.

De plus aux US, les DTx sont surtout proposées via les employeurs ou via les assurances privées.

Pouvez-vous donner des exemples de thérapies numériques remboursées ?

👉 Diabeo

La notion de thérapie numérique est récente mais depuis 10 ans il existe déjà des systèmes de télésurveillance à distance.

Une des premières télésurveillances validées, est la solution Diabeo de chez Voluntis. En 2010, elle fut le premier logiciel à obtenir l’accord de remboursement avec un grading SMR (Service Médical Rendu) de niveau IV.

Ce dispositif médical sur prescription médicale propose des doses d’insulines lentes et rapides et adapte le traitement suivant les taux de glycémie. L’application Diabeo a été conçue pour aider les patients à gérer au quotidien leur maladie et alerter l’équipe médicale en cas d’irrégularité. Diabeo se positionne comme un service de monitoring, de télésurveillance autour d’un traitement.

👉 Moovcare

2eme révolution dans la santé 2.0 : Le 11 juin 2020, au terme d’un long processus, une web application thérapeutique dédiée au cancer du poumon, Moovcare, a obtenu son inscription sur la liste des produits remboursables par l’assurance maladie. L’épilogue d’une certification par la Haute autorité de santé et d’une longue négociation avec le Comité économique des produits de santé (Ceps), chargé de fixer le prix des médicaments et dispositifs médicaux remboursables.

Moovcare® de la société Sivan Innovation est une thérapie numérique qui s’appuie sur un questionnaire hebdomadaire simple visant à détecter une récidive ou une complication pendant le suivi de patients atteints d’un cancer du poumon. Moovcare® est un dispositif médical de classe I dont les essais cliniques ont démontré une amélioration avec le traitement et du bien-être des patients atteints de cancer du poumon, ainsi que la communication avec l’équipe médicale.

Exemple, s’il devait avoir un souci détecté à l’aide les réponses du questionnaire, le prochain scanner peut être avancé et dans ce cas détecté une éventuelle récidive plus tôt. Un suivi hebdomadaire de sa maladie, ça rassure le patient et il vit mieux le fait de faire des examens.

Moovcare a bénéficié d’une reconnaissance scientifique internationale lors des congrès ASCO en 2016 et 2018, ainsi que de publications dans le JAMA, le JNCI et le JTO. Les résultats des essais cliniques -étude contrôlée randomisée multicentrique- ont montré que Moovcare augmentait la durée de vie globale de 7,6 mois. A 24 mois, la moitié des patients utilisateurs sont en vie contre 1/3 des patients se contentant de réaliser un scanner tous les 3 mois. Ils ont obtenu un grading SMR 3 avec un remboursement de 1000€ par patient et par semestre.

👉 Diabeloop

Attendu depuis des années, le dispositif en boucle fermée hybride, le système DBLG1 Diabeloop, est pris en charge par l’Assurance Maladie depuis le 28 septembre 2021. L’histoire a commencé il y a déjà plus de 10 ans : en 2011, le CERITD (Centre d’Etude pour la Recherche et l’Intensification du Traitement du Diabète) et la CEA LETI (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information), se sont lancés dans l’aventure du premier système de boucle fermée hybride. 

Leurs recherches ont permis à la société Diabeloop de développer un dispositif comprenant les classiques capteur de glycémie en continu (Dexcom G6) et pompe à insuline (Kaleido), couplé à un algorithme – le DBLG1 – dont le rôle est de calculer en permanence la quantité d’insuline nécessaire à l’équilibre glycémique. Grâce à ses calculs, l’algorithme peut donner les ordres à la pompe et permet un système dit de « boucle fermée hybride ». 

Une diminution importante de la charge mentale mais une participation éclairée du patient 

C’est une vraie thérapie numérique. Il n’y pas de télésurveillance avec l’équipe médicale.

👉 Deprexis

Autre solution de thérapie numérique, DEPREXIS, Psychothérapie numérique de soutien thérapeutique, a revendiqué une prise en charge transitoire dans l’indication suivante : « Psychothérapie numérique destinée aux patients adultes souffrant d’épisode dépressif caractérisé, en complément des soins habituels ». Malgré son caractère innovant, au regard des critères d’éligibilité prévus par le code de la sécurité sociale, la CNEDiMTS a estimé que DEPREXIS n’est inéligible à la prise en charge transitoire dans l’indication revendiquée.

Quels sont les freins au développement d’une thérapie numérique ?

En Europe et en France de surcroit il faut tout d’abord que le logiciel obtienne un marquage CE. Le marquage CE est déjà une première étape compliquée, longue mais nécessaire.

Ce marquage CE s’est encore « alourdie » avec la nouvelle MDR (Medical Device Regulation) Européenne parue en 2021 et qui se met en place petit à petit en Europe.

La 2ème étape spécifique aux DTx, est l’obtention de preuves cliniques de son efficacité. Les méthodes d’évaluation cliniques via des RCT (Randomised Clinical Trial) ne sont pas du tout adaptées aux logiciels. Le temps « digital » est bien plus rapide que le temps « clinique ». Plus concrètement, les essais cliniques se font sur des versions de logiciels qui risquent de devoir évoluer avant même la fin de l’essai. Il faut, de plus, expérimenter plusieurs versions avant d’obtenir le meilleur niveau d’UX et faire évoluer constamment les app afin de répondre aux besoins du patient.

Enfin la 3ème étape, consiste à obtenir la prise en charge des DM numériques à visée thérapeutique (DTx) et dont un décret d’application est attendu pour la fin de l’année et une mise en place en juillet 2023.

Autant dire que le cadre règlementaire actuel en France pour valider un DM, reconnaitre son intérêt dans l’arsenal thérapeutique et obtenir un Retour sur Investissement n’est pas encore mature. Beaucoup de laboratoires pharmaceutiques ont pensé à développer des DTx, en parallèle de médicament traditionnel dont le développement prend plus de 10 ans. Plusieurs avantages étaient mis en perspective. Mais finalement, le développement d’un DTx n’est pas si facile que ça, et prend plus de temps qu’il n’y parait de prime abord.

En Allemagne, ils ont un système un peu plus cadré que celui de la France. Le DIGA permet de mettre à disposition des médecins et patients des thérapies digitales de manière anticipée. A ce jour, une trentaine de thérapies digitales ont été validées par les autorités Allemandes.

On pourrait croire qu’à partir du moment où ces DTx sont mis à disposition via un cadre réglementaire spécifique, elles seraient largement prescrites par les professionnels de santé. En Allemagne, après 1 an d’existence, il y a eu 50 000 prescriptions ; 4% de prescripteurs (Psychologues et médecins ) et 50% des médecins connaissent les DTx de DiGa. Ce qui est plus encourageant c’est que 81% des prescripteurs ayant prescrit une DTx ont l’intention de prescrire à nouveau et 90% des patients sont prêts à en utiliser à nouveau.   

Comment voyez-vous l’avenir des thérapies numériques ?

Un patient a généralement plusieurs pathologies, un médecin gère aussi plusieurs pathologies. Lors d’un développement d’un DTx, il faut intégrer ces notions-là. Il n’est pas possible de demander à un patient et un médecin de gérer plusieurs connexions à plusieurs logiciels.

Selon Karine, l’avenir des DTx :

  • Ce sont tout d’abord l’utilisation beaucoup plus fréquentes de plateformes d’accompagnement patients pour les pathologies chroniques entre 2 consultations. L’idée est une place centrale commune qui permettrait de faire de la télésurveillance entre 2 consultations mais aussi qui permettrait de gérer certains symptômes comme le niveau d’anxiété, l’insomnie, le niveau d’exercice, les régimes alimentaires quel que soit la pathologie dans une même aire thérapeutique. Des DTx plateformes d’accompagnement avec de l’éducation pour les patients et permettant la récupération de biomarqueur pour le médecin qui aideront à personnaliser la relation entre le médecin et le patient et à mieux appréhender des signaux faibles pour chaque patient. Il faut que le médecin puisse gérer sur la même plateforme tous ses malades sinon ça devient trop lourd et il n’utilisera pas cet outil. Mettons-nous à la place des utilisateurs. Il faut aussi que le patient est le moins de « cases » à remplir. L’interopérabilité avec les outils connectés (type balance connectée, comptage de pas, ECG…) est ici clé.
    • Une fois que ces solutions numériques seront bien maitrisées et fréquemment utilisées on devrait être en mesure de développer des médicaments dont les principes actifs seront des logiciels. Dans ce cas il faudra prouver leur efficacité de manière indiscutable versus les thérapies actuelles. 

    En résumé, une thérapie numérique (DTx) doit apporter de réels bénéfices, améliorer l’organisation du parcours patient et de la pratique médicale. L’enjeu de ces solutions est de ne pas complexifier la prise en charge du patient mais d’apporter une véritable aide au praticien et au patient.

    Le marché des thérapies numériques (DTx) est en plein essor. Selon le cabinet Juniper Research, le marché des DTx devrait atteindre en effet un chiffre d’affaires mondial de 32 milliards de dollars en 2024, contre 2 milliards aujourd’hui. Un rapport établi par IQVIA Institute répertorie 250 solutions DTx dont 150 déjà disponibles. Aussi, Thomas Hagemeijer de TLGG groupe annonce qu’en 20235 le marché des solutions DTx va être supérieur à celui des médicaments. Il va s’opérer une vraie transformation de marché, cela va tout changer pour les industries de la santé.

    Bien entendu, un grand nombre de questions émergent et sont à l’ordre du jour : gestion et sécurisation des données, interopérabilité, adoption par les professionnelles de santé et les patients, rémunération des praticiens, intégration dans le parcours de soins du patient, développement des preuves cliniques, harmonisation européenne dans l’évaluation des solutions.

    Merci

    Un grand merci à Karine Soulat d’avoir pris le temps de parler de ce sujet – les DTx –  qui m’intéresse, qui m’intriguait jusqu’à notre échange. Une interview dynamique, passionnante avec une experte passionnée, enthousiaste qui connait parfaitement bien l’univers des thérapies numériques (DTx).

    Le mot de la fin : les DTx, un pari gagnant !!