Créer le bébé parfait ou comment CRISPR révolutionne la génétique

 Créer le bébé parfait ou comment CRISPR révolutionne la génétique

Il y a un mois à peine naissaient les premiers bébés génétiquement modifiés en Chine, grâce à l’utilisation d’une nouvelle technique permettant de réaliser facilement des modifications génétiques. La suppression d’un gêne devrait rendre les bébés plus résistants au VIH, à la variole et au cholera. Quelques jours plus tard, nous apprenions la suspension de He Jiankui, le scientifique en charge du projet, ainsi que l’ouverture d’une enquête. En effet, la légalité d’une telle manipulation est toujours en question. Certains évoquent déjà les conséquences inattendues que ces modifications pourraient avoir sur les nouveaux-nés.

Et si le futur de l’évolution humaine passait par ce cap ? Comment seront conçus les enfants à l’avenir ? Dans cet article, je fais le point sur ces avancées scientifiques d’envergure, qui posent des questions effrayantes en terme d’éthique.

Des avancées médicales historiques grâce à la technologie CRISPR-Cas9

  • La possibilité de modifier le génome à portée de mains

Peut-on réellement améliorer le génome humain ? Beaucoup de scientifiques pensent qu’une telle avancée serait dangereuse et irresponsable. Mais de nombreux laboratoires multiplient leurs efforts sur cette question aux USA et en Chine ainsi que certaines entreprises de biotechnologie (OvaScience pour ne citer qu’elle). Ils testent une nouvelle technique permettant de réaliser des modifications de l’ADN sur une lignée germinale à un degré de précision inégalé, une puissante technologique appelée CRISPR-Cas9. Malgré toutes les précautions prises par le milieu médical au sujet de son utilisation, il semblerait que l’édition de gênes soit bien devenue une réalité au vu de ces naissances récentes, permettant ainsi à la Chine d’affirmer une apparente avance sur les Etats-Unis en la matière.

En pratique, en éditant l’ADN des cellules germinales (cellules à l’origine des gamètes) ou de l’embryon même (dans le cadre d’une FIV), il deviendrait possible d’éradiquer les maladies transmises génétiquement, et de passer cette correction aux générations futures. Une telle avancée scientifique serait historique pour l’humanité, au même titre que la découverte du vaccin au XVIIIe siècle. Elle permettrait ainsi de faire disparaitre des fléaux tels que la mucoviscidose.

  • La création de gamètes totalement artificielles

Les scientifiques se penchent aussi sur la possibilité de créer des gamètes de façon artificielles en utilisant des cellules souches. Aux Etats-Unis, en Chine, et même en Europe, des chercheurs ont réussi à créer des spermatozoïdes à partir de simples cellules de peau. Cette perspective semble intéressante quand on sait que 10 à 15% des couples sont stériles actuellement, et potentiellement plus à l’avenir en raison de nos modes de vie. Ainsi, il serait possible d’éditer les gênes des cellules souches directement avec CRISPR et de créer un ovule ou un spermatozoïde, puis un embryon viable de façon totalement artificielle.

Selon le Professeur David Sinclair (biologiste à Harvard), même s’il s’agit encore d’expérimentations, ce n’est qu’une question de temps avant que cette technique devienne une réalité. Elle permettra à des femmes et des hommes infertiles de produire tout de même des gamètes à partir de leurs propres cellules souches, et donc de leur ADN. Il sera alors possible de concevoir à deux malgré l’infertilité, chose qui n’est pas possible avec une PMA ou GPA actuellement, celles-ci nécessitant une troisième personne dans l’équation. A ce jour, des scientifiques chinois ont déjà réalisé des tests sur des rats et ceux-ci semblaient concluants.

L’humain augmenté dès la naissance

  • Les bébés « sur mesure » : quand la réalité dépasse la fiction

Au-delà de supprimer des maladies, ces innovations permettraient probablement à terme de créer des bébés plus sains et plus résistants… Plus intelligents peut être ? Dans cette hypothèse, Bienvenue à Gattaca, ce film illustrant les conséquences sur la société d’un programme eugénique normalisé, ne serait plus une fiction et les « bébés sur mesure » deviendraient alors une réalité. Dans son livre La Guerre des Intelligences, le docteur Laurent Alexandre soulevait déjà les conséquences du « dopage du QI » grâce à la science et les problématiques engendrées par cette avancée.

A long terme, il semblerait donc que ce type de technologies puisse contribuer à l’augmentation humaine via des manipulations génétiques. En réalité, il existe déjà une liste de gênes qui permettent, quand une personne en est dotée, d’avoir des qualités et une résistance extraordinaire contre les maladies (comme la maladie d’Alzheimer), des os plus forts ou encore un cœur à toute épreuve. Il deviendrait ainsi possible d’installer, sur demande, ces gênes qui offriraient une meilleure protection contre les infections et les effets du vieillissement. Mais le problème principal réside dans l’absence totale de consentement de ces enfants à naître. Ils deviendraient ainsi de réels sujets d’expérimentations, et leur conception deviendrait un processus entièrement médicalisé et ultra contrôlé.

De plus, il est déjà possible de tester l’ADN d’embryons dans le cadre de FIV via un séquençage d’ADN (ou diagnostic préimplantatoire) et de sélectionner les gamètes les plus saines, notamment quand le futur parent est porteur d’une maladie. L’utilisation systématique d’un tel procédé permettrait à long terme d’améliorer grandement les capacités cognitives des individus et, sur plusieurs générations, le QI de façon impressionnante. Ce processus de sélection est donc déjà bien réel et banalisé dans certaines cliniques tournées vers une clientèle aisée. A l’avenir, il se généralisera très probablement, même s’il s’agit d’une pratique eugénique, mal perçue par de nombreux médecins. A terme ceux qui refusent d’y avoir recours pourraient être marginalisés, le hasard dans la conception constituerait alors un risque.

  • Une révolution nécessaire mais réservée à l’élite ?

Une autre question, toute aussi inquiétante, se pose : Face au raz de marée que constitue l’Intelligence Artificielle, ne faut-il pas aussi miser sur les modifications génétiques pour améliorer l’humain, au risque de devenir substituable ? Si l’IA s’invite dans le processus de sélection naturelle, il faudra probablement gommer nos imperfections pour évoluer avec cette nouvelle forme d’intelligence. A terme ces évolutions scientifiques pourraient donc s’avérer plus que nécessaires.

Mais qu’en est-il de ces avancées si seulement les plus riches y ont accès ? Actuellement, une FIV aux USA coute 20 000$. En ajoutant des tests génétiques voire une GPA, le prix dépasse rapidement les 100 000$. Certains imaginent déjà le fossé qui pourrait se créer entre les classes aisées et augmentées et celles ne pouvant se payer de telles évolutions. Cependant, notons que toute découverte scientifique se démocratise à terme (notamment car les brevets sont limités dans le temps). Ces manipulations pourraient donc devenir des processus généralisés si elles se développent réellement, tout le monde en bénéficierait alors.

A terme, la création d’enfants augmentés semble tout à fait possible, même imminente à en croire certains scientifiques. Cependant, les questions d’éthique prennent clairement le dessus sur le débat, et à raison.

La science rattrapée par l’éthique : Un frein justifié

Une douzaine de pays (dont la France) ont totalement banni l’ingénierie sur les cellules souches. D’autre part, le Conseil de l’Europe (via la Convention sur les Droits de l’Homme et la Biomédecine) considère qu’altérer le génome serait un crime contre la dignité humaine et les droits de l’homme.

Aussi, de nombreux scientifiques renommés sont inquiets et ont réclamé l’ouverture d’un sérieux débat sur le CRISPR et son utilisation. Pour The American Medical Association, l’ingénierie sur la lignée germinale ne doit pas être envisagée à ce jour. Elle risque en effet d’affecter la santé des générations futures et pourrait causer des résultats imprévisibles et irréversibles. Actuellement, il est impossible de connaître les effets de cette technologie sur le long terme, et les scientifiques pourraient rapidement en perdre la maîtrise. D’ailleurs on évoque déjà, à propos des naissances en Chine, des mutations inattendues du génome… Preuves que le contrôle de cette technologie est loin d’être total. Mais beaucoup estiment, en faisant le contrepoids risques/profits, que cette possibilité de corriger des pathologies importantes vaut le risque encouru.

Actuellement, la notion d’ingénierie sur des futurs bébés ne convainc pas une majeure de la population. La science n’étant pas assez rassurante à ce propos, on remarque une réticence générale envers ces avancées.

L’utilisation d’une telle technologie doit manifestement être placée entre de bonnes mains. La science, aussi perfectionnée soit elle, ne pourra pas avancer sans être rattrapée par les questions éthiques et juridiques.

 

Chloé Louis

 

Sources :

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