Le streaming : bouleversement du paysage télévisuel 

Le marché du streaming est en plein essor en France et partout dans le monde.

Photo de Tumisu pour Pixabay.com

 

À l’occasion d’une conférence privée de l’Université TF1, Rémi Tereszkiewicz, Directeur Général chez BetaSeries, a dressé un bilan sur le paysage télévisuel. Ce dernier ne fait pas office d’exception : à l’heure où le numérique impacte toutes les sphères de la société, le paysage télévisuel est lui-même chamboulé. Aujourd’hui plus que jamais, une véritable révolution du streaming est en marche. Alors risque ou opportunité pour la télévision ? 

 

Rencontre avec Rémi Tereszkiewicz, Directeur Général chez BetaSeries et spécialiste du streaming 

Chaque semaine, l’Université TF1 propose à l’ensemble de ses collaborateurs « 1h avec », une rencontre en ligne avec des professionnels des médias. L’occasion de débattre sur des thématiques liées à l’univers médiatique et d’en apprendre davantage sur son fonctionnement. Rémi Tereszkiewicz a répondu présent à l’invitation de l’Université TF1 afin d’échanger sur le streaming, au cœur de son métier. Depuis 2019, ce spécialiste en marketing des médias et stratégie audiovisuelle est Directeur Général chez BetaSeries. 

Rappelons que BetaSeries est une plateforme qui recense des milliers de vidéos. Elle a pour vocation d’aider les sériesphiles à trouver le prochain programme à regarder. C’est aussi une plateforme B2B : elle fournit aux industries médiatiques des datas propres aux usages de consommation des utilisateurs.

 

Mutation du marché de l’audiovisuel 

Le marché de l’audiovisuel ne fait pas exception : comme tous les autres pans de la société, il est lourdement impacté par la présence d’Internet. Le streaming en est la parfaite illustration. Chaque année, nous perdons en téléspectateurs pour gagner en internautes. Prenons l’exemple des États-Unis. Si en 2018 les Américains passaient en moyenne 3h48 quotidiennes devant la télévision pour seulement 1h31 devant des programmes en streaming, en ce début d’année 2022, ils passent encore 3h07 devant la télévision mais désormais 2h24 devant les programmes en streaming (Source : eMarketers). Le marché de la télévision est donc en pleine mutation. Nous passons d’une consommation télévisuelle à une consommation vidéo, nous assure l’expert en stratégie audiovisuelle. Et cette mutation, tout logiquement, est accompagnée de nouveaux usages vidéos. Le téléspectateur devient un véritable internaute, multitâches et davantage individualiste. La télévision ne se regarde plus en famille, mais bel et bien de manière personnelle. C’en est aussi fini de la télévision linéaire. Elle se regarde de moins en moins en direct, à l’heure de diffusion antenne des programmes par les groupes chaînes.

 

De nouvelles offres streaming pour répondre à de nouveaux usages

Face au bouleversement des usages et de la demande croissante, de plus en plus d’offres OTT (ou streamers) font leur entrée sur le marché de la télévision. L’OTT, pour Over The Top, correspond à une offre de contenus et de services proposée via Internet à titre payant ou gratuit, sur laquelle le fournisseur d’accès à Internet n’a aucun contrôle, contrairement à ses services dits « opérés ». L’OTT regroupe divers modèles, dont la VOD (Video On Demand), la TVOD (location et achat de vidéos), la SVOD (contenu illimité par abonnement) et l’AVOD (télévision de rattrapage, aussi appelée « catch-up »), qu’elles soient « pure player », c’est-à-dire disponibles uniquement sur le web, ou pas. Les plateformes de SVOD sont les plus matures et les plus importantes sur le marché actuel. Sur le dernier trimestre 2021, la TV linéaire ne rassemblait que 53% (contre 72% au premier trimestre 2017) des téléspectateurs français, tandis que l’autre moitié faisait appel aux services OTT. La SVOD attirait 16% des téléspectateurs sur ce dernier trimestre 2021, contre seulement 5%, 4 ans plus tôt (Source : Statista). 

Notons que cette mutation du marché de la télévision ne touche pas toute la population de la même manière. En effet, nous explique Rémi Tereszkiewicz, elle est très générationnelle : si seuls 29% des 15-24 ans regardent la télévision en 2021, ils restent 94% des plus de 50 ans à la regarder (Source : INPTV). 

Le streaming : d’un duopole à un marché segmenté 

Segmentation du marché

Ces nouveaux streamers, qui sont-ils ? Au départ, c’est Netflix qui détient le monopole de la SVOD. Il est très vite rejoint par Apple et Amazon, avec « Prime », puis Facebook Watch. Les GAFAN sont alors les premiers streamers. Ils proposent des contenus aux États-Unis au départ, puis se développent dans le monde entier. En 2014, c’est le début de « l’aventure » en France. Très vite, ces GAFAN, qui achetaient quantité de vidéos aux studios, se mettent à produire leurs propres contenus. Pour faire face à cette concurrence croissante, les studios entrent aussi sur le marché des streamers. Citons par exemple Disney+, Universal ou HBO Max. Ces acteurs mondiaux se mettent à diffuser et présenter leurs offres sur l’ensemble des territoires. Tout cela a pour conséquence de faire réagir les « Pay TV », qui, elles aussi, veulent leur part du gâteau : c’est au tour de Canal+ et OCS, entre autres, de proposer leurs offres OTT. Les derniers entrants sont les télévisions gratuites : elles n’ont d’autre choix que de se faire une place sur le marché pour faire face à une concurrence rude qui grignote chaque année un peu plus dans les parts d’audience. Les grands groupes, comme TF1, M6 ou France TV, s’allient dans une approche « consortium » et proposent des alternatives aux GAFAN. En France, Salto voit le jour en octobre 2020. 

Multiplication des acteurs et taux de « churn »

Comme nous l’explique le professionnel des médias, le marché devient de plus en plus complexe : il est « segmenté, voire fragmenté » nous dit-il. Il reste dominé, à travers le monde, par les acteurs américains, à savoir Netflix, Amazon Prime et Disney+. Malgré tout, les autres acteurs restent puissants, et gagnent chaque année de nouveaux clients, face à la télévision linéaire, qui, elle, en perd. Aujourd’hui, face à la concurrence grandissante, et au nombre d’acteurs sur le marché toujours plus nombreux, le véritable problème rencontré est celui de la fidélisation du client. Il faut à tout prix diminuer le taux de « churn », c’est-à-dire le taux de perte d’abonnés. Pour cela, les plateformes mettent en place des stratégies marketing de rétention d’audience qui placent le client au cœur de toutes leurs préoccupations. 

Le streaming : une offre « user centric » 

« The client is king »

Les streamers ont pour préoccupation majeure de mettre le client au cœur de leur activité. Face aux usages des consommateurs, les plateformes OTT s’adaptent et contre-attaquent en anticipant la demande. Le modèle économique des plateformes de SVOD repose sur l’acquisition, la monétisation (ARPU) mais aussi la rétention (évaluer le churn, ou taux de départ) d’audience. Tout est construit autour des usages : simplicité, rapidité, contenu ciblé. Pour cela, les streamers utilisent beaucoup la data : ils analysent pour construire de nouvelles offres, pour segmenter. Toutes leurs nouveauté sont testées par le biais de l’A/B Testing, afin d’être validées, affinées ou invalidées. Le prix et le catalogue sont plus ou moins adaptés aux pays. Dernière caractéristique, ces GAFAN ont construit des offres « (g)locales ». Ce sont des contenus qui vont plaire aux locaux, tout en pouvant voyager facilement à l’international. C’est le cas des séries « La Casa de Papel », « Lupin » ou « Squid Game » par exemple. Les contenus sont de moins en moins américanisés et de plus en plus internationaux. 

Le rôle des séries dans le marché du streaming

Les séries sont un véritable levier stratégique insiste Rémi Tereszkiewicz. Elles s’imposent comme véritables « marques » et attirent de nouveaux abonnés, dans le temps. C’est donc un levier de rétention fort grâce à la logique d’épisodes. Malgré tout, le contenu reste éclaté sur de nombreux genres, ce qui permet évidemment de toucher toutes les cibles.

Essor du streaming : et la télévision dans tout ça ? 

La télévision a un rôle à jouer, explique l’expert en médias. Les nouveaux acteurs se substituant de plus en plus à la télévision, elle doit elle aussi maîtriser les méthodes du digital, afin de récupérer les audiences. Il s’agit pour les chaines de construire de nouvelles audiences digitales par le biais des réseaux OTT. Autre élément indispensable : la publicité. Il faut la rendre au maximum « digital compatible » en lui donnant des indicateurs de performance (comme le ferait Google avec le taux de clic) et une plus grande personnalisation. Pourtant, la télévision reste très « branding ». En réussissant ce challenge de rendre la publicité davantage « digital compatible », la télévision pourrait faire de la performance, à l’image des GAFAN. Elle apporterait en plus le « reach massif » et les impacts « branding » qu’Internet n’a pas. 

Autre enjeu, et pas des moindres : sécuriser les contenus et tenter de produire au maximum en interne. Ainsi, les chaines sont certaines de pouvoir accéder au contenu, et de proposer de la vidéo de qualité, qui plaira à ses cibles. Pour cela, face aux coûts exorbitants et à la concurrence rude, les acteurs doivent se regrouper sous forme d’alliances pour créer de manière quantitative. 

 

Conclusion 

« Où on veut est quand on veut » est le nouveau credo des téléspectateurs… Face aux usages qui changent, les réseaux OTT gagnent chaque année en audience aux dépens de la télévision. Si cette dernière a encore de beaux jours devant elle tant elle est ancrée socialement, on peut craindre qu’avec la disparition des anciennes générations, cette « tradition » peine à se pérenniser. C’est pourquoi il est aujourd’hui indispensable que la télévision se réinvente, en empruntant aux géants du streaming : la digitalisation semble être son seul Salut possible…