Neuromarketing : un alliage prometteur ?

Générer du désir et de l’envie pour des produits dont nous n’avons pas toujours besoin, tel est l’objectif de la publicité et du marketing.  A l’heure du 21ème siècle, les grandes marques s’appuient sur la recherche en neurosciences pour comprendre le fonctionnement de nos cerveaux.  Grâce à l’imagerie médicale, les différents stimuli provoqués par une publicité sont analysés. Les marques peuvent ainsi nous amener à prendre des décisions d’achat sans même que nous en ayons conscience. Ainsi, après le  « marketing sensoriel » ou encore le « dopamine marketing»,  la discipline en vogue, devenue aussi incontournable que tabou pour les grandes entreprises, se nomme le neuromarketing.

Pourquoi le neuromarketing est-il autant plébiscité ?

L’idée que nos décisions sont la plupart du temps conscientes et rationnelles serait fausse.  Des neuroscientifiques ont démontré que 95% des activités cognitives étaient très rapides et inconscientes.

D’autre part, en période de tension, les émotions assureraient la survie, en étouffant temporairement nos capacités de raisonnement. Dans son ouvrage « Homo Sapiens, 300 000 ans d’expérience client », Marc van Rymenant indique que 80% de nos décisions sont basées sur des stimuli d’ordre émotionnel.

« Nous ne sommes pas des machines logiques avec des émotions »

« Nous sommes des machines émotives, qui parfois sont logiques »

Professeur Antonio R. Damasio

Alors comment fonctionne notre cerveau ?

Paul Donald Maclean, neurobiologiste américain, est le premier à avoir énoncé dans les années 50, l’existence d’un cerveau trinitaire c’est à dire composé de trois parties. Ces 3 parties correspondraient à trois étapes de l’évolution.

Le cerveau reptilien

Le cerveau reptilien, le plus ancien, serait à priori celui que le neuromarketing cherche à adresser. Il daterait d’environ 500 millions d’années. Son rôle serait de maintenir les fonctions vitales de l’homéostasie nécessaires à la survie de l’organisme. Respiration, déglutition, digestion, régulation du rythme cardiaque et de la température, reproduction seraient les préoccupations principales de ce cerveau primitif à l’origine de comportements reflexes. Ce cerveau instinctif est également qualifié de pré-verbial car il ne comprend pas les mots ni le langage.

Le cerveau limbique

Le second cerveau dit intermédiaire est le système limbique. Ce cerveau aurait environ 60 millions d’années. Il gèrerait des fonctions plus complexes liées à la mémorisation non consciente de toutes nos expériences. Il serait le siège de nos émotions. Son rôle ? Mémoriser nos actions afin de reproduire les comportements agréables et d’éviter les comportements désagréables.

Le Néocortex

Le Néocortex serait le cerveau à la base de la réflexion. Il est également appelé cerveau logique car il nous donnerait la faculté de penser de façon rationnelle et analytique. Il serait également en charge du langage.

Notre croyance selon laquelle toutes nos décisions passeraient par le filtre du néocortex serait-elle erronée ?

Les deux cerveaux qui nous contrôleraient véritablement seraient en fait le cerveau reptilien et le cerveau limbique. Le néocortex est le cerveau le plus évolué mais c’est également le cerveau qui traite l’information le plus lentement. En cas de conflits entre les différents cerveaux ou en cas de situation de stress, le reptilien et le limbique prendraient le dessus. Nous serions donc majoritairement irrationnels. Raison pour laquelle, les études marketing traditionnelles qualitatives ou quantitatives seraient peu fiables car basées sur du déclaratif. La majorité des gens ne feraient pas ce qu’ils disent simplement car ils ne seraient pas conscients de toutes les décisions qu’ils prennent au moment d’acheter.

Dans ce paradigme, il est aisé de comprendre l’engouement frénétique des marques pour le neuromarketing.

Quand est né le neuromarketing ?

Les premières études de neuromarketing remontent aux années 1970 aux Etats-Unis.

A l’époque, les chercheurs ont juste constaté, grâce à des Electro Encéphalographies (E.E.G), que les publicités les mieux mémorisées étaient celles qui généraient le plus d’activités cérébrales.

Le terme neuromarketing a réellement fait son apparition en 2004

Comment ? Suite aux recherches effectuées par le neurologue américain Lead Montague, sur les réactions du cerveau humain face aux influences des marques.

Cette expérience célèbre visait à comparer les réactions de 67 personnes vis à vis des marques Pepsi et Coca Cola. Les testeurs ont ainsi procédé à une dégustation à l’aveugle suivie d’une dégustation où seule la marque Pepsi ou Coca était dévoilée puis d’une dégustation où les deux marques étaient affichées. Les images sur l’IRM ont montré une forte activation du « putamen », la région primitive du cerveau qui réagit au plaisir immédiat, pour le Pepsi lorsque les individus dégustaient à l’aveugle. Dans cette configuration, 50% des testeurs ont d’ailleurs assuré préférer Pepsi. En revanche, lorsque les marques ont été dévoilées, le « putamen » précédemment activé ne s’activait plus. 75% des testeurs ont alors attribué leur préférence à la marque Coca Cola. L’étude a ainsi démontré que la préférence allait davantage à la marque que l’on pensait goûter plutôt qu’au goût.

Quels sont les outils utilisés par le neuromarketing ?

Les mesures centrales ou cérébrales

Elles se font par le biais de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf) qui permet une visualisation des organes ou bien par le biais de l’électro-encéphalographie (EEG) qui mesure l’activité électrique du cerveau.

Les mesures périphériques ou physiologiques

Elles font appel à plusieurs techniques :

  • L’oculométrie (ou eye-tracking) qui permet d’observer le mouvement des yeux et de repérer les zones qui attirent l’attention.
  • L’analyse faciale qui observe les micro-expressions du visage, brèves et presque inconscientes.
  • L’analyse vocale qui observe le ton de la voix.
  • L’électromyographie (EMG) qui quantifie l’activité musculaire.
  • L’électrocardiographie (ECG) qui mesure l’activité électrique du cœur et permet de jauger du degré d’attention.
  • L’activité électrodermale (GSR) qui mesure la variation de sudation de la peau, réaction involontaire permettant de percevoir les changements dans les signaux d’excitation émotionnelle.

Quelques enseignements marketing validés par les neurosciences ?

Le contraste

Le cerveau reptilien était habitué à survivre dans des milieux hostiles, dans lesquels il guettait la proie ou le prédateur, il est ainsi très sensible au contraste.

Un contraste visuel, comme un logo aux couleurs très vives sur un fonds sombre ou un contraste sémantique, tel un slogan arguant un petit effort pour un grand bénéfice sont des atouts marketing qui influencent  le cerveau reptilien.

L’effet rareté

La peur de perdre ou de manquer est largement exploitée en marketing, principalement sur les sites  e-commerce. Là encore, c’est l’instinct de survie du cerveau reptilien qui est sollicité. La création d’un sentiment d’urgence via des offres et promotions à durée limitée, l’affichage des stocks, des comptes à rebours sur les pages de produits, des produits vendus en quantités limitées est devenue pratique courante. Qui n’a jamais cédé aux incitations du célèbre site de réservation ?  « X personnes regardent la page de cet hôtel » ; « Forte demande » ; ou encore « Plus qu’une chambre disponible dans cet établissement ». Soyons honnêtes, sur le moment, nous marchons et souvent nous craquons.

L’émotion

En ce qui concerne le dialogue avec le cerveau limbique, il suffit de faire vibrer la corde des émotions. Et de préférence, pour que l’expérience soit bien imprégnée dans la mémoire, les émotions doivent varier sur  la durée. Or, pour ce faire, rien de plus puissant que les histoires. Les récits restent en tête et créent des émotions!

Que représente ce marché aujourd’hui ?

Il y aurait près de 90 laboratoires privés de neurosciences ayant des contrats avec des groupes industriels pour mener des études. Ainsi que 100 cabinets de conseil en neuromarketing au niveau mondial. Selon un rapport publié par Businesswire, la valeur du marché des solutions de neuromarketing s’élevait à 1200 Millions de dollars en 2020. Elle est attendue à 2200 millions de dollars en 2027 soit un taux de croissance annualisé de 8,8% sur la période. Le marché des solutions d’imagerie médicale par IRMf devrait avoisiner 1000 millions de dollars en 2027 soit près de la moitié du marché global. Les pays susceptibles d’enregistrer les taux de croissance les plus forts sur ce marché sont les Etats-Unis, suivis de la Chine, du Japon et du Canada.

Quelles sont les limites du neuromarketing ?

Le coût

Les études en neuromarketing restent onéreuses même si la technologie a permis une  réduction des coûts sur la dernière décennie. Les machines d’IRMf les plus performantes peuvent coûter jusqu’à 5 millions de dollars. Quant au  budget d’une étude par IRMf pour un échantillon de 20 personnes, il peut excéder 10 000 dollars. Sachant qu’un coefficient multiplicateur est souvent nécessaire pour obtenir un échantillon significatif, le neuromarketing reste l’apanage des entreprises à gros budgets.

Les biais et la fiabilité

Le neuromarketing n’est pas une science exacte. Des tests sur un nombre limité d’individus ayant conscience d’être des cobayes ne permettront jamais d’avoir une vision claire de la pensée des consommateurs au moment de l’acte d’achat.

D’autre part, selon Craig Bennet, de l’université de Santa Barbara en Californie, l’IRMf engendrerait des « faux positifs » qui invalideraient une bonne partie des résultats. Il s’agit du fameux test du « saumon mort ».

L’éthique

En France, sur le plan juridique, l’article 16-14 du code civil interdit l’utilisation de scanners et d’IRM à des fins commerciales. Le monde médical français s’accommode mal du neuromarketing, antagoniste au serment d’Hippocrate. La parade des grands groupes est donc d’externaliser leurs études à l’étranger en insistant sur l’aspect expérimental de leur pratique.

Un neuromarketing éthique est-il concevable ?

La frontière entre la mesure des réactions des consommateurs et une tentative d’influence sur son comportement est difficile à délimiter. Pour ses détracteurs, le neuromarketing est une technique de manipulation inhibant le libre arbitre. Les entreprises ne laisseraient ainsi plus beaucoup de chances au consommateur de procéder à un choix conscient. Pour ses défenseurs, le neuromarketing corrobore uniquement des faits déjà mis en lumière par les sciences du comportement.  Selon Olivier Droulers, neuroscientifique français, « les techniques de vente visant à manipuler le consommateur  en lui faisant adopter des décisions d’achat qu’il ne voulait pas prendre existaient bien avant l’imagerie cérébrale ».

Que cette pratique soit autorisée ou non, aucune marque ne reconnaît utiliser les neurosciences car cela fait évidemment mauvaise presse. Ce déni est clairement mis en lumière dans l’enquête de Cash Investigation réalisée en 2012 « Votre cerveau les intéresse ».

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Vers une éthique de transparence ?

Mais puisque la plupart des grandes marques ont recours à cette pratique dans l’illégalité en France et dans le déni partout ailleurs, ne serait-il pas plus éthique, plutôt que d’interdire, d’imposer une transparence sur les méthodes des entreprises ?

Il s’agirait finalement de jouer le jeu en symétrie d’informations.

En mettant en lumière les mécanismes qui nous poussent à acheter, est-ce que le neuromarketing sonnerait le glas ? Est-il légitime de penser que plus nous percevons les mécanismes inconscients qui nous poussent à consommer, moins les techniques de marketing opèrent sur nous ?

Seule l’expérimentation de terrain nous le dira.