Les médias face à la révolution numérique

Le vendredi 9 décembre se tenait une conférence organisée par Bycome sur le thème des médias et de leur regard sur le monde numérique. Des journalistes de TF1/LCI (Lauren Malka, auteur de Les journalistes se slashent pour mourir), France Info (Antoine Bayet, directeur de l’information numérique) et du Monde (Jean-Guillaume Santi, responsable de Snapchat Discover) témoignaient de leurs espoirs. Tous racontent l’histoire d’une presse qui court après un monde qu’elle ne comprend plus toujours. D’une presse qui cherche à se réinventer et ne pourra survivre qu’en renouant avec ses valeurs fondamentales : investigation, singularité et éthique.

Long live the print

Nous sommes en 2016 et la presse papier existe toujours, bonsoir. Les plus téméraires osent même lancer de nouveaux projets. Lauren Malka cite ainsi l’exemple de Transfuges, magazine culturel qui vient de fêter son centième numéro et tire à 60 000 exemplaires tandis que la réduction des ventes du Canard Enchaîné s’est inversée ces dernières années après une chute brutale. Antoine Bayet relève d’ailleurs que les brèves historiques de la page 2 d’environ 300 à 400 signes trouvent un écho amusant avec les tweets de 140 caractères. Plusieurs exemples de succès de lancements récents auraient pu être cités lors de cette table-ronde, notamment ceux de Frank Annese avec So Foot et ses déclinaisons (So Film, etc.). La presse papier peut encore conquérir des niches comme le rappelle Antoine Bayet. Il résume de façon limpide la nouvelle problématique de la presse papier , il s’agit moins d’une question de support que de modèle économique et publicitaire.

France Info réinvente la radio

La radio du service public s’est décidée à embrasser la révolution numérique face à la montée en puissance sur le web de quelques géants du print comme Le Monde et Le Figaro. Ces derniers possèdent des rédactions capables de produire pour le print 200 à 300 articles quotidien quand la radio publique n’en écrit par essence aucun. Le défi de la numérisation était donc de taille. La solution ? Se lancer dans une véritable révolution culturelle. France Info abandonne l’idée du streaming de flux MP3 non ergonomiques et peu partagés pour se lancer dans le MP4, un format vidéo mieux adapté à la circulation de l’information sur les réseaux sociaux. L’objectif initial est alors d’installer la radio sur le web pour passer d’un format VOD diffusant les 3 à 4 grands événements du jour à la demande, à un flux continu en direct délinéarisé qui offre une deuxième vie aux contenus radio. La captation vidéo de l’antenne est lancée en un temps record avec des moyens limités, puis un bandeau d’infos Twitter s’invite au bas de l’écran. Depuis, France Info s’est allié à France Télévisions pour lancer une chaîne TV et vient de créer un chatbot d’alertes infos http://m.me/franceinfo.

Bad news pour les hard news

Il n’a jamais été aussi difficile d’être journaliste d’actu chaude, constate Antoine Bayet. La révolution numérique entraîne en effet la révolution des sources. Fini l’AFP-dépendance, place à la multiplicité numérique des sources. Pire encore pour la presse, certains personnages médiatiques deviennent leur propre média, imités par de nombreuses institutions et entreprises. Comment survivre face à cette concurrence ? Il faut en revenir aux fondamentaux du métier : savoir distinguer et trouver l’information, faire de la veille y compris sur les réseaux sociaux, vérifier, recouper, contextualiser, s’engager sur la fiabilité des informations. Ce qui s’apparente pour certains à un changement de méthode journalistique ressemble plutôt à un recentrage du métier. Les médias qui s’engagent dans la bataille du hard news en temps réel sont observés avec amusement voire dédain par ceux qui s’y refusent.  A un membre de l’assistance qui évoque la notion de « circulation circulaire de l’information » de Bourdieu, Lauren Malka exprime ce qui relève selon elle d’une « absurdité grotesque et vaine de surenchère d’informations identiques toutes lancées aux mêmes moments. »

On se fait bousculer avec le numérique donc c’est drôle. Mes étudiants m’ont expliqué Snapchat” – Antoine Bayet de France Info

Prime à la singularité des médias

Très clairvoyant, Antoine Bayet estime qu’Internet serait fondamentalement porteur de singularité pour la presse numérique. Les non journalistes s’autorisent originalité de traitement et de ton, trouvant ainsi une large audience. La presse doit donc se réapproprier l’espace médiatique et ne pas hésiter à s’affranchir des algorithmes tyranniques de Google. Le Lab d’Europe 1 avait choisi de miser sur Facebook et la viralité, donc de se concentrer sur l’utilisateur. Il a rapidement trouvé son public et touché des influenceurs comme Humour de droite.

Rester fidèle à sa marque, même sur Snapchat

Cet été Le Monde a tenté le pari Snapchat, une “belle surprise” et un “beau succès” d’audience selon Jean-Guillaume Santi. Le format, vertical avec des loop toutes les 10 secondes, est imposé par Snapchat. Pour s’adapter, Le Monde a monté une équipe constituée de deux rédacteurs-éditeurs, deux vidéastes et deux motion designers. Tous ont appris à travailler en équipe et adopter un regard technique pour les uns, éditorial pour les autres, une réussite peu courante dans le milieu. La majorité des articles est réécrite par les éditeurs pour être adaptée à la cible Snapchat, et ça fonctionne. 200 000 personnes lisent ces contenus chaque jour et 40% des visiteurs iraient au bout de l’édition Snapchat du Monde, avec parfois une moyenne de consultation d’une minute pleine sur des sujets aussi pointus que la crise au Yemen. La clé de ce succès ? Rester fidèle à sa marque et sa ligne éditoriale.

Quel futur post-révolution ?

Cette conférence aura apporté quelques belles lueurs d’espoir pour la presse. De vieux médias poussiéreux démontrent que survivre à cette révolution est possible et l’embrasser peut même conduire à de beaux succès. En face, des profils plus entrepreneurs et créatifs voire engagés ont envie de réinventer la presse et apportent un renouveau bienvenu (citons notamment l’excellent site LesJours qui redonne du sens à l’information, l’initiative de Brut sur Facebook et YouTube, ou encore Bycome qui au-delà d’un média se veut un écosystème d’échanges et de pédagogie). La question du business model reste cependant, et éternellement, en suspens. France Info ne vit pas les réseaux sociaux comme une contrainte ou un frein publicitaire en raison de son statut de service public, mais les autres groupes de presse ne peuvent négliger le besoin de profitabilité pour maintenir et développer leur activité. De son côté, le groupe Le Monde reste dans une situation économique difficile et le titre ne récolte que 50% des maigres recettes publicitaires Snapchat. Si le présent porte quelques motifs d’espoir pour les médias qui relèvent le défi du numérique, l’avenir reste encore à écrire.