Les tendances de l’IA en matière de recrutement

« Si t’es pas sur Linkedin, tu es mort ! »

Toujours dans la lignée de ma thèse sur : « comment le digital peut favoriser un accompagnement 360 et plus humain du demandeur d’emploi », découvrez l’interview « sans filtre » d’Arnault Chatel. Evangéliste en intelligence artificielle et responsable pédagogique du MBA Marketing Digital & Business, il nous livre sa vision des tendances de l’IA en matière de recrutement.

FF : « On entend beaucoup parler d’IA et de plus en plus en matière de recrutement, sans savoir véritablement de quoi il s’agit vraiment. Pourrais-tu nous donner ta définition « vulgarisée » de l’IA ? »

AC : « L’IA ou les algorithmes ne sont pas comme un programme informatique que tu codes. C’est un programme que tu éduques. Et pour l’éduquer, tu as besoin d’une matière première : la data. Le fait que l’on puisse éduquer ces algorithmes avec des quantités astronomiques de données, leur permet de réaliser certaines actions beaucoup mieux que les êtres humains.

L’IA, par exemple, va permettre de diagnostiquer un cancer beaucoup mieux qu’un être humain. Elle va également être capable de conduire une voiture jusqu’à 40 km en toute autonomie, faire de la comptabilité etc… Cependant, si on devait comparer l’intelligence de l’IA avec l’intelligence humaine, son QI serait plus proche de celui d’un rat car il faut tout lui apprendre.

En revanche, sur des problématiques verticales (où il n’y a pas de transversalité), elle est capable de faire mieux que nous. Elle est imbattable ! Prenons l’exemple d’une voiture UBER qui génère 7 OOO milliards d’octets de datas par jour. Un marketeur n’aurait pas assez d’une vie pour analyser ces données. La complémentarité homme-machine est donc bénéfique.

L’objectif de l’IA et de nous faire devenir des « marketeurs sous stéroïdes ». L’équation IA + humain doit être supérieure à IA seule car si ce n’est pas le cas, nous n’aurons alors plus besoin de l’humain.

Souvenez-vous, AlphaGo est le programme d’intelligence artificielle développé par la société britannique DeepMind (acquise en 2014 par Google). Il avait battu le meilleur joueur mondial de jeu de Go en 2017. Ce qui était impressionnant, au-delà du fait que l’IA batte le champion de Go, c’était de voir la réaction des ingénieurs Google et des spécialistes chinois du jeu de Go. Ils étaient tous abasourdis par les stratégies mises en place par l’IA et auxquelles eux-mêmes ne croyaient pas.

L’avantage de l’IA est qu’elle est totalement vierge. Elle ne possède aucun biais lié à l’expérience comme l’humain peut en accumuler avec l’âge et au fil de l’expérience. Son seul objectif est l’atteinte du résultat.

Le jeu de Go originaire de Chine

En tant que marketeur, les apports de l’IA sur des problématiques liées à la publicité par exemple sont intéressantes. Quand on laissera faire l’IA, elle sera peut-être à même de mettre en œuvre des campagnes qui nous sembleront totalement farfelues mais très performantes. Tout simplement parce qu’elle sera capable de penser à de multiples scénarios auxquels nous n’aurions pas pensé.

Si je transpose cela aux Ressources Humaines. Prenons le cas des grands groupes du CAC 40 et du nombre impressionnant de CV qui leur sont envoyés quotidiennement. Il n’est pas humainement possible de les traiter. C’est dans ce cadre que les algorithmes et les technologies de « screening » de CV vont être complémentaires au DRH. Ces technologies sont aujourd’hui capables d’analyser l’ensemble des informations offline et online relatives à un candidat.

C’est en cela que la notion de « Personal Branding » est si importante car nous sommes aujourd’hui tous « scorés », notamment via le fameux score SSI (« Social Selling Index ») de Linkedin. Cependant, une des problématiques de recrutement liée à l’IA réside dans le fait qu’elle doit être « éduquée ». Pour cela, il faut donc lui communiquer la donnée la plus juste.

Un des écueils a été largement médiatisé il y a quelques années alors que l’algorithme d’un grand groupe s’était basé sur les données de ses propres collaborateurs. Elle avait donc totalement exclu les femmes ou encore certains profils ethniques.

C’est pourquoi, il me semble que les femmes ont une responsabilité énorme, notamment dans le secteur de la Tech, qui reste aujourd’hui beaucoup trop masculin. L’IA possède donc de nombreux biais vis-à-vis des femmes. »

FF : « Selon toi, au-delà des technologies de screening de CV, quels sont les nouveaux outils des DRH et recruteurs ? »

AC : « Ils vont avant tout résider dans l’utilisation des réseaux sociaux. Aujourd’hui, beaucoup de grands groupes passent au screening l’ensemble des profils réseaux sociaux de leurs futurs collaborateurs potentiels. Tout cela est réalisé grâce à l’utilisation d’outils d’automatisation.

Certains experts prédisent même que d’ici quelques années, et notamment grâce à la puissance de l’intelligence artificielle et de l’analyse de la data, les entreprises pourront ainsi miser très en amont sur un futur candidat potentiel. Notamment en établissant un mapping global de ses profils réseaux sociaux, de ses compétences…afin de prédire quel salarié il sera.

D’ailleurs, aujourd’hui notre première réaction lorsque nous recevons des CV de candidats potentiels ou bien lorsque nous nous apprêtons à rencontrer une personne dans un contexte professionnel est de faire une recherche Google. Cette démarche relève déjà du bon sens et est déjà devenue une habitude.

Ces outils vont faciliter le travail du responsable RH dont le rôle humain reste important. »

FF : « Face à ces technologies d’automatisation et de screening du candidat et à l’importance du « Personal Branding », quelle part va être accordée à l’humain qui se présente face au recruteur ? Qu’est-ce qui va faire la différence et l’entretien ne sera-t-il finalement que la dernière étape de validation du recrutement ? »

AC : « L’entretien physique viendra simplement finaliser le processus de recrutement car les DRH peuvent parfois rencontrer des difficultés dans la connaissance des hard skills requises pour certains postes. Le DRH va donc fortement s’appuyer sur le relationnel et l’humain.

A mon sens, nous devrions aller encore plus loin et imaginer une fusion entre le département RH et la DSI car on ne peut pas les dissocier.

Ceci permettrait de s’appuyer sur les systèmes d’information pour établir un « mapping » des données des candidats. »

FF : « Mais alors, où va se positionner le rôle du recruteur avec toutes ces technologies ? Notamment avec la notion de « marque employeur » qui devient de plus en plus importante et encore plus dans ce contexte Post-Covid où l’on demande aux entreprises de faire la preuve de leur utilité. Comment vois-tu la place du recruteur demain ? Quelle sera sa raison d’être ? »

AC : « A mon sens, Le DRH deviendra de plus en plus responsable du bien-être au sein de l’entreprise.

Son rôle sera de veiller aux meilleurs processus de collaboration, à la création de lien entre les collaborateurs ou encore aux opportunités de développement personnel et de formation. Il aura de moins en moins la casquette de « chasseur de têtes ».

Comme la société « s’algorithmise » de plus en plus, la tâche du DRH se concentrera sur l’humain parce qu’elle ne pourra pas rivaliser avec la technologie sur l’appréciation des compétences. Elle devra se recentrer sur la part de complémentarité homme-machine. »

FF : « En ce qui concerne l’adoption des nouvelles technologies de l’IA en matière de recrutement, quel est notre niveau de maturité en France ? »

AC : « Même au sein des grandes entreprises du CAC 40, il reste encore beaucoup à faire sur l’aspect humain des ressources humaines.

Cependant, les technologies se mettent en place de plus en plus rapidement au sein de ces grands groupes.

Aujourd’hui, plus de la moitié d’entre elles exploitent ces méthodes de « screening de CV. »

screening de CV

FF : « Quelles initiatives récentes liées à l’IA et au recrutement t’interpellent ? »

AC : « Certaines transpositions sont effectivement intéressantes.

En médecine par exemple, une IA en cours de développement permettra demain de mieux diagnostiquer les tendances suicidaires qu’un psychiatre. Notamment via un scanning facial des émotions.

Demain, on peut sans doute imaginer que ces techniques soient exploitées dans le cadre du recrutement, notamment via le profilage vidéo et le scanning facial pendant un entretien.

Prenons l’exemple récent de Linkedin qui permettra prochainement aux personnes à la recherche d’un emploi de s’entraîner aux entretiens de recrutement via le réseau social.

J’y vois encore une fois une corrélation avec le score « SSI » déjà mis en place par la plateforme.

A l’avenir, ces technologies permettront sans doute de passer des entretiens en vidéo au filtre de ces techniques afin d’évaluer le candidat.

Le recrutement est un sujet sensible et stratégique et les recruteurs ne peuvent pas se permettre de se tromper. »

FF : « Pour rebondir sur les technologies, que penses-tu des investissements de la plateforme Facebook en matière de réalité virtuelle et des annonces de Marc Zuckerberg sur le fait que demain nos réseaux sociaux deviennent totalement virtuels ? Peut-on se projeter en matière de recrutement ? »

AC : « Moi qui suis un aficionado du gaming, j’ai eu l’occasion dans le passé de créer une expérience de recrutement au sein du jeu « Second Life ».

Cette initiative étant un peu trop avant-gardiste à l’époque mais je reste convaincu que demain nous aurons deux vies, une vie offline et une online. »

FF : « Enfin, pour faire le lien avec l’accompagnement du demandeur d’emploi, et au regard de la multiplicité des plateformes digitales qui peuvent être utilisées dans le parcours de recherche, quel serait ton conseil ultime envers une personne en recherche d’emploi afin qu’elle engage sa démarche de la manière la plus efficace possible ? »

AC : « Si t’es pas sur Linkedin, tu es mort !

Aujourd’hui, lorsque l’on tente d’en savoir plus sur une personne online et que l’on ne trouve rien, cela nous semble suspect. Tel est malheureusement le constat.

Il sera toujours plus attirant de recruter une personne dont la présence est visible et bien travaillée sur les réseaux sociaux.

Bien travailler son profil social media est incontournable et permet plus facilement aux candidats d’accéder à l’étape suivante du processus de recrutement.

On estime aujourd’hui que 90% des DRH et cabinets de recrutement utilisent Linkedin dans leur processus de recrutement. La plateforme est donc d’ores et déjà très intégrée aux démarches des responsables RH. »

Pour les passionnés d’IA qui souhaiteraient en apprendre davantage sur l’histoire surprenante « d’Alpha Go », c’est par ici !