Interview : Xavier Brochart, expert du Digital en Chine

1. Parlez-moi de vous. Quel est votre parcours académique et votre parcours professionnel ? 

J’ai fait une école de commerce juste après mon bac, le Cesem de Reims, qui m’a accepté pour un programme de 2 ans en France et 3 ans en Chine. Et cet échange de 3 années en Chine s’est avéré fructueux puisqu’il s’est transformé en un voyage d’une douzaine d’années. Au milieu de cette période, je suis revenu en France pour reprendre les études, un master en marketing et communication appliqué au secteur de la santé. Et c’est à ce moment-là que je me suis définitivement engagé dans le digital aussi. D’abord dans le monde des agences qui m’a permis de repartir en Chine rapidement, puis comme consultant et enseignant, 2 activités entre lesquelles je jongle aujourd’hui. 

2. Selon vous, pourquoi la Chine a toujours une longueur d’avance sur les nouvelles technologies comparé à la France ? 

Longueur d’avance, ou une approche très différente ? Tout dépend de comment nous voyons les choses. En tout cas, je vois plusieurs raisons à ces différences : un environnement « d’usine digitale du monde » qui permet aux esprits chinois les plus brillants d’expérimenter et d’innover relativement plus rapidement que dans le reste du monde, puisque toutes les capacités de production sont sur place. Et s’il y a des inventeurs motivés, il y a également des utilisateurs surmotivés (les chinois sont plus geek, je trouve, que dans la plupart des autres pays), avec une quantité d’utilisateurs très importante (la masse critique) qui s’adaptent très rapidement, et en redemandent.

Mais avoir les bons ingrédients ne suffisent pas pour faire une bonne recette. Et il y a donc une façon de gérer l’innovation en Chine qui est propre à ce pays, une capacité à gérer des bonds technologiques et les changements sociaux qui en découlent. Et pour mieux comprendre cela, je vous conseille la lecture de ce récent papier fascinant du Harvard Business Review sur le Lived Change Index (lien : https://hbr.org/2021/05/chinas-new-innovation-advantage), que l’on pourrait traduire par « indicateur de changements vécus dans sa vie » et pour lequel la Chine se retrouve en 1ère position. Il y est expliqué que les générations chinoises actuelles sont celles, dans l’histoire mondiale contemporaine, qui ont vécu le plus de changements au cours de leur vie.

En ayant vécu de nombreuses années sur place, je l’ai non seulement vu, mais je l’ai également vécu. Un exemple tout simple : en arrivant en Chine en 2002, je quitte une connexion ADSL à Reims pour un modem 56K dans ma chambre d’université de Shanghai… En redéménageant en France en 2019, mon opérateur local chinois me proposait de passer à la 5G et un forfait moins onéreux, une 5G qui commence à peine à arriver dans nos foyers français en ce moment, et pour laquelle tout le monde se pose la question ici de son utilité. Imaginez si les chinois avaient douté de l’ADSL en 2002…

Bref, si le premier grand bond en avant de 1958 avait été un échec cuisant, c’est bien un second grand bond en avant que la Chine a vécu ces dernières décennies, et de mon avis, c’est en grande partie grâce à l’essor du digital et toutes les technologies et usages associés.

3. Comment définiriez-vous la position digitale de la Chine dans la monde ? Comment imaginez-vous l’évolution digitale et e-commerce de la Chine ? 

La Chine montre définitivement un chemin, parmi de nombreux possibles, de l’évolution du digital. Et sans forcément vouloir en devenir le leader (car elle le deviendra tôt ou tard), mais surtout en menant sans cesse des nouvelles expérimentations. Le pays est un formidable laboratoire d’expériences digitales, dans lequel les laborantins n’hésitent pas à tout tester pour voir ce qui fonctionne ou pas, aussi bien des innovations technologiques, ou adapter des technologies existantes étrangères pour de nouveaux usages (exemple du QR code venu du Japon, et popularisé en Chine). 

Et nous assisterons donc à de nouvelles évolutions, de nouveaux usages, mélangeant du vieux et du neuf, pour donner vie à de nouvelles expériences. Les meilleurs exemples sont à chercher dans l’usage de la vidéo : qui aurait cru penser que YouTube serait détrôné par TikTok il y a 3 ans ? Qui s’imaginait que le livestreaming deviendrait une façon efficace de vendre en e-commerce ? À vrai dire, pas grand monde. Mais en observant ce qu’il se passait en Chine il y a 3 ans, on voyait déjà ces phénomènes prendre une ampleur considérable. Et cela continue aujourd’hui. On peut déjà prédire l’importance à venir des influenceurs, le rôle de plus en plus majeur du smartphone à chaque étape d’un parcours utilisateur, ou le design des sites e-commerce qui sera repensé en fonction non plus des photos du produit, mais de ses vidéos.

Et le véritable avantage de regarder cela depuis la France, c’est de pouvoir observer ce laboratoire chinois, et d’en tirer les enseignements nécessaires (tout ce qui vient de Chine n’est pas nécessairement faisable ou enviable) pour poursuivre une évolution digitale à notre manière. 

4. Sur quels points la France doit-elle s’améliorer en termes de digital ? 

La France a entamé un virage digital drastique depuis le milieu des années 2000-2010, avec une véritable accélération depuis 2015. Un des rares bénéfices de la crise que nous traversons est la transformation digitale à marche forcée de nos entreprises, de nos institutions, etc… Il me semble donc que les améliorations sont déjà bien engagées ! Lorsque l’on compare avec la Chine, la vraie différence se situe au niveau de la vitesse et il sera difficile de lutter sur ce point. Bref, s’il n’y avait qu’un seul point d’amélioration, de mon point de vue, ce serait une plus grande ouverture sur ce qui se passe à l’étranger, en Chine mais ailleurs également. Je suis un peu triste de voir qu’on parle de la Chine à 95% pour des sujets politiques, ou des actualités digitales mal présentées, exagérées ou en décalage avec la réalité du terrain qui est souvent fascinante. Mais heureusement, il y a quelques journalistes qui font un travail formidable sur place. Et il en faudrait dix fois plus !

5. Un conseil pour bien s’insérer sur le marché du Digital en Chine ?

Mes conseils : faites-vous votre propre Pékin Express, version digital & business pour partir à la découverte de ces nouveaux usages et de ceux qui les vivent et/ou les mettent en musique. Quel que soit votre secteur professionnel, je vous promets d’aussi belles rencontres que de riches découvertes. Et en attendant que les frontières rouvrent, aiguisez votre appétit en vous renseignant sur les sujets qui vous intéressent, vus depuis la Chine. Les sources sont multiples, et n’hésitez pas à me contacter pour vous aiguiller dans vos recherches !