Dans le cadre de la réalisation de mon mémoire portant sur l’impact de l’intelligence artificielle sur le SEA, nous sommes allés à la rencontre des professionnels du domaine afin de recolter leurs avis sur l’utilisation de l’IA dans leur quotidien et comment celle-ci a impacté leur métier.
Découvrons cela à travers cet interview avec Mai-Emma Ozanna, Responsable SEA chez Values Media.
Pouvez-vous nous présenter brièvement votre rôle et vos responsabilités dans le domaine du SEA ?
Je suis responsable du levier SEA dans l’agence Values Media et ça fait trois ans que je fais ce métier. Mon travail consiste à manager une équipe de trois personnes puis à organiser le portefeuille client, à fixer les objectifs et les budgets et faire le suivi des revenus générés par le levier. Il y a aussi toute la partie stratégique et les appels d’offres dont je m’occupe. Enfin, j’ai à mon actif des comptes dont je m’occupe des campagnes et de la relation client.
Que pensez-vous de l’IA générative ?
Avant cela, il faut déjà définir l’IA. C’est un ensemble d’outils technologiques qui permettent aux machines de se rapprocher de l’esprit humain. Et c’est important d’insister sur cette notion « de se rapprocher » car selon moi, elles ne peuvent qu’imiter le comportement humain et pas se faire passer pour un humain. Concernant les IA génératives, je pense que c’est un outil incroyable, principalement ChatGPT. J’ai commencé à l’utiliser pour des raisons personnelles et j’ai trouvé impressionnant ce qu’on pouvait avoir comme résultat.
Est-ce que vous l’utilisez au quotidien dans vos stratégies ? Si oui, comment ?
Oui, dans mon équipe, nous sommes deux à l’utiliser quotidiennement. Pour commencer, j’utilise ChatGPT pour mes traductions d’annonces en différentes langues tout en respectant le nombre de caractères imposés par les plateformes. Je l’utilise aussi pour faire des recherches de formules utiles dans mes analyses de données. De plus, ChatGPT me permet aussi de faire de la recherche de mots clés à introduire ou à exclure de mes campagnes et d’affiner mes audiences. Il peut être utile aussi pour des propositions de call to action ou des messages publicitaires.
Ce qu’il faut savoir c’est que l’intelligence artificielle est déjà intégrée dans les outils du Search mais sous le nom de machine learning. C’est ce qui permet de réaliser les optimisations des campagnes.
Quels sont les avantages que vous trouvez à l’utilisation de l’IA générative dans vos campagnes ?
Pour moi, c’est clairement la diminution de la charge de travail, car l’outil permet d’exécuter des tâches en beaucoup moins de temps qu’un humain ne l’aurait fait. Je gagne du temps sur des tâches sur lesquelles je suis déjà experte, je gagne aussi du temps sur des tâches que je maitrise moins telles que les formules Excel. Et ce temps qu’il me permet de gagner sur des tâches basiques avec moins de valeur ajoutée, je peux l’utiliser pour des tâches plus valorisantes telles que la formation de mes collaborateurs, le conseil, la stratégie ou encore la relation client. En résumé, des tâches que seuls les humains peuvent effectuer. ChatGPT, pour moi, c’est comme un stagiaire en fin d’année.
Quelles sont les limites et les défis auxquelles vous avez été confrontés ?
À mon sens, la limite réside dans le fait que l’IA ne comprenne pas ce qu’elle fait. Elle ne peut qu’imiter l’humain. Et il faudra toujours garder un certain contrôle humain pour garantir des résultats de qualité adaptés à un cas donné. Il y a des limites au niveau du machine learning intégré dans la plateforme Google Ads. Il se nourrit des informations qu’il reçoit lors de la diffusion des campagnes pour pousser les produits qui génèrent les meilleures performances.
Je prends l’exemple d’une crème solaire qui aurait bien marché lors de la diffusion d’une campagne. Le machine learning aurait tendance à pousser davantage ce produit lors d’une prochaine diffusion, même si la saisonnalité ne s’y prête pas parce qu’il n’a aucune possibilité de savoir que ça ne marchera pas parce qu’il ne fait pas beau par exemple. C’est pareil pour des textes utilisés lors des promotions en période de solde. L’algorithme saura seulement que c’est ce texte qui performe mieux et le poussera encore même après la période parce qu’il est incapable de savoir que la période de soldes est terminée. Il lui faudra toujours un temps d’adaptation de quelques jours avant de saisir les changements ayant lieu. C’est pour cette raison qu’un humain sera toujours nécessaire pour l’optimisation des campagnes.
Quel est votre avis sur Performance Max qui est totalement optimisé ?
Je suis contre le fait que Performance Max soit totalement automatisé, car non seulement, nous n’avons aucune maitrise ni contrôle des diffusions de nos annonces, des emplacements ou encore des audiences, mais en plus nous n’avons aucune visibilité de la répartition budgétaire et les données de la campagne. J’ai par exemple un client sur lequel on a rencontré un problème de brandlift. Nous avons fourni des vidéos de 10 secondes environ pour la diffusion de notre campagne Performance Max et l’algorithme a coupé les vidéos de sorte que le rendu n’était pas du tout qualitatif et nous avons dû couper la campagne.
Je pense que c’est un moyen de Google pour diffuser sur des emplacements moins utilisés par les annonceurs qui génèrent de moins bonnes performances. Mais je suis contre le fait que tout soit automatisé par Google, parce que certes, Google a pour objectif d’accroitre les performances des annonceurs qui constituent sa source principale de revenus, mais Google a souvent tendance à prioriser ses intérêts au détriment de ceux des annonceurs et cherchera toujours à faire dépenser les annonceurs plus qu’ils ne devraient.
Que pensez-vous de l’intégration de l’IA dans les moteurs de recherche et de la SGE ?
C’est assez passionnant. Ça permettra d’optimiser les moteurs de recherche et de gagner en pertinence et en qualité. Et on évoluera vers de la recherche qui ne sera plus seulement sémantique. Google est en train de développer un outil appelé « MUM » multitask unified model qui permettra de faire des recherches en croisant différents médiums. On pourrait par exemple utiliser le texte, le vocal, les images ou encore les vidéos pour rendre la recherche plus précise et obtenir des résultats plus pertinents.
On estime qu’il faut faire huit requêtes différentes en moyenne pour effectuer une recherche complexe. Avec l’intégration des chatbots dans les moteurs de recherche, on aura un gain de temps parce que les réponses seront synthétisées directement par l’outil, évitant à l’utilisateur de parcourir plusieurs sites.
Selon vous, quel pourrait en être l’impact sur le SEA ?
Je ne sais pas l’impact que ça pourrait avoir sur le SEA. Mais je ne m’inquiète pas parce que la publicité sur les moteurs de recherche représente la base des revenus de Google, du coup, je pense qu’ils feront tout pour préserver le SEA et l’insérer dans cette nouvelle expérience de recherche.
Je pense que Google fera une distinction des cas dans lesquels il laissera la SGE proposer les éléments de réponses et les cas dans lesquels il mettra en avant les annonces payantes. Et il faudrait toujours garder un certain contrôle humain quitte à perdre en efficacité en termes d’automatisation.
Je pense aussi que ça permettra de remettre de la qualité dans les réponses proposées aux internautes. Le SEA et le SEO font appel à des « pharma clics » qui consistent à appliquer des bonnes pratiques pour obtenir le maximum de clics, du coup les premiers résultats des moteurs de recherche sont moins qualitatifs pour les utilisateurs.
Pensez-vous qu’à l’avenir, les stratégies SEA s’orienteront vers du ciblage en large en raison de l’intégration de l’IA conversationnelle dans les moteurs de recherche ?
C’est déjà le cas parce que Google a tendance à recommander et à prioriser les requêtes larges qui sont, selon lui, plus pertinentes. Et ce n’est pas forcément un fait de l’IA.
Concernant l’intégration de l’IA dans les moteurs de recherche : vous la qualifier d’évolution ou de révolution ?
C’est une totale révolution des moteurs de recherche qui va apporter des changements énormes. Ça permettra de personnaliser les annonces en fonction des utilisateurs.
Selon vous, comment le métier de consultant SEA sera impacté par l’IA ?
Je pense qu’il faudra évoluer vers beaucoup plus de compétences des consultants. Je pense qu’on va vers de moins en moins de Search au sens d’annonces textuelles sur les moteurs de recherche faites par des humains et de plus en plus vers un fonctionnement en « boite noire » avec beaucoup moins de visibilité et de possibilité de maitriser les audiences et les ciblages par les consultants. On va vers un modèle dans lequel Google veut court-circuiter les agences de consulting auxquelles il donne moins de contrôle sur les campagnes.
Quelle est la différenciation entre le SEA d’il y a 10 ans et d’aujourd’hui ?
Avant, la gestion manuelle fonctionnait mieux que la gestion automatisée en faisant confiance aux algorithmes. Aujourd’hui, c’est totalement l’inverse parce que les algorithmes sont plus puissants, mais aussi parce que Google priorise les campagnes automatisées. En plus, aujourd’hui, les annonceurs font appel à d’autres compétences des consultants en plus de la gestion des campagnes, à savoir la stratégie, le conseil et l’analyse des données.
Et donc c’est chronophage d’effectuer des gestions manuelles, car ce temps peut être utilisé sur les missions complémentaires.