Interview de Sabrina Delale: Les voicebots au service de l’entreprise

Interview de Sabrina Delale: Les voicebots au service de l’entreprise

Livre de Donald Miller "Building a Story Brand"

J’ai rencontré Sabrina Delale, Voice Strategy & Design Advisor, afin de parler du fonctionnement des voicebots. Focus sur leurs avantages et leurs faiblesses pour les entreprises, leur rôle concernant la relation client et les évolutions de leurs usages.  

Bonjour Sabrina ! Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Sabrina: Je m’appelle Sabrina Delale et je suis adviser et voice designer auprès d’entreprises. Je les conseille sur les interfaces conversationnelles, mais également sur toutes les questions de marketing digital, communication et relation clients associés à ces sujets. Je suis également formatrice pour des cadres en entreprises et des étudiants de MBA, notamment à l’EFAP pour le MBADMB.  

Pourquoi vous être intéressée à la voix et spécialisée dans ce domaine ?  

En 2015, je me suis lancée dans un MBA en part time en parallèle de mes activités de consulting en free-lance. J’ai choisi de faire ma thèse sur la smart home et ses perspectives marketing. Alexa venait de sortir aux US et il y avait un véritable engouement côté US pour les assistants vocaux et les enceintes connectées alors que nous n’en parlions que très peu côté français, où les smart speaker n’étaient pas encore présents.

Les technologies d’IA conversationnelle et de NLP ont tant progressées au cours de ces dernières années qu’il m’est apparu évident que les interfaces vocales auraient leurs rôles à jouer dans les prochaines décennies. Pendant mon MBA, j’ai travaillé sur mes premiers sujets conversationnels chat et voix pour des clients et cela m’a passionnée. J’ai donc continué dans cette voie et suis partie me former aux US. Les missions sur ces sujets se sont enchaînées et j’ai développé plusieurs projets personnels en parallèle pour mettre aussi les mains dans la machine. Je me suis également engagée dans l’animation de plusieurs communautés pour démultiplier les rencontres et croiser les points de vue comme les retours d’expérience avec d’autres praticiens en France comme à l’international.  

Les technologies vocales arrivent à un niveau de maturité qui ouvre de nombreux usages et nouvelles pratiques. Que ce soit dans des contextes de gains de productivité, de relation client, de branding… L’écosystème est dynamique et j’y vois énormément de perspectives pour tous les secteurs, publics comme privés. 

Pour ceux qui découvrent ces technologies, pourriez-vous préciser la distinction entre un voicebot et un callbot ?

Pour commencer un voicebot, dans son acception générique, c’est un robot vocal. Il permet à l’utilisateur de s’exprimer en langage naturel dans une conversation automatisée.  

Un voicebot peut être déployé directement sur les canaux digitaux propriétaires de la marque ou de l’entreprise (site web, app mobile par exemple) et sur les assistants vocaux, sous la forme d’applications vocales accessibles via Google Assistant ou Amazon Alexa par exemple.  

Pour les applications vocales accessibles via les assistants, l’utilisateur n’a pas besoin de télécharger les applications qu’il souhaite utiliser. Sur mobile, il lui suffit d’y accéder via l’application compagnon de son choix, Google Assistant ou Amazon Alexa par exemple. Depuis cette application assistant, il aura accès à une myriade d’applications vocales (Skills Alexa / Actions Google) disponibles sur chaque store (Alexa Skill / Google Assistant) et pour y accéder il lui suffira de les demander vocalement.  

Depuis les autres devices connectés embarquant ces assistants (smart speaker, smart display,  TV connectées, casques audio, montres et wearables, voiture…), ces applications sont également accessibles par la voix, sur demande de l’utilisateur. 

Le callbot, c’est une forme spécifique de voicebot. Sa spécificité est d’être déployé sur un serveur téléphonique. On va « rencontrer » le callbot lors d’appels aux centres de contact, lorsqu’on appelle au numéro dédié à la relation client par exemple. Entre autres bénéfices, ils permettent de décharger les équipes de conseillers des questions les plus fréquentes et répétitives ou encore de les « augmenter », de préqualifier les appels, de mieux diriger les appels,… Pour faire simple, c’est la version moderne, dopée à l’IA et en langage naturel, des Serveurs Vocaux Interactif.  

Sur quelles plateformes les entreprises peuvent-elles déployer un voicebot ?

Les entreprises peuvent déployer un voicebot sur leurs propres canaux digitaux tel que leurs devices (si elles en possèdent), leurs sites web, leurs applications mobiles… Elles peuvent également les déployer sur les assistants généralistes, type Alexa de Amazon ou Google, via le développement d’applications vocales pour les assistants. Et enfin elles peuvent également déployer, comme nous l’avons vu avec les callbots, sur leurs serveurs téléphoniques.  

Pour vous, en quoi le voicebot représente un atout majeur pour une entreprise ?  

Selon moi, il n’y a plus aucun doute sur le fait que la voix est une interface avec laquelle les marques et les entreprises doivent désormais compter. Les usages progressent rapidement, aussi pour faire court, je donnerai trois raisons principales mais il y en a bien d’autres : 

  1. C’est une question d’adéquation avec les usages. Les entreprises doivent comprendre ces nouveaux usages conversationnels et être présentes là où leurs publics les attendent.  
  2. Elles doivent également comprendre l’expérience vocale et les différences GUI/VUI. Plus tôt elles partent, plus elles peuvent raffiner leur connaissance de ces interfaces, raffiner leur approche, itérer sur l’expérience proposée et étoffer les cas d’usage. 
  3. Et quant à leur déploiement sur les assistants vocaux, c’est aussi un sujet de Brand Protection et de contrôle de leur image via ces canaux.  

Les voicebots peuvent ainsi être utilisés par les entreprises dans le cadre de leur relation client. En quoi sont-ils facteurs d’une meilleure satisfaction client ?  

Une entreprise qui a fait le choix d’utiliser un voicebot pour sa relation client va pouvoir rendre accessible à ses utilisateurs des informations sur ses produits ou services en vocal. Le voicebot permet donc au client d’obtenir de façon beaucoup plus rapide, 24h/24 et 7 jours sur 7, des réponses à ses questions ou encore d’effectuer plus rapidement des démarches comme le paiement d’une facture par exemple, le tout à la faveur de la simplicité et de la rapidité d’une conversation.  

Parmi les bénéfices côté relation clients, on citera par exemple l’augmentation de l’autonomie client (selfcare), l’amélioration du NPS, la réduction de l’attente client, l’impact favorable sur les taux de résolution au premier appel… 

Le voicebot possède-t-il des faiblesses qui font que les utilisateurs peuvent encore préférer une interaction avec un conseiller humain ?  

Oui, le voicebot est limité à ce qu’on lui a appris. Le plus souvent, c’est le plus gros dénominateur commun. Un voicebot n’a pas vocation à remplacer l’humain mais plutôt à le « décharger » de tâches à faible valeur ajoutée ou encore à l’augmenter, par exemple lui faire gagner du temps. Le conseiller humain demeure incontournable pour la résolution de questions nécessitant des recherches plus approfondies ou le traitement de cas ou sujets particuliers. Le voicebot est un partenaire en quelque sorte. 

Quel conseil pourriez-vous donner à une entreprise qui souhaite lancer son propre voicebot 

J’incite les entreprises que je rencontre à réellement penser stratégie vocale sur le long terme et à inscrire ce nouveau canal relationnel dans les parcours, au même titre que les autres canaux marketing et communication de la marque ou de l’entreprise. C’est avant tout mettre le client au centre avec une extrême empathie et analyser quelle valeur supplémentaire on peut lui apporter avec la voix. Explorer et sélectionner les cas d’usage pertinents adaptés aux objectifs et définir des priorités pour démarrer petit puis grandir.  

Quelles sont les erreurs qu’une entreprise doit absolument éviter lors de la création de son voicebot 

Tout d’abord, il ne faut surtout pas oublier que le voicebot est un nouveau canal relationnel entre la marque et l’entreprise et donc ne pas oublier d’attacher une importance particulière à la cohérence du voicebot avec les assets de la marque. En effet, il est primordial que le voicebot soit personnalisé, que ce soit en termes d’image si on parle de l’icon ou d’un avatar par exemple, de nom, mais aussi de champs sémantiques, de branding sonore… Il incarne d’une certaine façon la « voix de la marque » 

Je parlerai aussi des cas d’usage. Tous les sujets ne sont pas adaptés au vocal. Le choix des cas d’usage, en d’autres termes ce que notre bot va permettre à l’utilisateur de faire, est primordial. Il faut identifier les cas d’usage qui vont être adaptés à une expérience drivée par la voix et le plus fréquemment motivée par un besoin de rapidité et un contexte utilisateur fréquent de multitasking (ex. suivre une recette lorsque je cuisine et que j’ai les mains dans la farine ; naviguer dans mes playlists lorsque je conduis…).  

Ensuite, il est important de travailler le design conversationnel. Il ne faut pas oublier que l’utilisateur peut être dans un contexte sans aucune interface autre que la voix. Il doit être guidé, accompagné pour que l’expérience soit agréable, fluide, rapide et efficace. Et s’il utilise un device muni d’un écran (ex. smartdisplay), l’expérience doit aussi être adaptée et augmentée 

Et puis last but not least, je soulignerai l’engagement. Une organisation qui souhaite engager ses publics aussi sur ces canaux doit elle-même s’y engager… Ce n’est pas un one shot mais bien une interface qui doit être construite, administrée, monitorée et gérée au même titre que les autres canaux digitaux de l’entreprise.  

La voix progresse fortement dans les usages, mais nous sommes toujours au début de l’aventure, quelles évolutions imaginez-vous dans un futur proche ? 

Toutes les évolutions récentes du digital sont audio centrées : depuis l’évolution des réseaux sociaux, en passant par l’explosion des podcasts. Côté Smart Home, c’est pareil, les interfaces vocales sont désormais partout et deviennent presque la norme. Idem dans les voitures, dans l’espace urbain… Le futur est définitivement vocal. 

Concernant les assistants généralistes tels que Google Assistant et Alexa, les applications vocales vont continuer à se multiplier et le développement de l’usage va se poursuivre avec l’adoption croissante des enceintes et autres devices connectés embarquant ces assistants.  

Selon moi l’une des directions les plus notable est le développement des assistants vocaux propriétaires. Basés ou non sur les technologies des GAFAM, NATU ou même open source je pense que de plus en plus de marques et d’entreprises vont saisir l’opportunité de développer leurs assistants vocaux propriétaires – owned voice assistants (OVA). On peut déjà illustrer cette tendance avec l’assistant Beep de la BBC évoqué plus haut ou encore avec le gouvernement Estonien qui travaille à l’interaction de ces citoyens avec ses services publics grâce à la voix et développe un réseau d’applications d’IA en associant secteur public et privé pour proposer une interface unique d’accès aux services publics par la voix !