Interview avec Vincent Ducrey sur la transformation digitale luxe et l’écologie

Dans le cadre de ma thèse professionnelle j’ai interviewé Vincent Ducrey au sujet de la slow fashion et du luxe, voici notre échange :

Juliette David : Quelles sont les perspectives d’une entreprise quand elle s’engage dans le RSE ? Quel va être l’impact sur son modèle économique ? Comment entreprendre cette transition et qu’est-ce que ça va impliquer pour une entreprise ?

Vincent Ducrey :  » C’est un sujet d’identification et d’acceptation, pour être dans un modèle durable, on ne pourra plus rechercher une croissance comme on a connu dans le passé. Ça veut dire que l’on va arrêter des lignes de produits, peut-être en créer des nouvelles. Mais les lignes de produits qui étaient, effectivement, génératrices de fortement de carbone liées à des trajets, l’utilisation de matières rares… C’est des choses qui sont freinées et amenées à disparaître. On voit très bien qu’en fin d’année dans les bilans de compta extra-financère. Aujourd’hui il faut aller chercher des nouveaux produits ou des nouveaux services qui ont à la fois rencontrer une demande mais qui ne vont pas peser sur l’impact de l’entreprise qui les produits. Il y a des entreprises aujourd’hui, comme l’automobile qui utilise de l’aluminum recyclé. Ils retirent des choses qui étaient en plastique et qui ne servaient à rien pour les remplacer par d’autres alliages qui ont moins d’empreintes pour l’environnement. Dans tous les métiers on arrive à ça.

Dans l’emballage par exemple, Samsung a fait un gros travail sur les emballages plastiques et aujourd’hui tout est en carton recyclé. Ils sont entrain de sortir complétement, tout ce qui est plastique, polyester de l’assemblage et de l’emballage.
Ce qui est intéressant pour une industrie comme la mode, c’est de nettoyer et de supprimer de la chaîne de conception des sources de matériaux et aussi en terme de collaboration de s’assurer d’un respect social des personnes qui travaillent sur la chaîne de la valeur. Il ne s’agit pas uniquement de dire qu’on va faire du circulaire en récupérant des anciennes étoffes, mais il faut s’impliquer sur la qualité de vie des familles en Thaïlande qui s’occupent du ver à soie.

La partie alimentaire est aussi intéressante, car Pernod Ricard a décidé de faire de plus en plus de vrac et du coup tout alcool va partir dans des sortes de jarres de 20-30L. Cela va diviser par 2 le poids et le volume des conteneurs, on est bien dans une transformation réussie car les bars acceptent l’idée d’avoir un backstage dans lequel ils déversent l’alcool dans bouteilles et après ils les amènent à table. C’est intéressant de voir que la chaîne de la valeur peut s’adapter. »

Juliette David : « Ma prochaine question rejoint un peu ce que vous venez de dire mais est-ce que les entreprises doivent trouver d’autres activités que la production pour créer de la valeur ? »

Vincent Ducrey :  » Oui, exactement. Les entreprises de production doivent se diversifier dans les services qui sont faiblement générateurs d’empreintes carbone. Par exemple Fnac, va lancer des offres de réparation sous forme d’abonnement. Si on veut décarbonater les industries, il faut quelles basculent dans une logique de service et quelles aient un mixte produit qui se répartissent entre les deux. »

Juliette David : « Qu’est-ce que les maisons de luxe pourraient proposer comme service ? »

Vincent Ducrey : « Du conseil mode. Par exemple, Maybelline propose des cours de maquillage donc on paie 30-40euros et prend un cours de maquillage. Ça c’est du service à forte marge. La même chose peut exister en ligne, le premier workshop Chanel sont sortis. Comme on s’abonne à Netflix, demain on va s’abonner à des cours de style. Demain, chacune de ces marques aura son école de style, son Netflix, son cahier de tendances. »

Juliette David : « In fine, ça sera toujours des entreprises qui produiront des biens ? »

Vincent Ducrey : « Oui bien-sûr sauf que dans leur mixe de revenu sera différent, ils vont baisser leur nombre de collection et offrir plus de service. Le PSG a annoncé qu’ils allaient sortir un maillot avec Nike pour deux ans. C’est énorme, ça n’a jamais exister, s’ils testent ça dans le streetwear demain c’est dans la fashion. On est au tout début d’une révolution : la fin de la saisonnalité, l’extension de la saisonnalité, la logique de la lutte contre l’obsolescence des produits dans les vêtements. Une mode durable, comme son nom l’indique limite son empreinte carbone et augmente la durée d’usage du produit.
Les marques sont souvent dans une logique de coût, demain avec ce que j’évoquais (le Netflix, l’école, les cours), ils seront plus dans une logique de conversation. Il s’agira sûrement de plus petites sommes mais il y aura plus de friction »

Juliette David : « Si je devais prendre un secteur qui a déjà entreprit cette transition et qui la réussit, lequel ça serait ? L’automobile peut-être ?

Vincent Ducrey : « l’automobile, ils sont en plein dedans et en plus ils sont régulés par des normes de l’union européenne. La mode a beaucoup de norme mais autant que l’automobile.
En 2035, il n’y a plus de voitures thermiques, alors le secteur doit changer. Dans la mode, on a jamais dit, on interdit qu’une matière face plus de 5000km entre un lieu de production et son lieu de transformation, cela n’existe pas encore. C’est la logique du circuit court.
Dans la mode, il y a une réindustrialisation en France, on a compris que la production en Chine ce n’était pas la solution avec les coûts de transport, les conteneurs… Il vaut mieux produire en local car on est plus agile. Les entreprises de la mode sont en avance par rapport au luxe car ils ont réintégré en Europe la quasi-totalité de leur production. »