Entretien avec Raphaëlle Berlanda-Beauvallet

Dans le cadre de la rédaction de ma thèse professionnelle sur la digitalisation du journalisme digital, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Raphaëlle Berlanda-Beauvallet, ancienne journaliste chez les Inrocks et créatrice du podcast L’Hymne à la Daube. Une carrière déjà imposante dans la rédaction musicale et une très bonne maîtrise du numérique : cet interview fut une aubaine pour moi. Voici ses réponses à mes questions.

L’entretien

Quelle est la place du numérique dans votre travail de journaliste musical ?

La place du numérique dans mon travail de journaliste musical est évidemment cruciale. Qu’il s’agisse d’articles (Inrocks et Général Pop) ou de mon podcast (L’Hymne à la Daube), le numérique est le moyen indispensable pour ma pensée et celles des artistes que j’interview de se faire entendre. Bien entendu, certains points du numérique sont regrettables, notamment en ce qu’il suscite de l’impatience chez celles et ceux qui le consomment, surtout quand il s’agit de lire un article. Il est très rare que du contenu numérique soit pleinement consommé, et il l’est souvent en parallèle d’une autre activité. Mais ce peut être aussi une force, en ce que le podcast s’écoute généralement en plus d’une activité autre (faire la cuisine, du sport, etc.), et n’empêche en rien son côté divertissant et/ou instructif pour autant. Ce qui est sûr, c’est que, aussi bien dans une boîte établie qu’en indépendante, le numérique m’a accordé une prise de parole beaucoup plus simple et spontanée que celle que j’aurais eue si seul le format papier/radio existait. Il rend le métier de journaliste beaucoup plus accessible à toutes et tous. En revanche, même si c’est devenu à la portée d’à peu près tout le monde de faire du journalisme, cela ne veut pas dire que tout le monde sait faire du bon journalisme. Et cette distinction devient de plus en plus floue avec cette possibilité quasi-absolue de s’exprimer librement à travers des podcasts, des blogs, etc. C’est pourquoi l’on tombe aussi plus facilement sur du « mauvais journalisme » depuis que le métier est ouvert à toutes et tous. Ce que j’entends par « mauvais journalisme », au-delà de la presse people, correspond à des styles d’écriture que je trouve, personnellement, mauvais, et qui sont publiés au même titre que d’autres papiers que j’estime excellents. Il en va de même pour le podcast.

Quelles satisfactions retirez-vous de ce métier ?

J’en retire cette facilité dont je viens de parler, à pouvoir m’exprimer comme je l’entends, et à donner la parole à des personnes dont j’admire le travail et les démarches. Puisque je suppose qu’il ne faille entreprendre une chose que si l’on pense qu’on la fera de la meilleure façon que l’on juge possible (et dans les moyens que l’on a), j’essaie de faire le contenu que j’aimerais le plus consommer. Mon métier de journaliste rédactrice m’apportait cette satisfaction jusqu’à ce que je prenne une pause pour établir mon podcast, dont je jouis davantage. Je préfère écrire que parler, mais ce format audio me donne les pleins pouvoirs sur les axes que je souhaite aborder pour mettre en avant les musiciens/musiciennes que je reçois, et cette démarche est, selon moi, la meilleure façon de faire du journalisme. Permettre à l’oeuvre ou l’artiste que l’on souhaite mettre en avant, d’être magnifié à travers un entretien enrichissant. Puisque j’en suis la créatrice, l’hôte, la productrice et que toutes les décisions autour du podcast sont miennes, j’ai cette satisfaction de me rapprocher le plus possible de ce que j’estime être une démarche journalistique honnête et intéressante.

Quelles en sont les principales contraintes ?

Se risquer à l’indifférence ou la haine des lecteurs/lectrices, auditeurs/auditrices. Mais ce sont des contraintes auxquelles il faut s’attendre dans tous les métiers, je suppose. La contrainte du journalisme lorsqu’on est indépendant demeure la régularité des publications. Puisque le numérique vit essentiellement via le référencement des publications, il faut alimenter le plus souvent, le plus régulièrement son contenu. Sinon, ce dernier aura moins de chances de toucher son public.

Comment jugez-vous le degré de liberté que tu avais dans votre travail d’écriture (quand vous étiez journaliste musical) ?

Quasi-total, si ce n’est qu’il faille respecter un certain nombre de caractères et ne pas trop s’écarter d’un format assez traditionnel d’interview. Mais je n’en ai pas vraiment souffert, car Général Pop me laissait la main sur les sujets que je souhaitais aborder avec les artistes.

Comment percevez-vous la montée de l’amateurisme au sein du journalisme musical ?

C’est un bien comme un mal. Cela permet à de vraies plumes (ou voix) de s’exprimer et de me ravir sur plein de plans, mais cela permet aussi à des personnes que j’estime moins expertes dans ces formats, de s’approprier une forme du métier qui ne leur convient pas. Le métier grossit, et c’est bien, mais il a par conséquent plus de déchets, et ce n’est pas possible de régir cela, puisque la prise de parole demeure libre. Ce n’est en définitive pas très grave, il s’agit de faire le tri soi-même en fonction de ses préférences. Mais il faut garder en tête que le journalisme reste à la base un métier d’information, et que malgré toute cette liberté qui en émane, il faille respecter son but premier.

Avez-vous relevé des changements dans vos pratiques au cours de votre cursus ?

Si l’on parle de mon cursus scolaire (car j’ai intégré un Master de Journalisme Culturel à la Sorbonne Paris 3 en septembre dernier), absolument pas. Ayant déjà pas mal d’expérience avant de rejoindre la fac, je voulais très sincèrement intégrer ce Master uniquement pour me permettre d’obtenir un stage (chez Acast, boîte d’hébergement et de monétisation de podcasts). J’ai trouvé les cours extrêmement théoriques, et c’est normal, car la plupart des élèves, tous et toutes plus jeunes que moi, n’avaient pas ou peu d’expérience en journalisme, et apprenaient les premières notions de journalisme en cours. Ayant appris sur le tas en rejoignant les Inrocks en 2019, je me suis pas mal ennuyée. D’autant plus que le cursus était général, et puisque ma spécialité est la musique, j’ai été assez frustrée. Rien de ce qui m’a été appris ne m’a semblé très innovant par rapport à ce que je savais déjà, même si je comprends bien l’importance de ce Master pour d’autres personnes. Je soutiens que c’est vraiment l’expérience professionnelle qui forge un style et une vraie formation.

Comment imaginez-vous l’avenir du métier de journaliste musical ?

Je pense que c’est le podcast qui l’emportera. Le journalisme musical, comme tous les journalismes, du moins culturels, souffre de la grande baisse d’intérêt du public pour la lecture. C’est un regret, car je constate moi-même que je ne lis plus autant d’articles qu’avant, alors que cela reste mon format préféré. Mais le podcast permet une nouvelle forme d’incarnation du propos, il permet la diffusion d’extraits, des interventions plus spontanées et moins ordinaires que ce qu’on lit dans beaucoup de publications ou ce qu’on entend à la radio, et il permet surtout de faire une autre activité en le consommant. Il permet aussi, comme je l’ai dit et répété, à qui le souhaite de s’exprimer. Créer un podcast est gratuit, ça ne coûte rien, ou presque rien. Il n’y a aucune exigence et c’est un format qui explose de plus en plus. J’aimerais que tous ces formats puissent, finalement, se doser les uns les autres, et ce sera peut-être le cas.

Ce que j’ai retenu

Tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement Raphaëlle pour m’avoir accordé une partie de son temps. Ce fut un échange passionnant : au-delà de son incroyable parcours, ses réponses se sont révélées d’une aide précieuse pour la progression de ma thèse.

Elle m’a tout d’abord confirmé l’impression que j’avais : la presse écrite, même en format numérique, pâtit du virage digital entrepris depuis plusieurs années. Concernant le regard des journalistes professionnels sur les amateurs, elle m’a donné un avis nuancé (alors que certains avaient un avis plus tranché sur la question) : le fait qu’il y ait de nouveaux arrivants peut apporter une certaine richesse au métier, mais qui dit plus de contenus, dit plus de tri de la part du lecteur. Enfin, elle m’a apporté une réponse très intéressante, qui ne m’était pas vraiment venue à l’esprit, concernant l’avenir du journalisme musical : l’importance du podcast. Ce format offre un nouveau moyen au journaliste pour s’exprimer et lui permet de faire (au sens propre, comme au figuré) entendre sa voix à un plus grand nombre de personnes s’il est bien utilisé.

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