Le métier de journaliste face à l’avènement du digital

A l’heure du tout-connecté et de la multiplication des écrans, le monde des médias, et tout particulièrement la presse écrite, a été considérablement impacté. La mutation de ce secteur est importante et le travail même du journaliste connait un changement profond. Pour en savoir plus, un journaliste d’un grand titre de presse français, qui a choisi de rester anonyme, a répondu à nos questions.

  • Comment s’est traduite l’évolution du digital dans le milieu du journalisme?

Autrefois, les lecteurs achetaient le journal au kiosque. Plus rares sont ceux qui se déplacent aujourd’hui encore pour aller chercher le journal. Ce n’est pas un secret, la vente de la presse écrite a drastiquement chuté. Ce phénomène s’explique entre autre par la montée du digital. Depuis une dizaine d’années, on mesure l’ampleur du changement au sein du journal et chacun sait que ce mouvement est irréversible et qu’il faudra développer encore plus le digital à l’avenir et ce sans doute aux dépens du print.

  • Quelles sont les mesures prises en interne ?

Au départ, il existait deux pôles distincts : le print et le digital, Chacun avait ses journalistes dédiés. Aujourd’hui, les deux pôles sont sur le point de n’en faire qu’un. Le but est que tous les journalistes, y compris ceux du print, puissent écrire encore plus sur le web, format qui fonctionne le mieux aujourd’hui. Jusque là, écrire pour le web n’était qu’une option proposée aux journalistes print. Tant que les deux rédactions étaient distinctes, l’arrivée du digital ne changeaient pas grand chose pour eux. Ils écrivaient pour le site s’ils le voulaient, mais le reste du temps, ils continuaient à enquêter pour le print. Le digital ne les concernaient pas vraiment, mais tout cela est en train de changer. 

  • En quoi le digital va-t-il changer votre façon de travailler?

L’écriture print et l’écriture web ne sont pas tout à fait les mêmes. Le digital est lié à la rapidité, à l’instantanéité. Ecrire pour le web ou écrire pour le print n’est pas exactement le même travail pour un journaliste. Je caricature un peu, mais je dirais que pour le digital il faut avant tout écrire vite et, faute de temps, on soigne un peu moins son écriture. Il est plus facile, me semble-t-il, d’écrire sur le web et cela peut même être un peu frustrant pour un journaliste qui aime les grands reportages, les enquêtes fouillées et une écriture élégante. Le travail de journaliste change un peu sur le fond, car on a moins de temps à consacrer à l’enquête et la forme, puisque le papier est moins écrit, plus adapté au web. Le lecteur doit avoir l’information rapidement et de façon claire, encore plus que dans le print. Mais le digital peut heureusement aussi accueillir des grands formats, plus proches des enquêtes publiées dans le print.

  • Avez-vous des formations liées au digital?

On peut suivre des formations proposées par des écoles de journalisme (CFPJ, EMI…), qui peuvent nous sensibiliser à cette instantanéité du web et à écrire dans l’urgence. On nous apprend à gérer un rétro-planning, à se concentrer sur ses fondamentaux, comme l’angle, pour aller plus vite. Lors de ces formations, on souligne d’ailleurs que les efforts d’écriture arrivent en dernier, s’il nous reste du temps. L’essentiel étant toujours de vérifier avant tout ses informations. Attention : cela ne veut évidemment pas dire que les papiers du web sont mal écrits ! Des formations sur les réseaux sociaux sont aussi proposées, ainsi que des sessions pour enrichir les textes eux-mêmes en leur incorporant des liens, pour celui qui souhaite aller plus loin.

On ne nous demande pas pour l’instant d’avoir des compétences dans le digital. C’est à l’équipe web de gérer les réseaux sociaux. Cela va probablement changer dans un futur plus ou moins proches. Mais certains collègues utilisent déjà les réseaux sociaux, comme Twitter. C’est aussi une question de génération.

  • Avez toujours un sentiment de légitimité face à ces avancées numériques?

Autrefois on avait peu de retours des lecteurs sur les papiers publiés. Maintenant avec la rapidité de l’information et l’accessibilité de celle-ci, on devient plus sensible aux réactions. Lorsque je publie un article sur le web, j’aime connaître le nombre de partage sur les réseaux et je lis systématiquement les éventuelles remarques ou commentaires. Je me sens légitime en tant que journaliste, car je considère toujours que ma mission est d’informer le grand public et que je sais écrire, trouver un angle, synthétiser les informations.… Mais il est vrai que je me sens un peu moins légitime sur le web, car je ne ne sais pas publier un article ou l’enrichir par des liens. Je ne maîtrise pas le langage digital.

  • Quel avenir pour la presse écrite?

    Les ventes de presse écrite chutent et malheureusement, à terme, il sera sans doute compliqué de continuer à faire du print. Beaucoup de journaux risquent d’être uniquement disponibles sur le web et c’est d’ailleurs déjà le cas pour certains. Le modèle se-t-il plutôt payant ? Je l’ignore, c’est l’avenir qui nous le dira !